Chapitre 7 : Blanc avec une perle rouge

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Les cendres ont emporté ma mère,

les cendres ont payé pour mon père.

Requiem pour l’aube, 14ème strophe.

— Leurs coutumes sont si étranges, décriait Lana Dolly. C'est à la limite de l'inconvenance, comment les hommes peuvent-ils savoir comment l'aborder ?

— Quel manque de tact, renifla Lana Golytlie. Quand on voyage, on se doit de s'adapter aux coutumes locales, c'est bien connu. Surtout quand il s'agit de diplomatie…

— Ce n'est pas si étonnant, on pouvait s'y attendre quand on connaît son pays… Nom d'azur, quelle tristesse ! Ils n'ont que de la pluie ! De la pluie, et du vent… rien de surprenant à ce qu'elle ait un teint si terne.

Le silence se fit à la table des Lanas, tandis que Gaïla devinait tous les regards se tourner vers elle. Elle les ignora et piocha un énième milano, qu'elle enfourna sans attendre. Les arômes de miel et de fleur d'oranger aussitôt dissipés, elle s'empressa d'en saisir un autre dans l’un des grands plats en argent qui trônaient sur la table. Les rumeurs des autres tablées et la musique de l'orchestre faiblirent quand les Lanas reprirent leurs commérages.

— Oui, ne m'en parlez pas ! Philios et moi en avons discuté pas plus tard que ce matin… cette histoire de danseur est tellement sordide !

— Rien ne va avec ces gens… quelle indignité pour leur pays d'avoir une telle personne à leur tête. C'est à croire qu'ils ne connaissent pas la honte.

Gaïla suivit le regard des Lanas sur la table des Lanos qui, aujourd'hui, n'en était pas tellement une. Dans le cadre des négociations du pacte de coalition, les nobles Conseillers du Peuple avaient organisé un banquet d’honneur pour célébrer cette union. S'étaient ainsi vus invités les dirigeants de Kanad, ainsi que celui de Merica, le quarante-huitième Château.

Qui était une femme.

De longs débats avaient émergé de ce détail singulier – devait-on la placer avec les femmes, puisqu'elle en était une ? Avec les dirigeants, puisqu'elle en était également… une ? Les Conseillers du Peuple avaient finalement opté pour la seconde option, ce qui était très troublant. Et l'absence de lien au cou de cette femme n'arrangeait pas l'étrangeté de la situation.

— Regardez un peu comme elle minaude, siffla Lana Dalid, cette femme est une véritable traînée. Comment a-t-elle pu se retrouver à la tête d'un pays ?

— Très chère, vous venez juste de répondre à votre propre question, gloussa Lana Dolly.

Sa remarque entraîna une salve de rires cristallins chez les Lanas, qui dévisageaient encore le Château – la Château ? – avec leurs mains délicatement posées sur leurs lèvres comme pour faire croire qu'elles refrénaient leurs piailleries.

Gaïla enfourna un autre milano.

Le Château ne minaudait pas. Elle gardait une attitude tout à fait correcte, et si les Conseillers étaient effectivement embarrassés quand ils s'adressaient à elle, c'était plutôt à mettre sur le compte de sa poitrine généreuse qui ne permettait pas d'oublier son sexe. Les railleries des Lanas n'étaient dues qu'à la jalousie qu'elles lui portaient – ce qui reposait Gaïla – car le Château était une très belle femme, même pour ses quarante ans passés.

Gaïla elle-même était une très belle jeune femme, et ce n'était pas par vanité qu'elle le pensait – non, non, non –, simplement, il était des choses si évidentes qu'on ne pouvait les ignorer, et sa beauté en faisait partie. Pourtant, elle était loin de correspondre à l'idéal de beauté amalyen. Gaïla avait souvent entendu dire que son allure était semblable à celle des kanades, avec sa peau laiteuse et ses cheveux blancs, ce à quoi elle n'avait guère porté attention. Mais à présent qu'ils étaient là, c'était en effet troublant.

Gaïla était spéciale, voilà tout. Elle l'avait toujours su. Tous l'enviaient pour quelque chose, tous l'admiraient, la jalousaient, que ce soit pour sa beauté, son statut, ou sa jeunesse. Elle voyait leurs désirs comme des filaments argentés qui flottaient entre elle et eux. Ceux-ci étaient très faibles, presque imperceptibles – d'ailleurs, elle était la seule à les remarquer – mais ils pouvaient parfois s'intensifier, en de rares occasions. À cet instant, les minces fils argentés, quasiment évanescents, tissaient comme une immense toile d'araignée entre elle et les convives en la plaçant au centre de ce réseau lumineux.

Ce phénomène l'accompagnait depuis son plus jeune âge, sans que Gaïla ne s'en questionne spécialement - mise à part cette unique fois où elle avait interrogé son oncle à ce sujet.

"Mon milano, de quoi parlez-vous ?"

Telle avait été sa réponse, et il n'en avait pas fallu plus à Gaïla pour se figurer qu'elle était tout simplement spéciale et les autres tristement communs.

Les Lanas poursuivaient leurs commérages, tantôt sur le Château, tantôt sur son pays, et Gaïla enchaînait les milanos.

