Chapitre 1 : Bûcher humide

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Jour de colère, que ce jour-là,

en cendres, le monde il réduira,

jamais plus, l’aube ne se lèvera.

Requiem pour l’aube, 1ère strophe.

Huit bûchers s'érigeaient sur la place cernée de villageois. L'attention habituelle des fins de journées sèches se portait sur les condamnés que Vultur, le vent de l'Est, emporterait bientôt dans son sillage sous le ciel sans lune de Merica.

Le vieil Armon s'approcha du premier condamné, serrant les pages du dernier rendu des peines entre ses doigts calleux.

— Votre nom ? demanda-t-il à l'homme geignant face à lui.

Armon revêtait la robe pourpre de la justice dont la coupe n'avait d'extravagant qu'une large poche sur son devant, destinée à recevoir rendus et autres paperasses de rudits. Dans celle d'Armon attendait patiemment la flasque qui lui donnerait le courage de regarder les brasiers mortels lorsque la dixième heure de la soirée viendrait.

Il fixa le condamné soigneusement attaché à son bûcher et aux épaules secouées de sanglots, prêt à entendre ses derniers mots.

— Je… Je suis désolé, dit l'homme d'une voix faible, s'il vous plaît…

— Votre nom ? répéta Armon.

L'homme renifla bruyamment.

— Abert Meursaut, finit-il par dire. S'il vous plaît, on m'avait dit que j'irais au Puits…

— Au Puits ?

Armon leva son rendu sous la lumière déclinante et y chercha le nom d’Abert Meursaut.

« Viol en réunion ».

— Hum, sûrement pas, non, déclara-t-il après avoir relevé la tête. Vos dernières paroles ?

— S'il vous plaît…

— Vos dernières paroles ? dit Armon un peu plus fermement tout en prenant soin de ne pas hausser la voix.

Récolter les dernières paroles exigeait patience et maîtrise de soi.

Ainsi qu'une flasque bien remplie.

— Je suis désolé, dit Abert Meursaut sans s'arrêter de pleurer. Mais… c'est trop tard, pas vrai ? Ça ne sert plus à rien ?

Le vieil Armon ne répondit pas. Durant ses quarante années passées en tant que rudit de justice, il avait récolté les dernières paroles de moult hommes et femmes, avait fait face à toutes sortes de réactions chez ces individus dont la vie approchait éminemment de son terme. Mais jamais, au grand jamais, n'avait-il pu refouler cette sensation qui tordait ses entrailles à chaque fois qu'un condamné atteignait la plus cruelle des lucidités en ses derniers instants.

— Le vent vous portera, dit-il solennellement.

Il s'approcha du second bûcher ; une femme y pleurait bruyamment.

— Votre nom ?

— Tessa Rivor, répondit la femme.

Un filet de morve s'échappa de son nez.

« Infanticide », lut le rudit de justice sur son rendu.

— Vos dernières paroles ?

Ainsi Armon passait de bûcher en bûcher, il prêtait l'oreille aux derniers mots de ceux qui s'étaient rendus coupables des pires crimes et que même le Puits des Oubliés ne pouvait absoudre. En cet instant, ils pleuraient tous, ils étaient tous désolés. Les marques du regret se lisaient dans les yeux de chacun d'entre eux, derrière les barbes et les cheveux rendus hirsutes par l'attente en prison de la prochaine journée sèche. Le rendu mentionnait des doubles meurtres, des attentats, et bien des atrocités – dont certaines commises sur des enfants. C'était toujours avec une terreur glaçante qu'Armon découvrait ce dont les êtres humains qui se tenaient face à lui avaient été capables, ou du moins, ceux dont il n'avait pas lui-même prononcé la sentence.

Des torches éclairaient la place où les murmures d'appréhension s'intensifiaient. Parmi les témoins de l'exécution se trouvaient certaines des victimes venues voir leur coupable recevoir le courroux de la Justice, tandis que d'autres n'étaient là que pour approuver symboliquement l'application de la loi. Les familles des condamnés se faisaient rares lors de ces événements.

À mesure qu'Armon progressait, les fluides corporels se déversaient sur la peau et les vêtements des implorants – la bienséance trouvait peu d'importance aux portes de la mort – et il ne resta bientôt plus qu'un condamné et quelques minutes avant la dixième heure de la soirée.

