Chapitre 33 : Une invitation

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C'est avec le ventre grondant de faim que Layn reposa les deux paniers d'osiers sur la table de la cuisine. Avant même d'en examiner le contenu, elle se dépêtra de sa robe d'esclave pour la remplacer par une de celles de Lana. Le tissu soyeux et coloré retombait sur ses hanches en de multiples volants. Elle avait passé la majeure partie de sa vie à en examiner les fils délicats qui habillaient alors un autre corps que le sien. Ils s'entremêlaient avec soin et complexité, et n'avaient rien à voir avec l'espèce de toile si rêche qu'on lui avait imposé pendant ses vingt-cinq dernières années.

— Alors, on a quoi pour cette semaine ? S'enquit Milo en approchant.

Comme ceux de Layn, ses cheveux blonds couvraient son crâne de picots d'à peine un centimètre. En se penchant au dessus des garnitures, il se fendit d'un sourire qui creusa une petite fossette sur sa joue droite. Layn avait toujours envie de l’embrasser lorsque cette fossette apparaissait.

— Du poivre blanc haffrien ! S'ébahit-il en soulevant une petite fiole. Et ça c'est quoi… de la coriandre fraîche ! Et ça alors…

Layn chipa la boîte qui lui faisait de l'œil depuis son panier et se hissa sur la haute table pour s'y asseoir. Tout en observant son comparse décharger les bocaux et les paquets à mesure qu'il listait leur approvisionnement, elle enfourna un milano. Les yeux fermés, elle mâchonna la confiserie avec application… et retint un hoquet de nausée.

— Du gésier confit ! Continuait Milo. Merde, j'en perds ma ceinture ! Je vais nous préparer un… Layn ? Ça va ?

— Ouais, ouais, assura cette dernière en grimaçant.

Elle avait encore du mal avec le sucre. Son palais s'était pourtant vite habitué aux saveurs relevés – mais le sucre, ça ne passait pas.

Les yeux larmoyants, elle goba un autre milano.

— Son repas est prêt ?

— Juste là, répondit Milo en désignant une écuelle isolée.

Layn y jeta un coup d’œil. L’assiette avait l'air de contenir du plâtre.

La jeune femme ricana tout en laissant échapper quelque larmes, écœurée par le sucre.

— Je crois que je vais réessayer de lui parler, déclara-t-elle au bout d'un moment. Y serait temps d'avancer.

— C'est toi la cheffe, dit Milo sans se détourner des provisions.

— Et après, on couche ensemble ?

— Ouais, grave.

— Super.

Layn essuya ses joues ruisselantes, avant de reprendre une confiserie. Alors qu'elle retenait un autre hoquet, des pas se traînèrent sur le carrelage de la cuisine, et la voix d’Olga retentit :

— Y'a pu de vin…

— Si, on en a ! s'écria Milo en soulevant une bouteille d'un panier. Ah non, c’est du jus de cerise…

Une petite carte retomba sur la table sans un bruit.

— Merde alors, c'est quoi ça ? Fit Olga en saisissant le papier.

L’aïeule leva la carte devant ses yeux rendus flous par le vin. Une mince cicatrice courrait du coin gauche de sa bouche jusqu'à sa pommette – un cadeau de Lano pour avoir renversé un plateau alors qu'il était de mauvaise humeur.

— J'crois que c'est écrit en sir…

— En sir ? fit Layn en récupérant la carte.

Elle contempla les trois symboles, incapable d'en déchiffrer le sens.

— C'est pour elle, grogna-t-elle.

Le silence s'abattit sur les trois têtes perplexes.

— Ouais, je crois qu'y faut vraiment qu'on cause, dit Layn.


Gaïla referma sa mâchoire pendante.

— Layn va me recevoir ? Répéta-t-elle.

La vieille yvile à la cicatrice hocha la tête.

— Ouais. Dans le salon. Alors descendez.

Dans mon salon ! Songea Gaïla en suivant l’yvile.

Mais dès le pas de sa porte franchi, elle se stoppa. Qu’avaient-ils fait, nom d’azur ? De son boudoir, il n’en restait plus que son seul souvenir. Les meubles renversés au sol étaient pour beaucoup disloqués, entièrement vidés de leur contenu, les tapis retournés, les rideaux déchirés, et les tableaux… oh, les tableaux ! Leur toile éventrée pendait tout aussi tristement que le reste de la pièce donnait à pleurer.