— Ils n'ont aucun savoir-vivre, saviez-vous que cela fait à peine dix ans qu'ils ont un système de canalisation ?

— Ils se lavent à l'eau froide, s'esclaffa l'une d'elles.

— Et cette nourriture, soupira une autre, on raconte qu'ils savent à peine cuisiner… Oh, et leurs chants ! Ils sont d'une tristesse, c'est à faire pâlir n'importe qui.

Une fois encore, les regards se tournèrent vers Gaïla. Elle faisait tache au milieu de ses compatriotes : ils avaient tous un teint hâlé et des cheveux pareils à des fils d'or qui captaient les reflets du soleil amalien. Son exotisme lui venait de sa mère, dont elle était le portrait craché, d'après ceux qui l'avaient connu.

Gaïla piocha, non pas un, mais deux milanos qu'elle goba en même temps. Elle avait quasiment vidé le plateau.

— Gaïla, très chère, hoqueta Lana Dolly, peut-être devriez-vous laisser ces friandises tranquilles, avant de ne plus pouvoir rentrer dans vos robes.

Gaïla afficha un sourire serein, tout en prenant les derniers milanos dans sa main.

— J'aurai l'occasion de rendre visite à votre couturière, dit-elle calmement.

Les Lanas se détournèrent d'elle, les lèvres pincées, et non sans un regard de dégoût envers la poignée de milanos qu'elle décida d'enfourner d'une traite.

Les vieilles Lanas s'affamaient toutes, comme si cela pouvait effacer les rides – toujours visibles sous leurs couches de maquillage – et la bedaine laissée par leurs grossesses successives. Le statut de Gaïla la plaçait systématiquement en compagnie des plus nobles épouses, donc des plus âgées. Et des plus aigries.

Elles avaient toutes des seins flasques, vidés par l'allaitement, et des fesses plates à force des heures passées à ragoter, le derrière campé sur un siège de salon de thé. Leur lien était vert, un vert immonde qui signifiait qu'elles ne pouvaient plus produire d'héritier. Elles n'étaient même plus des femmes, à présent. Seule Lana Dalid portait encore un ruban rouge, mais plus pour très longtemps. Les Lanas avaient secrètement parié sur le temps qu'il lui restait avant de devoir le changer pour un lien vert, et Gaïla elle même avait misé une centaine de dalis pour moins d'un an – l'équivalent de deux mois d'argent de poche.

Les Lanas avaient changé de sujet. Gaïla les écoutait distraitement en mâchonnant – non sans mal – sa poignée de milanos.

— … des jambes étrangement longues, oui, j'en ai déjà croisé.

— Croyez-vous que leur armée avance plus vite, dans ce cas ?

— Ce serait logique, oui. Mais si les ropiens étaient compétents pour la guerre, ça se saurait, tout de même.

— On peut toujours avoir des surprises, regardez les rhushiens : ils se sont plutôt bien défendus contre les légions zianaises. Qui s'y attendait ? Peut-être les ropiens pourraient-ils se révéler compétents ?

— Vous oubliez qu'ils ont quand même perdu, très chère. Philios m'a affirmé qu'ils ont dû céder près d'un cinquième de leur territoire. Cela dit, c'était une surprise, je vous l'accorde, personne ne s'attendait à ce qu'ils ripostent aussi sottement.

La guerre, toujours la guerre, songea Gaïla en mâchonnant furieusement (le miel collait tellement aux dents !). Lasse de la discussion, elle se tourna vers les autres convives attablés.

Pour ce banquet, les Lanas s'étaient surpassées dans l'organisation – elles étaient aigries, mais avaient du goût, ça oui. Le menu, la décoration, la musique, le lieu : tout était somptueux. Le banquet se tenait au dernier étage de la Tour d'Horizon, dans une immense pièce en hémicycle aux larges ouvertures voilées qui dansaient avec la brise chaude. Sur le haut plafond voûté étaient peints d'or et d'argent les sirs stylisés des principes du Conseil du Peuple : famille, tradition, et honneur. Ils s'entremêlaient dans les dessins des paysages ruraux d'Amalys, qu'on apercevait au loin depuis la terrasse qui complétait la forme circulaire de la tour. Une dizaine de longues tables nappées remplissait la salle où avaient défilé les mets les plus exquis, préparés avec le plus grand soin pour l'élite amalienne. Ils restaient nombre de plateaux d'argent encore remplis de victuailles au milieu des chandeliers et des verres en cristal.

Tandis qu'elle s’efforçait d'ingurgiter ses restes de milanos, le regard de Gaïla glissa sur les yvils de service, effacés contre les murs à attendre de recevoir un ordre. Ils se tenaient tous la tête bien droite avec leur crâne rasé, mains dans le dos, leur regard glacial balayant les convives à l'affût d'un geste qui les appellerait. Gaïla frissonna.