Armon s'approcha de la grande silhouette juchée sur les fagots de bois, étrangement silencieuse au milieu des supplications et des sanglots. Il consulta la dernière ligne de son rendu. Celle-ci comportait seulement deux mots : « Kamu —Vol ». C'est aussi intrigué par cette mention que par le calme inquiétant de l'individu qu'Armon se plaça devant lui. Bien que le condamné ait la tête baissée, Armon discerna quelques poils timides sur son menton et en guise de moustache, parsemant une peau mate peu habituelle pour un mericien. Ses cheveux bruns et sales tombaient en rideau jusqu'à ses épaules, sa taille dépassait de plus d'une tête celle d’Armon.

Et il ne pleurait pas.

— Hum, c'est vous, Kamu ?

Par le souffle de Vultur, comment un simple voleur pouvait-il se trouver ici ? Le Puits des Oubliés aurait largement suffi à punir son crime, même si il avait subtilisé la plus grosse fortune du pays, même celle du Château.

— C’est moi, répondit le jeune homme en continuant de fixer ses pieds.

— Et, hum, qu'avez-vous volé, exactement ? demanda Armon.

Il était presque trop tard pour une remise de peine, mais les vérifications servaient surtout à éviter les erreurs judiciaires et, outre récolter les dernières paroles, le rudit de justice était là pour y veiller.

— Des chaussures.

— Des… chaussures ? répéta Armon. Dites-moi, ces chaussures étaient-elles d'une nature particulière ? Étaient-elles faites d'or, ou de… hum, de platine, peut-être ?

— Elles étaient faites de mauvais cuir, si vous voulez tout savoir, répondit le condamné d'une voix fatiguée.

Pourquoi restait-il si calme ? Il gardait un visage impassible, presque résigné, et la lassitude dans sa voix n'était pas ce qu'Armon s'était habitué à entendre venant d'une personne attachée à un bûcher.

— Avez-vous volé autre chose ? Avez-vous tué en volant ? Avez-vous volé quelqu'un d'important ?

L'homme secoua la tête, ses mèches de cheveux gras balayées par le vent.

— Voyez-vous, reprit Armon, les voleurs de chaussures – qu'elles soient faites de mauvais cuir ou de platine – ne sont pas exécutés, à moins que le vol soit accompagné d’un autre crime. Donc, je vais reformuler autrement : qu'avez-vous fait pour mériter cette condamnation à mort ?

Pour toute réponse, le jeune homme releva enfin la tête, et Armon ne put contenir un hoquet de surprise en découvrant son visage.

— Nom d'yvil, murmura-t-il sans même s'en rendre compte.

Ce bleu… un bleu clair et profond, comme jamais Armon n’aurait dû le découvrir dans les yeux d’un individu. Ils étaient pareils à deux puits de lumière qui creusaient son regard. Une lueur y brillait, celle de la lucidité, la plus cruelle qu'Armon ait jamais vu chez aucun homme. Elle semblait responsable de la fatigue du jeune homme, seule chose à encore l'animer.

— Hum, se ressaisit le vieil homme à grand-peine, dernières paroles ?

Le condamné avait déjà reporté son attention sur ses pieds.

— Le vent vous…

— Le bois, il a l'air humide, déclara-t-il subitement.

Armon dévisagea les fagots sous ses pieds, circonspect. Ils avaient l'air parfaitement sec. Si il y avait bien une faveur qu'on accordait aux condamnés, c'était le droit d'être brûlé en une seule fois et une attention particulière était ainsi attribuée au bon fonctionnement du bûcher.

— Vous verrez qu'il ne l'est pas, finit par conclure Armon. Le vent vous portera.

Il s'éloigna du jeune homme pour rejoindre la foule, l'échine frissonnante, et se plaça aux côtés de Pelric et Kilie en attendant la dixième heure. Troyt était un assez grand village, aussi bénéficiait-il de trois rudits de justice.

— Il y a un yvil, dit Armon tout bas à l'attention de ses collègues.

Derrière eux, les villageois formaient une masse compacte de discussion, éclairée par la lumière flamboyante des torches, et impatiente que celle-ci gagne les bûchers.

— Je sais, lui répondit calmement Kilie alors qu'Armon glissait la main dans sa poche afin d'y saisir son précieux breuvage. C'est moi qui l'ai jugé.

La dureté de ses traits illustrait à la perfection le visage de la justice, rigoureux et impartial, et d'autant plus renforcée par ses cheveux blonds coiffés en un chignon serré en bas de sa nuque. Armon avait l'âge d'être le père de la jeune rudite, pourtant, il avait toujours eu l'impression qu'elle était plus vielle que lui.