Gaïla s’efforça de calmer son effroi, puis emboîta le pas à l’yvile qui marquait son impatience en tapant du pied. Mais la progression dans les couloirs ne fit que pincer son cœur de plus belle : déjà, le ménage n’avait pas été fait, au vu de la couche de poussière accumulée, et ensuite… la maison tombait en lambeaux, tout simplement. Sur son passage, Gaïla dut enjamber des vêtements, de l’argenterie, des brisures de porcelaine, des pages arrachées aux reliures de son oncle, et autres précieuses possessions ruinées. À la vue de ses œufs de Letshab renversés, elle s’apprêta à les repositionner quand la vieille yvile l’en empêcha d’un geste brusque.

— Au salon !

— As-tu au moins une estimation du prix de ces merveilles ? Siffla Gaïla.

— Cher ?

— Cher, oui ! Ils ont été crées par un joaillier des Ropes, et la pièce la plus abordable s’élève à plus de deux mille dalis !

Indifférente, l’yvile lui intima d’avancer d’un signe du menton.

En arrivant au salon, Gaïla s’efforça de garder une posture digne. Mais le tableau qui s’offrait à elle acheva de détruire les restes de son honneur. Sa dizaine d’yvils prenaient place sur les divans – très mal réagencés, en passant – tous vêtus d’étoffes dépareillées et de plus de bijoux que leur maigre corps ne pouvait en accueillir. Même un chien habillé d’une nappe aurait paru plus reluisant.

Ils avaient déplacé et retourné les meubles sans se soucier de leur valeur – ils dataient tout de même de l’époque baroque ! Des bouteilles d’alcool de la collection personnelle de son oncle jonchaient les tapis, rendus méconnaissables sous leurs taches diverses. Sur les murs, la seule toile encore accrochée, représentant Gaïla et son oncle, souffrait de furieuses ratures au niveau de leurs yeux et de leur gorge.

Gaïla déglutit. Layn, postée au milieu de ses semblables, montra du doigt un fauteuil à l’écart, dans lequel Gaïla s’installa sous les regards malfamés.

Ils sont tous réveillés…

— Tout ça ne durera pas, déclara Gaïla.

— C’est ce qu’on espère aussi, répliqua Layn.

— Vous ne pourrez pas me garder enfermée ici pour toujours. Dès que je sortirai, j’avertirai tout le monde de votre comportement, et vous recevrez la punition que vous méritez. Le fouet ne sera probablement pas suffi…

— C’était dans un panier, dit Layn en agitant une petite carte.

Elle lui lança. La carte s’échoua sur le tapis, à deux bons mètres d’elle.

— Ramassez, fit l’yvile avec un sourire suffisant.

Tout ses semblables affichèrent la même expression, les yeux brillants.

Gaïla ramassa donc dignement la carte avant de se rasseoir.

— Lisez, ordonna Layn. À voix haute.

— Les sirs ne se lisent pas, dit sèchement Gaïla.

Il y en avait deux, suivis d’une date. Le premier était celui de la famille Dalid. Le second était celui du Dalta, le lien blanc que les jeunes filles recevaient lorsque la nature faisait d’elles des prétendantes aux fiançailles. La date indiquait le troisième daysa d’octasha – dans seulement quelques jours.

— C’est une invitation ! Révéla Gaïla sans pouvoir cacher son enthousiasme. Les Dalid m’invitent à la cérémonie du Premier Lien de leur fille.

Les yvils s’échangèrent des œillades paniquées.

— Très bien, fit Layn, la seule qui ne soit pas décontenancée par la nature de la carte. Arrêtez de vous inquiéter, on avait exactement besoin de ça.

— Besoin de ça ? S’esclaffa Gaïla. Vous ne m’avez pas écouté, vous êtes finis.

— Je croyais qu’elle devait plus être invitée… fit un yvil en tordant ses mains cliquetantes de bracelets.

— On va faire quoi ? Lança un autre, les épaules affaissées.

— Cette cérémonie fait partie des rares évènements où les veuves sont invitées, les nargua Gaïla en agitant la carte.

— Calmez-vous, dit Layn d’une voix douce. ( Elle releva le buste pour toiser Gaïla ) Vous irez là-bas.

— Évidemment ! On s’inquiéterait de mon absence, dans le cas contrai…

— Et vous allez nous libérer.