Elle aurait souhaité que le Conseil ne soit pas si clément avec eux, qu'il les extermine tous comme Merica et Kanad l'avaient fait. C'était bien plus sûr. Mais non, il avait fallu que les Conseillers leur accordent une chance de rédemption par la servitude à laquelle ils s'étaient dévoués – mais franchement, comment la rédemption était-elle possible pour des individus comme eux ? De savoir qu'ils portaient une ceinture de chasteté sous leur robe blanche, elle en était à peine rassurée. Ils auraient au moins pu les stériliser.

C'était ce que certains Lanos faisaient d'ailleurs, pour s'épargner les coûts de ceintures. Mais pas l’oncle de Gaïla. Theolin Naïlen était un homme bon, il les traitait avec plus de respect qu'ils n'en méritaient, et il autorisait même certains de ses yvils à se reproduire.

Entre eux, bien entendu.

Et sous surveillance, évidemment.

La gorge de Gaïla s'assécha et les saveurs du milano se rancirent, lorsque son regard refusa de quitter l'un d'eux, hypnotisé par la noirceur qui en émanait. Ils avaient tous les mêmes yeux bleus, froids et vides. Comme si ils étaient morts, et qu'ils n'étaient plus que des corps seulement bons à obéir. Mais Gaïla avait peur. Elle avait peur qu'un jour, ils se réveillent. Qu'ils forcent la serrure de leur logis, puis celle de leur ceinture, et montent jusqu'à sa chambre. Qu'ils se vengent de leur asservissement sur elle, que leur nature meurtrière ressorte enfin, et qu'ils reprennent leurs horreurs là où ils les avaient laissé, un siècle plus tôt. Elle ne savait pas exactement comment, mais elle se doutait bien que la zone recouverte par les ceintures devait être sollicitée.

Elle parvint enfin à déglutir les restes de milanos. Et l'un d'eux croisa son regard.

Quel affront !

Une quinte de toux lui prit la gorge, elle se détourna précipitamment pour attraper son verre d'eau, la larme à l’œil. Mais même après plusieurs gorgées, la brûlure persistait dans sa gorge et la toux ne passait pas.

— Gaïla, vous allez bien ?

— Respirez, voyons.

Toutes les Lanas la regardaient, pas même inquiètes, simplement curieuses.

Elles espèrent toutes me voir m'étouffer.

Et c'est effectivement ce qui lui arrivait.

Gaïla se leva brusquement, trotta comme elle le put sur ses talons jusqu'aux portes vitrées de la terrasse qu'elle ouvrit à la volée. Les rumeurs du banquet et la musique s’effacèrent, elle se pressa à travers les jardins, les larmes coulant sur ses joues et le ventre retourné par les quintes de toux. Elle s'affala sur la rambarde, toussa, encore et encore, se cogna la poitrine du poing jusqu'à ce qu'enfin, ce maudit morceau daigne descendre dans son estomac.

Gaïla ferma les yeux, respira profondément. La brise du soir vint rafraîchir son front trempé de sueur, et elle resta là un moment, les mains agrippées à la rambarde, à simplement respirer. Elle écouta les murmures de la ville étendue à ses pieds, qu'elle pouvait décrire même avec les yeux fermés ; le canal qui la traversait, les voies de promenades de part et d'autre, les toits et façades à balcons qui tapissaient l'horizon en damiers colorés.

Des pas s'approchèrent. Ainsi qu'un cliquetis métallique.

Elle ouvrit les yeux en sursaut, se retourna toute affolée pour trouver un yvil derrière elle. Celui-ci baissa la tête dès qu'elle le vit.

— Lano Naïlen m'envoie prendre de vos nouv…

— Dehors ! Aboya Gaïla. Je veux dire… loin ! Partez loin !

Il s'exécuta aussitôt, la tête toujours baissée. Gaïla s’assura qu’il se soit bien éloigné, avant de se retourner vers la ville en un soupir.

Le tissu de sa robe ondulait doucement sous la brise – l'une de ses plus belles, spécialement choisie par son oncle pour l'occasion. Elle était taillée dans une coupe amalienne traditionnelle, cintrée à la taille et pourvue d'un large décolleté. La soie dont elle était faite venait directement des filatures les plus prisées d'Haffris, et symbolisait le statut ultime de la Lana. Gaïla lissa le tissu soyeux avec contentement, les yeux rivés sur Lianen.

Les pas revinrent.

— Je vous ai dit, martela Gaïla, de vous éloigner !

Puis elle se retourna. Elle porta la main à sa bouche en un hoquet de surprise.

— Je vous prie de m'excuser, dit Gaïla, le visage rouge de honte. Je vous ai prise pour un yvil, je pensais qu'il était revenu, jamais je n'aurais…

— Je me doute, en effet, qu'il s'agit d'une erreur.

Cet accent ! Elle parlait très fluidement, les mots se succédaient presque sans découpe les uns à la suite des autres. Sa voix était presque… chantante.

— Je trouve la température un peu trop élevée dans les pays d’été, mais au moins, le ciel est assez dégagé pour apercevoir les étoiles.