Il porta la flasque à ses lèvres et prit quelques lampées de Malt Ardent ; la chaleur de l'alcool descendit jusqu'à ses entrailles et les arômes délicats se diffusèrent sur son palais. On exigeait des rudits de justice qu'ils appliquent eux-mêmes les sentences qu'ils prononçaient, car s'ils trouvaient la force et la raison de condamner un homme, elles devaient naturellement suivre lorsqu'ils l'exécuteraient. Mais reconnaître la nécessité de son travail ne le rendait pas agréable pour autant, et la flasque qu'Armon portait les soirs de journée sèche lui donnait la force d'en supporter la raison.

— J'ai pensé qu'il valait mieux pour lui qu'il finisse ses jours ici, plutôt que de l'envoyer au Puits, continua Kilie.

— Vous avez bien fait, acquiesça Armon. Il est grandement préférable qu’il meure.

— Il ne méritait pas cette exécution, répliqua sèchement Kilie. Mais il méritait encore moins le Puits. Quelqu'un comme lui, dans cet endroit… ça aurait été pire que la mort.

Armon reprit quelques gorgées et le regard froid de la rudite quitta les bûchers pour se poser sur la flasque. Elle supportait très bien la nature de son travail et n'avait jamais eu besoin d'alcool pour l'exercer – autant qu'Armon ait pu l'observer – aussi le réprimandait-elle souvent pour son manque de sérieux.

— Un yvil ? intervint Pelric d'une voix blanche. Vous en êtes certains ?

— Impossible de se tromper, répondit Kilie.

— Mais, enfin, insista Pelric, comment est-ce possible ?

Lui et Kilie étaient dans la même tranche d'âge. On aurait pu dire d'eux qu'ils étaient pareils à deux vents contraires : à la rudesse de la jeune femme s'opposait sans cesse le chétif et maladroit Pelric, dont même les épis de ses cheveux bruns contrastaient avec sa collègue. Les trois rudits de justice se complétaient curieusement entre eux.

— Il a un air de ropien, peut-être est-ce un étranger ayant réussi à passer la frontière ? supposa leur aîné, avant de se raviser en secouant la tête. Non, il parlait parfaitement mericien, et il n'avait aucun accent.

Armon soupira.

— Il doit forcément y avoir une explication, d'où venait-il ? demanda Pelric à Kilie.

— Je n'en sais rien.

— Rien ? Voyons ! s'impatienta Pelric, de plus en plus confus. N'avez-vous pas demandé ?

— Je suis rudite de justice, pas d'histoire ou de cartes.

— Mais, enfin…

Le coup de la dixième heure retentit en arrachant Pelric à ses balbutiements, et comme en un seul souffle, les chœurs du Requiem pour l’aube s'insinuèrent dans l'air. Les centaines de voix s'élevèrent, récitant les paroles mélancoliques du chant centenaire. Celle grave et puissante du vieil Armon se mêlait à celle des villageois, qui se mêlaient elle-même à toute celle des mericiens et parcouraient ainsi le pays en compagnie du Vent de l'Est. Coupables, victimes, bourreaux : les millions de cœurs chantaient leur langueur après le coucher du soleil. Les mericiens n'étaient plus qu'une seule voix traversant la contrée, une seule voix qui portait le fardeau d'un pays et résonnait dans la nuit.

Lorsque la chanson fut finie, les voix se turent pour laisser le silence recouvrir la place. Armon prit une dernière rasade de whisky avant de ranger sa flasque et de s'emparer d'une torche, bientôt suivi par Pelric et Kilie.

Un à un, les bûchers s'embrasèrent. Une à une, les voix des condamnés qui quelques instants plus tôt résonnaient en une douce mélodie, fendirent l'air en un ultime hurlement de vaines supplications. Armon risqua un coup d’œil vers le voleur de chaussures, curieux de découvrir si son calme l'avait déserté, puis se ravisa. Quel homme pouvait garder son sang-froid alors même que les flammes lui léchaient les pieds ? Il rejoignit donc sa place avec ses deux collègues en première ligne de la foule, à présent baignée de lumière chatoyante, muette.

