La louve

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J’écrasai sa face de rat à coup de grolle. Le sang giclait. Y’en avait partout. Et plus sa gueule se déformait sous les coups de tatanes plus je frappais. Sauf que…

— Bon ça y est ! On va pas y passer la nuit.

— Ben, I bronch’pas, patron.

— Putain, tu fais chier !

Il ne me restait plus qu’un châsse pour regarder.

— Faut donc que je m’occupe de tout ?

Ma tronche s’était déformée, fracassée par les… Le poing brisa le zygomatique. Rideau. Il ne me restait plus que les souvenirs.

C’est pas qu’je cherche les noises mais j’aime pas qu’on m’emmerde. C’est comme ça, ça a toujours été comme ça. Déjà, tout petit, dès la maternelle, on venait m’chercher. Bon c’est vrai, on n’est pas v’nu m’balader longtemps. Quelques poussées, des écorchures et plus personne venait me les brouter. Mais bon, ça a un prix ! Après des années, plus personne n’aboulait. Je restais solo dans la cour. Ça m’a fait gamberger. Comme je n’suis pas bouché à l’émeri et que ma mère m’a doté d’un minimum de carbure, j’ai vite compris que devais me décrasser au creusant. Comme les mecs me lorgnaient d’travers, j’aboulais ma graisse auprès des gonzesses, à l’aplomb, au débotté, sans poireauter au tournant. Bref, j’attaquais à la franchise. Elles m’ont cueilli avant que j’débarque. Enfin, pour être au cordeau, il n’a fallu qu’un coup de saveur de l’une d’entre elle pour savoir qui accrocher. Pas besoin d’être bien malin pour la calculer ; C’était la louve de la meute. Une seule donne me fit comprendre toute la stratégie féminine. Elle semblait me dire : T’es tout seul mon grand, t’as pas grand intérêt. Fais tes preuves, ensuite, je verrai. Ne t’inquiète pas je te surveille. Attention, je n’attendrais pas longtemps, alors remue-toi. Un sourire paracheva le regard ; Celui de l’optimisme. Rien de tel pour mettre la motiv en route.

— Putain, c’est pas vrai, il est tombé dans les vappes.

— Qu’est-ce qu’on fait patron ?

— On le soigne et on continue demain.

— Pourquoi pas maintenant ?

— Parce qu’il ne tiendra pas, gros malin !

Y’avait un ptit qui m’lâchait pas, il me suivait partout où j’allais. J’avais pas eu le cœur de le rembarrer. Avec lui, j’ai réussi à force de mentalité et d’humanités à rallier quelques petites frappes en mal de solitude. Je leur flanquais quelques atouts bien placés histoire de couper les jambes à d’éventuels trahisons. La louve apprécia.

Les années passèrent. Notre bande était respectée par les blaireaux du quartier. Celle de la louve avait campé aux portes d’un ghetto où personne ne pouvait abouler sans sa perme. Même les flics faisaient demi-tour.

A part quelques crapuleries, une ou deux gances de deuxième couteau qu’il fallait remettre dans la filière, les affaires tenaient bon. Bien sûr, il fallait bien éborgner les corrompus pour qu’ils zyeutent ailleurs ; aligner quelques assignats hebdomadaires pour qu’ils nous foutent la paix. Bref, tout allait comme sur des skateboards électriques. Sauf que sur ses engins, il arrive qu’on se casse la gueule.

— Où est le père Péca ?

— Il arrive, patron.

— Bon, j’ai suturé les plaies, il va falloir l’emmener à l’hôpital pour réparer les multiples fractures du visage.

— Eh doc !

— Oui ?

— Il va s’en sortir ?

— Oui !

— Alors, occupe-toi de tes oignons !

Le père Péca s’éloigna les épaules battues, suant d’obéissance. J’avais la gerbe d’assister en direct à la décomposition d’un homme débordé par les mauvais choix.

Toujours est-il qu’un jour, je me suis fait repéré par un brigand de haute voltige. Un cador dans sa partie. Il tenait dans sa main le sud du pays. Il vendait sa came à un prix à faire pâlir le commerce chinois. Il n’en tétait pas que d’une dent ; Il possédait tout un réseau.

Et voilà, qu’est-ce qui m’voulait ? Il n’avait pas besoin d’un chef de bande. Curieux comme un pet, j’me suis fait violence et j’me suis pointé chez le boss. Bien entendu, il m’a fait attendre une partie de la matinée dans un salon à éclipser Alberto Pinto. Quant à la gonzesse qui tenait lieu de secrétaire et qui faisait semblant d’artiller, elle avait ce regard plein d’un euphémisme muet qui allégeait un sourire crâneur qui montrait combien je n’étais qu’une bonbonnière.