Le Château s'avança calmement jusqu'à la rambarde, le regard porté sur le ciel qui commençait tout juste à scintiller. Elle avait un port de tête digne de la plus noble des Lanas. Quel était son nom, déjà ? Quelque chose qui sonnait durement, comme tous les noms mericiens. Arak… quelque chose ? Arka… ou bien Anark… non, Arka… Arkaline ! Arkaline Mredi. Seulement deux noms, comme c'était curieux. Mais tout paraissait curieux chez cette femme. Cette allure, cette façon qu'elle avait de soutenir le regard des hommes – Gaïla l'avait observé – et surtout, l'absence de lien autour de son cou. Elle portait une longue robe au tissu épais, avec un col haut et des broderies dorées, ainsi qu'une petite poche sur son côté de laquelle elle sortit une boite aux reflets argentés. Elle l'ouvrit, et la tendit à Gaïla.

Des cigarettes rhushiennes. Son oncle en fumait avec les autres Conseillers à la sortie d'une réunion, souvent accompagnée d'un verre de vin haffrien.

— Les Lanas ne fument pas, dit Gaïla, merci.

Arkaline eut un étrange sourire alors qu'elle en portait une à ses lèvres. Elle craqua une allumette contre la pierre de la rambarde, et alluma sa cigarette, les traits de son visage éclairés par la petite flamme. Elle avait quelques rides aux coins de la bouche et des yeux et ne portait aucun maquillage, mais elle demeurait si belle… pas étonnant que les Lanas la détestent tant, elle était tout ce qu'elles n'auraient jamais pu être.

— Vous… ne portez pas de lien, hésita Gaïla.

Arkaline recracha une bouffée de fumée qui perdura dans l'air avant de se faire emporter par la brise, son sourire d'autant plus accentué.

— Ça vous perturbe tant… les femmes n'en portent pas à Merica, et je doute même qu'elles en portent autre part qu'ici. Mais c'est un très joli bijoux.

— Ce n'est pas un bijoux.

— C'est un collier.

— C'est un symbole.

— Alors c'est un très joli symbole. Bien que j'en trouve le sens affreusement laid. (Elle se tourna vers Gaïla, nonchalamment appuyée contre la rambarde – mais avec tant de grâce !) Que signifie le votre ? Si j'ai bien compris, les rubans blancs sont pour les jeunes filles à marier, les rouges pour celles qui le sont déjà, les noirs pour les veuves – mais le votre, blanc avec une perle rouge ? Je ne crois pas en avoir vu d'autre.

— La perle rouge signifie que je suis promise.

Arkaline ouvrit la bouche dans un « Ah ! » silencieux, puis tira sur sa cigarette, les sourcils froncés.

— Les hommes apprécient tant le sang… pas en lui-même, bien sûr, mais pour ce qu'il représente. À la guerre comme dans un lit, c'est celui qui est en position de force qui le fait couler. C'est ce dont ils sont persuadés, du moins. Saigner, c'est être blessé, être faible. La vue du sang nous rappelle notre statut de créature mortelle, que certains ont tendance à oublier, d'ailleurs. Peut-être devraient-ils saigner plus souvent, ainsi ils cesseraient de se prendre pour des dieux…

Gaïla attendit la suite, mais Arkaline se contenta de prendre plusieurs bouffées, le regard levé vers le ciel.

— J'ai bu beaucoup de vin ce soir, dit-elle après plusieurs minutes. Ne tenez pas rigueur de mes propos… enfin, faites ce qu'il vous plaira, mais ne m'en tenez pas pour responsable.

— C'est un honneur de pouvoir converser avec vous, Lana Mr… Me… Med…

Fichus mericiens.

Arkaline éclata d'un rire sonore, avant de se reprendre précipitamment, mais non sans laisser échapper quelques autres petits ricanements.

— De toute évidence, oui, parvint-elle à dire.

— Veuillez m'excuser, bafouilla Gaïla, je n'ai pas l'habitude des noms mericiens, et j'étais sincère, c'est réellement un honneur de discuter avec vous. D’ailleurs, permettez-moi de vous complimenter sur votre amalien.

— Je vous remercie, soupira Arkaline. Mais inutile de prendre de telles pincettes, j'ai moi même du mal avec les noms étrangers… Quel est le votre ?

— Gaïla Lorentina Naïlen, dit Gaïla en inclinant légèrement la tête sous le regard amusé du Château.

Elle jeta son mégot par dessus la rambarde et s'empressa d'allumer une deuxième cigarette.

— La nièce du Conseiller Naïlen, je suppose ?

Gaïla acquiesça.

— L’héritière du titre de Maître des yvils, fit Arkaline, songeuse. Votre futur mari sera bien chanceux de profiter d’une épouse si jolie pourvue d’un titre aussi noble.

— Un noble titre qui ne me servira pas, précisa Gaïla. Seuls les hommes peuvent prétendre au titre de Conseiller.

— C’est bien ce que je disais. Un futur mari très chanceux. J’imagine que votre oncle ne doit pas se ravir de voir votre titre lui échapper…

Gaïla ne répondit pas.

L'air s'était rafraîchi. Le banquet poursuivait son cours à l'intérieur, son halo de lumière s’échappait faiblement des vitres lointaines. Les hautes haies taillées isolaient les deux femmes des échos de la fête qui se répercutaient sur la terrasse verdoyante.