Le vieil homme ressortit sa flasque. La surface métallique reflétait les lueurs mortelles du brasier. Il n'en percevait que trop bien la chaleur, et l'union de l'alcool et de la température fit naître quelques gouttes de sueur sur son front. Le bois crépitait, les hurlements s'intensifiaient, les flammes dansaient avec le vent, et Armon ne pouvait s'empêcher de songer au voleur de chaussures, dont le véritable crime n'avait finalement été que le plus absurde : celui d'être né.

Du Malt Ardent il ne resta plus grand-chose lorsque le dernier bûcher s’éteignit. Une odeur de cendres et de chair brûlée régnait sur la place fumante, et piquait les yeux et les narines des personnes présentes. Le vent froid et humide soulevait la fumée en volutes évanescentes – les âmes des condamnés avaient rejoint Vultur par son biais depuis longtemps déjà. Le vent les portait à présent.

Les trois rudits de justice s'avancèrent dans ce qu'il restait des bûchers, pelle à la main. Quelques villageois vinrent les aider à nettoyer et ils s'activèrent à charger le bois calciné ainsi que les os à l’arrière d’une voiture. Les autres villageois disparurent à mesure qu'Armon donnait ses coups de pelles. Ramasser, jeter, ramasser, jeter, et ainsi jusqu'à ce qu’il ne reste de l’exécution que des traces noirâtres sur le sol.

Kilie et Pelric montèrent à l'avant de la voiture quand ce fut le cas et Armon remercia chaudement les villageois pour leur aide, puis les y rejoignit, et les chevaux commencèrent à les tracter.

— Dites-moi, Armon, commença Pelric alors qu'ils quittaient progressivement le village, nous avons bien notre journée de libre demain, n'est-ce pas ?

À côté de lui, Kilie renifla bruyamment en signe de désapprobation. Journée de libre ou non, elle la passerait à l'Hôtel de justice comme son dévouement l'y amenait chaque jour.

— Hum, n'est-ce pas le cas pour chaque daymin ? répondit Armon.

— Si, si, bien sûr, dit Pelric en hochant la tête, je vérifiais simplement – j'ai un engagement à tenir pour demain, ajouta-t-il avec un léger sourire.

— Oh ! Cet engagement a-t-il un rapport avec cette jolie rudite de paix, hum – comment s'appelle-t-elle, déjà ?

— Heu, oui, c'est ça, confirma Pelric. Loren, c'est son nom.

La nuit les dévorait peu à peu, ballottés par le rythme de la voiture qui les éloigna des rues aux maisonnettes de bois. Les prairies et granges isolées leur succédèrent. Ils n'étaient à présent éclairés que par les deux torches qu'ils avaient emporté.

— Ah, soupira Armon, les rudits de justice et de paix s'entendent curieusement bien ensemble, n'est-ce-pas ?

Il se rappelait lui-même de quelques relations ardentes entretenues au cours de sa jeunesse, mais dont la vie ne lui avait laissé que de lointains souvenirs.

— Eh bien, intervint Kilie d'une voix neutre, les deux corps sont souvent amenés à collaborer, et l'entente mutuelle est bénéfique aussi bien pour la paix que pour la justice.

— Quand deux corps collaborent, comme vous venez si bien de le dire, je peux vous assurer qu'il n'y a pas que les Instances des rudits qui en tirent un bénéfice, gloussa Armon.

Sa plaisanterie eu pour effet d'attiser des couleurs sur les joues de Pelric, visibles même dans la nuit, et Kilie dirigea son regard froid sur Armon. Elle esquissa un sourire – comme ils étaient rares ! – avant de détourner les yeux, la commissure des lèvres toujours relevée.

— La boisson vous délie la langue, dit-elle d'une voix si douce qu'elle en annulait son reproche.

La Tombe des Infâmes devant laquelle ils passaient leur indiqua qu'ils approchaient de leur destination. Comme toujours lorsqu'il s'en trouvait à proximité, Armon frissonna en regrettant la faible contenance de sa flasque. Là étaient inhumées les dépouilles de ceux qui ne méritaient pas les rites funéraires ; ainsi enterrées, leurs âmes ne pouvaient rejoindre Vultur et étaient piégées avec les corps décomposés qu'elles avaient autrefois animé. La Tombe des Infâmes se limitait à un parterre de terre qu'un muret de pierre avertissait quiconque de fouler. De toute sa carrière de rudit, Armon n'avait jamais conclu aucun jugement par une telle malédiction – car c’en était une – ni n'avait vu personne le faire. La Tombe du village de Troyt n'était en fait remplie que des corps d'yvils dont le siècle passé sous terre n'avait pas dû laisser grand-chose. Mais il avait ouï-dire de certains collègues peu scrupuleux qui appliquaient bel et bien ce genre de sentence, notamment dans la capitale.