— Comment ?

— Vous allez libérer tout les esclaves.

— Libérer tout les… mais je…

Et à voir son air, l’yvile était sérieuse, en plus.

— Même si je le voulais, je ne pourrais pas, décréta Gaïla. C’est simplement impossible.

— Vous avez le titre de Maître des yvils. Il faut juste faire passer une loi pour interdire l’esclavage.

Gaïla étrécit les yeux sur Layn et ses comparses enguirlandés d’or et de soie.

Puis éclata de rire.

— Vous trouvez ça drôle ?

— Très drôle, oui, merci. Une loi pour interdire l’esclavage, ricana Gaïla.

— C’est quoi qui est si marrant ? S’agaça Layn.

— Mmm, par où commencer ? Déjà, les yvils ne seront pas libérés. Premièrement, parce que vous n’avez pas expié les fautes de vos ancêtres – de toute évidence – et deuxièmement, parce que toute l’économie amalyenne est fondée sur vous. L’agriculture, la manufacture, les transports, le commerce d’yvils à l’étranger, les infrastructures qui fonctionnent avec la force de vos petits bras dégoûtants, la guerre, les travaux pu…

— On sait tout ça ! Hurla Layn.

Gaïla renifla.

— Hum, ensuite, on ne peut pas faire passer une loi juste comme ça. Ce sont les Conseillers qui les suggèrent, ils en discutent, ils votent, ils les font rédiger et évaluer par les rudits, ils les modifient en fonction de leur avis, et tout cela parfois plusieurs fois pour ne serait-ce qu’un simple décret. Et pour finir, le plus drôle… c’est que je ne suis pas un Conseiller. Même si tout ce que je viens de citer serait favorable à votre demande, je n’ai tout simplement pas le pouvoir de décider de quoi que ce soit.

— Ça, s’enquit Layn, c’est votre problème.

— Hum, non. C’est le votre. Enfin, plus pour longtemps, parce que dès que je me rendrai chez les Dalid…

— Vous allez convaincre les Conseillers de faire passer cette loi, poursuivit Layn. C’est vous qui avez le titre, y serait temps de l’utiliser.

— Convaincre les Conseillers ? Mais vous ne…

Ils ne comprennent rien… Mais tout ce que je dois faire, c’est me rendre à la cérémonie.

— Très bien, fit Gaïla. J’accède à votre requête. Je leur parlerai.

— Il vaut mieux pour vous, ouais. Façon, je crois que vous serez vachement plus convaincante avec ça sur vous, dit Layn en attrapant quelque chose derrière son dossier.

— Avec quoi sur moi ?


***


Gaïla se dandina avec gêne sur la banquette de la voiture. La respiration à demi-retenue, elle tâchait de se trouver une position confortable, mais ses efforts restaient vains. Non seulement cet attirail manquait cruellement d’hygiène, mais les lanières de métal appuyaient en plus douloureusement contre ses hanches et ses cuisses.

Lui faire porter ça, vraiment, était inhumain.

Que le Léviathan vienne tous vous faucher, songea-t-elle avec fureur en dévisageant Layn, assise sur la banquette en face d’elle.

— Cette ceinture n’était pas nécessaire. As-tu au moins songé que je pourrais m’en servir contre vous ? Et si je la montrais aux Conseillers, que crois-tu qu’ils vous infligeraient ?

— Allez-y, Lana, montrez votre cul aux Conseillers pour leur prouver à quel point vous êtes pas fichus de commander vos esclaves. Ça rétablirait sûrement votre honneur.

— Sale garce.

— Non, vous, sale garce. J’ai porté ça toute ma vie. Vous, c’est juste pour une journée. Enfin, si vous faites ce qu’on vous demande…

L’arrêt de la voiture indiqua qu’elles avaient atteint leur destination.

— Je reviendrai vous chercher, dit Layn. Amusez-vous bien.

À son arrivée chez les Dalid, Gaïla ne fut pas mieux accueillie que par ses yvils. Les regards dirigés vers elle semblaient même encore plus hostiles…

Elle portait une robe de veuve, noire, avec une coupe simple et sans agréments. Néanmoins, tout œil affûté en matière de style aurait pu remarquer l’allure exagérément bouffante du jupon. Gaïla en avait rajouté trois, en plus des deux qui constituaient déjà la tenue, dans l’espoir qu’ils atténuent les bruits de ferraille révélateurs.