Bref une vraie journée de merde !

—Ah ! le voici donc.

Le type me reçut les bras ouverts comme si j’étais Dieu en personne. L’acteur dans toute sa splendeur. Le sourire ravi et le regard de glace. Autant me l’avouer, j’avais les foies. Être dans sa pogne ne m’enchantait pas du tout.

Je stoppais le cirage et passais aux frais.

— Que voulez vous de moi ?

Le ton était plus dur que je ne le voulais. Il fut surpris. Ses yeux s’étrécirent. Son sourire disparut.

— Il faut que t’ailles chercher un colis pour moi.

— Vous n’avez pas assez de monde faire l’emplette ?

Le sourire revint.

— Il n’y a que toi qui peut mener à bien cette entreprise.

— C’est quoi l’entourloupe ?

Le sourire disparut.

— Ecoute moi bien, mon gars ! Sois tu le fais soit je te plante ! T’as imprimé ?

J’avais imprimé.

— Tu passes la frontière, tu prends le colis et tu reviens, ok ?

— Ok ! Combien ?

— Tu verras tout ça avec Laurent.

Il me montra le type euh l’armoire qui gardait l’entrée. Je souris. Il resta de marbre. La sueur me dégoulinait dans le dos.

Le boss se leva et me tendit la main. Je mis un temps plus long que je le voulais pour me lever. Mes échasses ressemblaient singulièrement à des bâtons de chaises.

Et me voila assis au volant d’une BM. Deux cents kilomètres à l’heure, c’est une bonne moyenne. Dans trois heures, je s’rais à bon port. Péage pas de problème, frontière, personne. Bon eh bien je passe doucement sans m’arrêter et je file au rencard. Pas de soucis, les mecs m’ont refilé le colis et je suis reparti.

— Bon écoute-moi bien mon gars, si j’commence à cogner, tu vas pas t’en sortir.

Je le regardais bêtement, j’étais sonné de toutes façons.

— Une simple caresse et tu es tombé dans les vappes et ce n’était qu’un hors d’œuvre.

Putain, il m’a détruit le nez ce con. La douleur fulgurante me brisa les neurones et les larmes coulèrent toutes seules.

— Tu fais chier, je n’l’ai pas ton colis.

Le poing, en deuxième round, s’arrêta net.

— Comment ça tu n’l’as pas ?

— Je l’ai laissé au pays.

— Quoi ? tu t’fous d’ma gueule.

— Non, et j’ai ben fait !

— Détachez-le !

— Quoi, mais enfin patron…

— Détachez-le et foutez-moi le camp.

Je me détendis légèrement.

— Doc, soigne-le et ramène-le dans mon bureau.

Ah oui, j’avais bien fait ! A la frontière, fouille et garde à vue ; ils avaient été rencardés. Mais comme ils n’ont rien trouvé ni sur moi ni contre moi, ils m’ont laissé partir.

— T’es un malin toi !

— Non, j’connais la chansonnette. J’suis prudent.

— Bon, il est où ce sac ?

— Au pays, j’vous dis.

— C’est con parce que si tu m’le disais, tu ne serais pas obligé de r’tourner là-bas.

— Vous m’prenez vraiment pour un blaireau !

Ce sac, c’était mon assurance vie.

Et c’est là où tout est parti en couille. Un fracas de tonnerre vint pulvériser les vitres. Une descente de flics comme on en voit dans les séries. Quelques invectives et tout ce petit monde se retrouva ligoter. On m’emmena de force, dehors et on m’agenouilla devant la louve. En treillis, elle percuta mon regard.

— T’es un flic ?

Putain, j'en r'venais pas. Elle m'avait bluffé.

Elle ne moufta pas, du style parle à mon cul ma tête est malade.

Je commençais seulement à décoller la pulpe du fond.

— Alors la gribouille, qu’est-ce que tu fous dans ce repaire de serpents ?

— Un rencard.

— Mouais... Relâchez-le !

Le flic la regarda étonné.

— On n’a rien contre lui de toutes façons.

Je partis droit devant moi sans un regard vers cette femme qui venait de me sauver la vie.

Le colis, je ne l’avais plus de toutes façons. Je l’avais jeté dans le fleuve. Il ne coula même pas. Il devait maintenant danser sur les flots comme un bateau ivre sur un de ces océans à l’horizon changeant.

Je montais les marches du vieil escalier qui menait à mon meublé. Sur le pallier, je poussai la porte entrouverte. La louve était là, accueillante, le sourire en bandoulière ; Celui de l’optimisme. Rien de tel pour mettre la motiv en route.

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