— Je suis veuve, déclara soudain Arkaline en soufflant sa fumée. Je me suis mariée très jeune, comme vous, et sûrement pour les mêmes raisons.

— Par amour ?

Arkaline toussa, d'une toux sèche et obstruée qui fit grimacer Gaïla. Cela lui enleva quelque peu de son charme.

— Loin de là, reprit-elle. Je me suis mariée par nécessité, l’amour est venu après. Êtes-vous vraiment persuadée de vos sentiments ?

— Évidemment.

Évidemment.

— Quel âge avez-vous ?

— Je ferais dix-sept ans dans deux mois.

— Dix-sept ans… vous êtes jeune. Sans vouloir semer le doute dans votre esprit, ne l'êtes vous pas un peu trop ?

— Non, non, non, assura Gaïla, justement, il faut se marier jeune. Plus jeune je me marie, plus tôt je ferais des enfants, et donc, plus nombreux ils seront. De plus, les lois amalyennes exigent que les épouses le deviennent avant leur dix-sept ans – et leurs prétendants également.

Arkaline marmonna quelque chose d'inaudible en tirant sur sa cigarette.

— Est-ce là ce que vous désirez ? Pondre toute votre vie ?

Pondre ? Comme si elle était une vulgaire poule !

— Je veux dire, par Vultur, vous êtes jeune, vous êtes belle, profitez-en. Faites des enfants après, quand vous aurez vécu de quoi leur transmettre. Votre mariage arrangé ne constitue pas votre seul honneur, et vous pourriez choisir n'importe quel homme – à condition de ne pas vous montrez trop intelligente, bien entendu.

— Ce n'est pas un mariage arrangé, c'est un mariage d'amour, vous ai-je dit. Et si je puis me permettre, j'ai l'impression que vous essayez précisément de semer le doute dans mon esprit. Ne faites pas de vos regrets les miens, s'il vous plaît.

Arkaline se tourna lentement vers elle. Elle continua de souffler, alors même qu'elle n'avait plus aucune fumée à recracher.

— J'ai bien peur que mes regrets ne deviennent précisément les vôtres. À dix-sept ans, on est trop jeune pour savoir ce que l’on veut…. et lorsqu’on apprend enfin à connaître ses désirs, il est trop tard pour se raviser.

— Et l’amour que vous avez trouvé dans votre mariage ?

— J’aurais préféré qu’il n’en soit rien. Les choses auraient été plus faciles… les choix moins regrettables… Comment croyez-vous que j’en suis arrivée là où j’en suis aujourd'hui ? Être Château, parler ici avec vous, qui plus est lors d’un banquet d’honneur entre nos deux pays. Croyez-vous que j’ai accédé à cette place en suivant ce que les autres voulaient de moi ?

— J'imagine… que vous avez dû fournir des efforts exceptionnels.

— Effectivement, mais pas dans le sens où vous l’entendez, dit-elle en haussant une épaule. Finalement, je n'ai eu qu'à… laisser faire. Vous savez, c’est en paraissant inoffensif qu’on peut se permettre d’être vraiment dangereux. Vous sous-estimer, c’est le plus beau cadeau qu’on puisse vous faire.

Elle jeta son mégot.

— Venez donc me rendre visite à Skiago, l'un de ces jours, dit-elle en s'éloignant. Maintenant que nos pays sont sur le point de s’allier, vous seriez accueillie comme une invitée de prestige. Peut-être que découvrir des mœurs différentes apportera… une nouvelle perspective sur votre mariage. Vos désirs. Bref, réfléchissez-y – mais gardez vos réflexions, souvenez vous. Bonne soirée.

Elle regagna le banquet, d'une démarche légèrement gauche. Comment Gaïla ne l’avait-elle pas remarqué plus tôt ? Cette femme était complètement saoule.

Gaïla frissonna dans la nuit. Sa robe était bien jolie, mais elle était faite pour être portée en journée. Elle aperçut l'yvil qu'elle avait renvoyé plus tôt – ou peut-être un différent, comment savoir ? Ils étaient tous les mêmes – s'approcher dans un cliquetis métallique en portant quelque chose dans ses bras. Quand il arriva devant Gaïla, il s'arrêta, le dos bien droit, et baissa la tête en lui présentant ce qu'il apportait. Il s'agissait de sa fourrure de vair – son oncle était si prévoyant ! –, dont elle s'empara en gardant autant de distance qu'elle put entre elle et l’yvil.

— Lano Naïlen m'envoie vous chercher, dit-il. Il vous attend près des ascenseurs, La…

— Oui, oui, c’est bon.

Sa fourrure sur les épaules, Gaïla contourna soigneusement l'yvil en direction des grandes portes vitrées. Elle traversa les jardins d'un pas pressé, en se retournant régulièrement pour s'assurer que l'yvil ne la suivait pas de trop près. À l'intérieur, les Conseillers raccompagnaient les dirigeants kanades, une poignée d'hommes assez vieux pour qu'on ait pu prendre le blanc de leurs cheveux comme signe de leur âge avancé, et non pour la couleur typique de ce peuple. Une bonne partie des convives s'en était allée durant la sortie de Gaïla ; elle ne vit pas le Château, ce qui la soulagea curieusement.