Gaïla progressa à travers les jardins décorés de cerisiers, d’arbustes fleuris, et de buissons impeccablement taillés. Les tables rondes formaient des îlots colorés au milieu de la pelouse soignée, où les yvils allaient et venaient pour servir les invités. Bien sûr, on lui adressa quelques salutations polies, mais les sourires froids parlaient mieux que les mots. Elle se fit l’effet d’un nuage d’orage insolent venu troubler la quiétude du ciel bleu.

On la dirigea à sa table, seule, comme le voulaient les convenances. Autour d’elle, les convives discutaient gaiement en sirotant de la citronnade ou en piochant des amuses-bouches à l’odeur alléchante. Gaïla n’eut droit qu’à une assiette de crudités accompagnées d’une sauce fade. Même les vieilles veuves, toutes regroupées non loin d’elle, appréciaient le même repas que le reste des invités. Pour la première fois, Gaïla se sentait spéciale, mais dans le mauvais sens du terme. Assise seule avec ses bâtonnets de légumes et cette maudite ceinture sous sa robe, il était certain que personne ne désirait plus rien d’elle, à présent.

Profite-en pour réfléchir.

Comme l’avait si bien soulevé Layn, aborder sa condition auprès des Conseillers serait délicat. Il fallait d’abord qu’elle leur demande de s’entretenir en privé, qu’ils acceptent, qu’ils l’écoutent, et surtout, qu’elle parvienne à expliquer sa situation sans entacher le peu d’honneur qu’il lui restait…

— Ça fait beaucoup de jupons, lança une petite voix derrière elle.

Encore perdue dans ses pensées, Gaïla se retourna. Une fillette pointait son doigt sur le tissu de la robe, les yeux grands ouverts d’émerveillement. Elle n’était pas très jolie. Ni très gracieuse.

Gaïla renifla.

— Moi, j’adore ça les jupons, reprit la fillette.

— Ah oui ?

— Mais ma maman elle m’en met jamais autant…

— Ta maman a raison, répliqua Gaïla, tu es déjà bien assez grosse comme ça.

La fillette cligna des yeux, les lèvres tremblantes. Puis éclata en sanglots.

Ce qu’ils étaient sensibles, ces enfants.

— Lila ! S’écria une femme en l’apercevant.

Elle se précipita sur elle avec un regard noir pour Gaïla, puis entraîna la fillette plus loin.

Gaïla se détourna d’elles en songeant à ses propres enfants. Eux, ils seraient autrement plus beaux et plus gracieux, Gaïla y veillerait. Elle les coifferait et les habillerait pour qu’ils soient toujours les plus distingués.

Enfin… Si seulement…

Si seulement quoi ? Si seulement son oncle était encore en vie ?

Sa gorge se serra en réaction au vide de son absence. Le poids de la culpabilité s’alourdit encore lorsqu’elle se rappela des images aperçues dans ses yeux. Un frisson l’envahit. Gaïla devinait bien que toutes ces obscénités se rapportaient à la conception, mais… Non, elle ne voulait pas y penser.

Tout en applaudissant avec l’assemblée, Gaïla épia les tablées, à la recherche des Conseillers. En fait, un seul suffisait, maintenant qu’elle y pensait. Juste un qui l’écoute… mais lequel ? Lano Dalid était l’hôte, ça l’excluait d’emblée. Lano Golytlie… non, il n’avait jamais été très sympathique avec elle ; il lui fallait quelqu’un qui la tienne dans ses bonnes grâces. Son regard s’arrêta sur Lano Dolly. Un ami proche de son oncle, c’était parfait. Il serait sensible aux problèmes qui envahissait son domaine, à n’en pas douter.

La tête droite, Gaïla s’avança vers sa table en essayant d’adopter une démarche qui ne trahisse pas le port de sa ceinture.

— Gaïla, la salua Lano Dolly quand il l’aperçut.

Elle inclina légèrement la tête en ignorant les murmures désapprobateurs des autres convives.

— Lano, pourriez-vous m’accorder un instant en privé ? S’il vous plaît ?

Ce dernier fronça les sourcils, hésitant.

— S’il vous plaît ? insista Gaïla avec un sourire charmeur.

Enfin, Lano Dolly se leva. Tout deux s’éloignèrent des tables en direction d’un cerisier, à l’écart des rumeurs de la foule et des oreilles indiscrètes.