L'arrêt brutal de leur course sortit Armon de ses réflexions. Ils avaient atteint la Fosse. Les trois rudits descendirent de la voiture, arrêtée à une dizaine de mètres du trou béant par sécurité pour les chevaux. Armon planta l'une des torches dans le sol à deux pas de la voiture, et lui et les deux autres empoignèrent leur pelle, prêts pour l'ultime étape de la journée sèche.

Ramasser, jeter, ramasser, jeter.

Il donna le premier coup de pelle dans les cendres et s'en alla, la deuxième torche dans l'autre main, pour les déverser dans la Fosse. Elle accueillait les restes des condamnés que les familles n'étaient pas autorisées à garder – un juste entre-deux entre la Tombe des Infâmes et les rites consacrés. Il planta la seconde torche dans le sol alors que Pelric et Kilie arrivaient avec leurs pelles.

Armon plongea dans les ténèbres pour retourner à la voiture. L'îlot chatoyant se découpait dans l'obscurité. Les trois rudits étaient seuls dans la nuit, allant et venant entre les cendres et les cendres, la lumière et la lumière.

Il planta sa pelle dans la poussière funéraire mais, au lieu de s'y enfoncer, la tranche métallique heurta quelque chose.

— Par Vultur, maugréa Armon en dégageant sa pelle.

Comme pour lui répondre, une violente bourrasque s'abattit sur lui. Les flammes vacillèrent sous le souffle du vent. Une forme bougea dans le chariot.

Armon eu tout juste le temps d'apercevoir la silhouette se relever des cendres. La lumière céda à l'obscurité en une rafale glaciale. Un gémissement paniqué remonta dans sa gorge et le vieil Armon recula sur ses jambes tremblantes. Son cri déchira l'air lorsqu'il trébucha dans les ténèbres.

La voix de Kilie retentit à quelques mètres d'Armon, haletant et frémissant sur le sol humide. Très vite, l'aura rassurante de la torche vint éclairer le vieil homme et ses cauchemars.

— Armon ! s'écria Kilie en se précipitant sur lui.

— Vous allez bien ? demanda Pelric sur ses traces.

— Le… Le bois, il était humide ! bafouilla Armon pendant qu'ils l'aidaient à se relever.

Son souffle refusait de se calmer ; il passa une main tremblante dans la poche de sa robe pour y agripper sa flasque, dévisageant la voiture qui ne contenait rien d'autre que des cendres.

— Le bois ? Quel bois ?

Les jeunes rudits observaient leur aîné, sourcils froncés.

— Il était là, continua Armon d'une voix chevrotante, il était juste là, je l'ai vu, par Vultur je l'ai vu !

Il porta la flasque à ses lèvres, désireux de ressentir la chaleur réconfortante de l'alcool, mais il ne tomba que quelques gouttes d'élixir qui se perdirent dans sa barbe.

— Mais de qui parlez-vous, nom d'yvil ?

Oui ! C'est ça, l'yvil ! Il l'a dit, il a dit que le bois avait l'air humide !

Il tenta de reprendre son souffle sous le regard ahuri de ses jeunes collègues.

— Je ne suis pas fou, gémit-il, je l'ai vu !

Mais leur visage affichaient une consternation grandissante.

— Il était là, brailla Armon en agitant sa flasque en direction de la voiture, le Léviathan peut dévorer mon âme si je mens !

Kilie se saisit de la flasque d'un geste rapide, la dureté de son visage subitement retrouvée.

— Pour le moment, j'ai plutôt l'impression que c'est l'alcool qui dévore votre esprit.

Pelric s'activa à rallumer la torche alors que Kilie rangeait la flasque dans sa propre poche. Le sang battait toujours dans les tempes d'Armon. Il serra ses poings pour faire cesser les tremblements, mais l'image d'horreur qui lui faisait face quelques instants plus tôt demeurait bien trop nette pour qu'il se calme vraiment.

Il savait ce qu'il avait vu. Il le savait, il le ressentait dans sa chair.

Un homme s'était relevé des cendres. Puis l'avait fixé. Et Armon avait vu ses yeux…

Bleus, comme jamais il n’aurait dû en voir.

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