Gaïla prit le couloir au plafond décoré des peintures de paysages pittoresques. Des chandeliers accrochés au mur éclairaient d'une douce lumière les convives qui se dirigeaient également vers les ascenseurs. Le couloir s'élargit sur le petit hall où l'on attendait son tour pour accéder à l'une des cages dorées que les yvils actionnaient. Il y avait un groupe pour chacune d'elle, moulinant au tintement des cloches qui signalaient quand reprendre et s'arrêter.

Theolin Naïlen patientait sur le côté en saluant la foule qui défilait. Il portait une chemise de soie beige sous sa veste noire, et arborait autour du cou un foulard assorti au lien de Gaïla.

Dès qu’il l'aperçut le rejoindre, son regard s'éveilla et il lui tendit la main en un sourire.

— Comment allez-vous, mon milano ? Je vous ai vu vous échapper par les jardins, en fin de repas.

— J'ai été prise d'une quinte de toux, rien de grave, dit-elle en attrapant sa main.

Il étudia un instant son visage, puis afficha un sourire éclatant.

— Rentrons, dans ce cas.

Ils se dirigèrent tout les deux vers le premier ascenseur disponible – Theolin Naïlen était trop important pour attendre son tour. Une fois à l'intérieur, un yvil referma la grille et la cage commença sa descente sur fond de grincements mécaniques. Une plaque de verre constituait le côté opposé à la grille, et permettait d'admirer le panorama de la ville durant les voyages que Gaïla trouvait toujours trop longs malgré la distraction. Le fait d'être suspendue en l'air par la seule volonté des yvils était loin de la rassurer – le mécanisme était sécurisé, bien sûr, mais elle ne pouvait pas s'empêcher d'y penser.

Gaïla et son oncle retrouvèrent leur voiture à l'intérieur capitonné, et se mirent en route en une secousse.

— J'ai rencontré le Château, dit distraitement Gaïla en observant le canal défiler à travers la vitre.

Des arbres fruitiers le bordait de chaque côté des allées de promenades, éclairées par les lampadaires alimentés au gaz. Malgré l'heure tardive, il s'y trouvait encore quelques personnes en pleine balade, dont certaines en train de nourrir les cygnes voguant sur l'eau.

— Vraiment ? Quand ça ?

— Sur la terrasse. Nous avons discuté un moment, elle est… particulière. Mais je la trouve très…

— Quel gâchis, soupira Theolin, les femmes ne sont pas faites pour diriger. Vous êtes trop émotives, ce n'est pas bon pour prendre des décisions… même si celle-là s'efforce de ne pas le montrer. Quel plaisir peut-elle trouver à imiter les hommes ?

Gaïla se contenta d'observer la ville qu'ils traversaient, s'amusant à faire tourner la perle de son lien entre son pouce et son index. Son oncle ne s'attendait pas à ce qu'elle réponde.

— Je crois qu'elle a apprécié nos efforts pour la considérer comme un vrai dirigeant, continua Theolin, mais ce petit jeu est sacrément épuisant. Je me demande comment ils la traitent, là bas, je n'aimerais pas être à leur place… cette femme a l'air d'une castratrice. C'est ce qui arrive quand le père ou le mari ne tient pas son rôle comme il se doit – enfin, les mericiens ont des mœurs bien libertines, ce qui explique l'état de leur pays.

— Elle m'a confié qu'elle était veuve, révéla Gaïla.

Son oncle médita cette information, l'air songeur.

— On raconte qu’elle s’est attirée les faveurs de son défunt mari quand elle vendait ses charmes… et voilà que, des années plus tard, elle se retrouve à la tête d’un pays. On peut dire que le veuvage lui a bien réussi, soupira-t-il.

Theolin s'enfonça dans sa banquette tout en caressant son menton rasé.

— Comment avez-vous trouvé le banquet ? J'ai pensé qu'il était particulièrement réussi. Je crois que nos invités ont été impressionnés, même si c'est difficile à dire chez les kanades. Ils s'expriment très peu, mais d'après la demi-douzaine de bouteilles qu'ils ont vidé, je dirais qu'ils ont apprécié, oui.

— C'était somptueux, assura Gaïla, vraiment. J'apprécie beaucoup quand ils se tiennent à la Tour d'Horizon, les Lanas ont fait un très bon travail.

— Peut-être pourrions-nous organiser le mariage là-bas, qu'en dites-vous ? Cela vous ferait-il plaisir, mon milano ?

— Ce… ce serait possible ? Vraiment ?

Theolin hocha lentement la tête.

— Si cela fait votre bonheur, ce le sera. Que quelqu'un ose le refuser à ma nièce, et il découvrira que je peux mettre la diplomatie de côté le temps d'une joute.

Personne ne le découvrirait puisque, personne n'oserait, en effet, s'attirer les foudres de Theolin Naïlen.

— Je crois bien que vos robes sont – cessez de faire tourner votre perle, c'est agaçant – que disais-je ? Ah oui, vos robes ont dû arriver lorsque nous étions au banquet. J'ai demandé à Layn de les faire monter dans vos appartements. Vous pourrez y jeter un coup d’œil à votre arrivée, mais vous les essaierez demain.