— Eh bien ? Qu’y a-t-il ?

— Je… Hum…

Lano Dolly haussa un sourcil.

— C’est à propos… du domaine Naïlen, se lança Gaïla. Je crois, Lano, que vous avez dû surestimer mes capacités à m’en occuper seule.

— Ah oui ? Dit-il en observant distraitement les convives.

— Oui. À vrai dire, je… hum, les yvils sont nombreux, et je suis seule pour les commander…

— Ah ! Un bon coup de fouet, ça règle tout les problèmes d’yvils.

— Oui, mais je…

— Allons, Gaïla, fit-il en la saisissant par la taille pour la ramener vers les tables. Ne craignez pas d’être trop dure, il leur faut bien ça, vous savez.

— Oui, mais…

— Votre jeune âge vous rend sûrement trop douce. Faites ce que je vous dit, et tout rentrera dans l’ordre, vous verrez.

— Oui, mais…

— C’était un plaisir, ma chère, conclut-il en s’éloignant.

Lano Dolly retourna s’asseoir avec un soulagement non dissimulé, laissant Gaïla là où il l’avait quitté.

Et maintenant ? Que devait-elle faire ? Essayer avec un autre Conseiller ? Mais si Lano Dolly avait montré une telle hâte pour prendre congé d’elle, il en serait certainement de même pour les autres… Les Lanas ! Bien sûr, entre femmes, ce sera plus facile ! Justement, elles étaient toutes rassemblées près d’un arbuste, probablement en train de pinailler sur sa coupe. Gaïla se mit en chemin et, comble de la perfection, elle croisa Lana Dalid au cours de celui-ci pour constater l’absence de rouge à son cou, enfin remplacé par du vert.

J’ai gagné mon pari ! Jubila Gaïla. Voilà qui faciliterait l’abordage des Lanas. Celles-ci, toutes concentrées sur le petit arbuste fleuri, ne la remarquèrent même les rejoindre.

— Hum, fit-elle doucement. Avez-vous remarqué le nouveau lien de Lana Dalid ?

Une demi-douzaine d’yeux ronds comme des billes se tournèrent vers elle, surmontés de sourcils si rehaussés qu’ils se perdaient presque dans les plis de leur front.

— Gaïla, dit froidement Lana Golytlie.

— Ma chère, c’est tout ce que vous trouvez à faire pour remercier vos hôtes de leur invitation ? Médire sur la maîtresse de maison ?

— Mais…

— On dirait bien que la solitude vous a fait oublier les bonnes manières, ajouta Lana Talïa.

— De… De toute évidence, oui, se confondit Gaïla. Veuillez m’en excuser, cela fait si longtemps que nous ne nous sommes pas vues.

— Depuis l’enterrement prématuré de votre mari, en effet.

— Je… En fait, j’espérais…

Tu as été trop subtile avec Lano Dolly, parle-leur plus franchement.

— J’espérais vous faire part d’un problème qui m’incommode terriblement, reprit Gaïla.

— Ah oui ?

D’après leur sourire moqueur, elle avait au moins réussi à éveiller leur curiosité.

— Voyez-vous, il s’agit de mes yvils. Le domaine Naïlen s’en retrouve…

— Ah ! S’esclaffa Lana Talïa. Gaïla… Vous avez déjà été incapable de garder votre mari plus d’une petite heure, ne nous dites pas qu’en plus, vous ne parvenez pas à maîtriser vos propres domestiques ?

— Et moi qui pensais qu’on ne pouvait pas tomber plus bas…

— Alors, c’est de cela qu’il s’agit ?

Gaïla se retrouva muette devant leurs yeux brillants de mesquinerie.

— N-Non, parvint-elle à dire. Non, bien sûr, je… en fait, je craignais… de leur administrer trop de coups de fouets. Je ne voudrais pas que leur travail en soit réduit, vous comprenez ?

— Ah.

Les Lanas affichèrent une moue déçue.

— Ils ont l’habitude, vous savez. Et si ils rechignent à travailler, exécutez-en un. L’exemple motivera les autres à redoubler d’effort.

— Entendu, acquiesça Gaïla. Je vous remercie.

Elle tourna les talons. Et alors qu’elle quittait les jardins des Dalid, le poids écrasant de l’échec, de la ceinture, et des regards appuyés sur son dos, poussèrent les larmes à ruisseler sur ses joues.

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