La voiture finit par ralentir, signe qu'ils entraient sur le domaine Naïlen. Elle continua sa route, puis s'arrêta enfin devant la demeure où l'un de leurs yvils vint aussitôt les accueillir. Il était vêtu de la même robe blanche que les yvils de la Tour d'Horizon – c'était l'uniforme standard – avec des manches courtes, un tissu fluide taillé dans une coupe droite qui leur tombait aux genoux, et un décolleté triangulaire.

La maison des Naïlen était une bâtisse de bois blanc, dotée d’un grandiose porche à colonnes. Le balcon de la chambre de Gaïla, en forme semi-circulaire, se déployait au dessus du perron à mi-hauteur de la façade.

Les lueurs du logis des yvils se devinaient derrière les saules pleureurs : une simple maisonnette isolée au fond du jardin, où ceux-ci résidaient dès lors qu'ils n'étaient pas de service. C'était Nin, leur vieil yvil, qui en possédait les clefs et s'occupait de les enfermer là la nuit tombée. Lui même avait sa propre petite maison – qui tenait plus d'une cabane – adjacente à celle des autres yvils, ainsi donc que le privilège de ne pas avoir à y être enfermé. Gaïla avait questionné son oncle, quant à ses méthodes de gestion des yvils, car elle trouvait terriblement peu sécuritaire d'en confier la direction à un yvil lui même. Mais son oncle lui avait affirmé que c'était là le meilleur moyen pour les garder à l’œil.

Gaïla monta les marches avec hâte, pressée de découvrir ses robes, elle traversa le vestibule circulaire où l'imposant chandelier en cristal plongeait dans le puits formé par l'escalier.

— Gaïla, attendez-moi ! lui lança son oncle d'un ton amusé alors qu'elle arrivait sur le palier.

Elle trouva un porte-cintre campé au beau milieu de son boudoir, ainsi qu’une dizaine de housses épaisses. Les mains tremblantes d'excitation, elle ouvrit la première qui dévoila un satin blanc et soyeux, parsemé de dentelles et de perles. Son oncle arriva dans le petit salon alors qu'elle ouvrait une seconde housse, renfermant elle aussi une robe finement ouvragée et tout aussi splendide que la précédente.

— Mon oncle, c'est magnifique, souffla-t-elle en tâtant le tissu délicat.

Appuyé contre le battant de la porte, bras croisés, Theolin l'observait découvrir les créations d'un œil pétillant.

— Après tant d'années à vous tailler des robes, ce serait un comble si Nilda ne connaissait pas si bien vos goûts, nom d'azur.

Gaïla passa en revue l'intérieur des housses. Son exaltation grandissait à chacune d'elle. Le mariage serait parfait. Tout, tout serait parfait et, quoiqu'en dise le Château, c'était bien ce qu'elle voulait.

Alors que Gaïla reposait la dernière robe, son oncle s'approcha d'elle en la fixant de ce regard tendre qu'il lui destinait si souvent.

— Êtes vous satisfaite ? demanda-t-il en posant sa main sur sa joue.

Gaïla hocha la tête, posa sa propre main sur celle de son oncle.

Elle le voyait dans ses yeux ; cette lueur qui s'animait à chaque fois qu'il la regardait, elle semblait danser dans le fond de son regard, comme le lien argenté qui flottait entre eux deux.

Gaïla avait toujours été gâtée par son oncle. Il ne lui avait jamais rien refusé. Il l'avait couvert de robes toutes plus raffinées les unes que les autres, de bijoux, chaussures, chapeaux, sacs à mains à des prix exorbitants, il avait satisfait même ses caprices les plus insensés, comme cet oiseau exotique venu spécialement de N'dyal lorsqu'elle avait cinq ans, terrassé par le changement de climat au bout de quelques jours seulement.

— Vous êtes si belle, souffla Theolin.

Il déposa un baiser sur son front, puis retourna sur le pas de la porte après l'avoir fixé encore un instant.

— Que vos rêves soient doux, mon milano.

Lorsqu'il fut parti, Gaïla traversa son boudoir aux tons roses poudré pour rejoindre sa chambre aux coloris semblables. Elle referma la porte. S'appuya contre le bois. Soupira. Inspira.

— Layyyyyyn !

La petite porte de service dissimulée dans la tapisserie s'ouvrit dans la minute qui suivit. Layn, son yvile de chambre, déboula précipitamment accompagnée par les tintements de ferrailles.

— Dépêche toi de m'enlever ce corset, j'ai mal au ventre.

Son yvile était jolie – pour une yvile. Elle était très mince – évidemment –, son teint d'amalienne faisait ressortir ses yeux clairs, et ses cheveux châtains méchés d'or s'hérissaient timidement sur son crâne – de très beaux cheveux. La tonde du mois ne devrait plus tarder, d’ailleurs ; tout les yvils y passaient afin d'éviter les poux et autres désagréments liés à l'hygiène. De toute façon, Gaïla ne supportait pas l'idée que de simples yviles puissent entretenir leur chevelure – porter les cheveux longs était un privilège de Lana, et Layn était déjà assez jolie comme ça.

Gaïla monta sur le petit tabouret posté devant la glace, et claqua des doigts pour intimer à Layn de la rejoindre.

— Délivre moi de ce corset, je n'en peux plus.

Layn s'affaira, la mine sérieuse, comme tous les yvils. Elle aussi avait ce regard vide, mais parfois, Gaïla surprenait un éclat fugace dans ses yeux, lorsque Layn ne se rendait pas compte qu'elle l'épiait. Comme à cet instant, dans le reflet du miroir. Ses yeux bleus, rivés sur les lacets qu'elles dénouaient de ses doigts légèrement tremblants, brillaient faiblement, mais certainement.

Gaïla frissonna. Puis inspecta son propre reflet.

Eh bien, elle était toujours aussi mince, il n'y avait pas à s'inquiéter pour cet excès de sucreries. Elle continua de s'examiner dans le miroir : taille marquée, clavicules saillantes, pommettes hautes – elle se trouvait particulièrement belle ce soir – yeux et sourcils noirs, traits fins, lèvres…

Son reflet lui sourit.

— Swan ! glapit-elle.

Layn sursauta en jetant un coup d’œil au miroir.

— Le corset, siffla Gaïla, tandis que l'yvile reprenait de secourir son abdomen.

Quelle impertinence ! Encore un regard déplacé et elle serait bonne pour le fouet.

— Swan, soupira Gaïla en reportant son attention sur elle, j'aimerais me voir.

— Me voilà. C'est quasiment la même chose.

Qu'il était étrange de voir son reflet… ne pas la refléter. Pourtant, le reste de la pièce restait identique. Ses commodes, son balcon, son lit à baldaquin, sa coiffeuse… tout était à sa place, mise à part Layn, absente de cet envers. Swan y semblait seule. Sa présence provoquait un ondoiement de la surface du miroir, semblable à une eau pure.

— Elle veut ta mort, dit Swan en désignant Layn.

Gaïla était toujours déstabilisée de se voir faire ce qu'elle ne faisait pas. Et frustrée que Swan soit plus belle qu'elle, alors même qu'elles étaient identiques – ou presque.

— De plus en plus, reprit-elle.

— Arrête, dit Gaïla. Pas toi ! aboya-t-elle à Layn qui s'était figée.

Elle la surveilla du coin de l'œil tandis que Swan poursuivait :

— Tu le sais, voyons. Tu le sais. Tout comme tu sais que tu ne veux pas te marier.

Gaïla gémit quand Layn lui ôta enfin son corset.

Elle et Swan descendirent du tabouret pour enfiler leur chemise de nuit, et lorsque Gaïla alla s'asseoir devant sa coiffeuse, elle y retrouva Swan.

— Layn, brosse mes cheveux. Bien sûr que je veux me marier, c'est tout ce que j'ai toujours voulu.

— Mais tu ne veux pas te marier avec lui.

— Comment ? Et pourquoi est-ce-que je ne voudrais pas ? répliqua Gaïla.

Elle scrutait Layn, en train de brosser ses longueurs. Ses yeux étaient à nouveau vides.

— Parce que tu sais ce qu'il veux, répondit Swan. Et toi tu n'en veux pas.

— Non, je ne sais pas, soupira Gaïla, agacée. Je ne sais rien de ce que tu racontes, comme toujours.

— Tu sauras, bientôt. Tu finiras par y faire face. De toute façon, tu n'as pas le choix.

— Je veux ce mariage, dit Gaïla en tapant du poing.

Derrière elle, Layn continuait de brosser ses boucles blanches, concentrée dans son mutisme.

Swan prit un air grave et reposa son menton dans ses paumes.

— Mon enfant, ce que l’on souhaite et ce que l’on obtient sous souvent deux choses très différentes… assouvir ses désirs ne comble pas la frustration ; ça la creuse.

Gaïla prit sa perle rouge entre son pouce et son index pour l'y faire tourner.

— Eh bien, justement, je vais bientôt assouvir le mien. Et je… je serais comblée, je le sais.

Mais son reflet l'imitait. Swan était partie.

C'était elle, Gaïla Lorentina Naïlen, bientôt Gaïla Lorentina Theolina Naïlen, qu'elle voyait. Et elle semblait fatiguée. Sa peau luisait des restes de sueur de la journée, son maquillage s'était effacé par endroit, et elle distinguait même un bouton en train de faire son apparition sur son front.

— Va-t'en, ordonna-t-elle.

L'yvile hocha la tête, puis disparut en vitesse par la porte de service.

Gaïla jeta un coup d’œil au livre sur sa commode, Rudite de Passions. Elle aurait bien voulu faire monter un rudit de lettres pour qu'il lui lise, mais son oncle les avait congédié avant de partir pour le banquet. Elle resta donc assise à sa coiffeuse, à faire tourner sa perle. Elle avait encore la sensation de porter son corset.

Son oncle l'aimait. Et elle aimait son oncle, évidemment.

Et c'était une bonne chose, pour un mariage.

Pourquoi s'inquiéter ?

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