Chapitre 48 : Memento Mori

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Cinq ans plus tôt.


Kamu se trouvait dans un lieu étrange. Il était sur un îlot, entouré par des flots…

Un homme se tenait devant lui, assis en tailleur devant une table basse à damiers noirs et blancs – un échiquier, Kamu n’avait aucune idée de comment, mais il le savait.

Face à lui, l’homme le fixait de ses yeux bleus et vides. Il avait une courte barbe ainsi que des cheveux bruns soigneusement attachés.

Faust, c’était son nom. Ça aussi, il le savait.

— Cette fois, tu joue les blancs, lui dit Faust.

— P-Pourquoi ?

— Il n’y a que ça à faire.

— Est-ce-que… je suis mort ?

— Oui.

— Mais… comment puis-je rêver, si je suis mort ?

— Tu ne rêves pas. Joue. Tu te souviens des règles ?

Si je m’en souviens…

Kamu s’en souvenait, oui. En fait, il ne se trouvait pas ici : il s’y retrouvait.

— Je suis déjà venu, pas vrai ?

Il déglutit et avança un pion blanc.

— Est-ce-que… on… se ressemble, non ?

— En effet, répondit Faust en déplaçant un pion noir.

Kamu joua son tour.

Mais pourquoi devait-il jouer ? L’instant d’avant, il se trouvait dans le jardin, il…

— Qu’est-ce-qu’il se passe ? Murmura-t-il.

— Tu l’as dit toi-même, tu es mort.

Tout les deux continuèrent à jouer, et Kamu se rappela peu à peu de sa première partie.

— C’est la seconde fois que je viens ici… pourquoi ?

— C’est encore la même réponse.

— Mais comment puis-je… parler, et jouer, si je suis mort ?

— Ça, c’est parce que tu vas bientôt repartir.

— Repartir où ?

— Là-bas.

Kamu s’appliqua à jouer malgré son trouble, jusqu’à ce que Faust déclare :

— Échec et mat en quatre coups. La dernière fois, tu n’as pas su le voir. Est-ce-que tu peux, à présent ?

— Heu… la tour… m’oblige à avancer ma reine, dit-il après avoir réfléchit. Et… avec ce pion ici, je dois déplacer mon cavalier, et… avec celui-là ici, je suis foutu.

Faust esquissa un sourire.


L’odeur de la terre ramena Kamu à lui. La morsure du froid et la pluie la suivirent de près. Puis, ce furent les battements : trente-deux, exactement, dont sept tout près. Parmi eux, il y en avait cinq qui pleuraient.

Kamu se releva. Il cracha la terre qu’il avait dans la bouche en levant les yeux ; par delà le trou humide où il était assis, à moitié recouvert de terre, les sept cœurs bondirent dans leur poitrine.

— Kamu !

Une tignasse brune fondit sur lui pour l’enserrer avec force. Kamu passa ses bras tremblants autour de Molly pour lui rendre son étreinte, complètement perdu.

— M-Mais qu’est-ce-que… bredouilla-t-il. Je… Je suis mort…

— Le Père Cotard, sanglota Molly contre lui, il a dit que… il a dit que tu nous avais dénoncé pour qu’on aille au Puits, et que tu t’étais tranché la gorge… mais il a menti, pas vrai ? Pas vrai, Kamu ?

— Je… quoi ? Mais il… il avait promis…

Les voix de ses amis l’appelèrent en se précipitant autour d’eux, les yeux écarquillés. Costa, Kob, les jumelles… Comme Molly, des larmes striaient leurs joues et se mêlaient aux gouttelettes de bruine. Kamu remarqua la pelle que chacun d’eux tenait dans leurs mains.

— Éloignez-vous ! Dégagez ! Hurla une voix dans le vent.

Kob ignora les ordres des deux rudits, encore présents, et aida Kamu et Molly à sortir du trou. Enfin dehors, il se rappela qu’il s’agissait de la tombe de Mama. Le tapis était encore visible par endroit. Ses propres larmes jaillirent alors de ses yeux tandis que Molly sanglotait contre lui. Les battements s’amplifièrent à mesure qu’il prit conscience des évènements.

— Dégagez ! Insistèrent les rudits. Vous tous, à l’intérieur !

— Non ! Protesta Molly. Laissez-le !

Kamu tâta sa gorge. Elle était intacte – pourtant, une large tache brunâtre couvrait le devant de sa chemise.

Derrière l’abri, il entendait Claire-voix et ses cœurs – ils palpitaient tous si forts…

— Dégagez ! Hurla le rudit.

Il agita sa matraque en s’avançant vers Kamu, mais Molly resserra ses bras autour de lui, et Kob, Costa, et les jumelles se mirent entre eux et les deux hommes.

— Le Père Cotard a été clair ! Si à son retour, l’yvil n’est pas enterré…

— Mais il est vivant !

— On peut arranger ça, siffla le rudit.

Il frappa Costa d’un coup de matraque. Le garçon tomba au sol avec un cri inarticulé.

— Non ! Hurla Kamu. Arrêtez… Pourquoi…

Vultur hurlait, hurlait… et les battements frappaient, frappaient… Ils poussaient quelque chose dans son esprit, quelque chose qui était sur le point de céder.

Kob se jeta sur le rudit. L’autre homme s’avança en pointant sa matraque sur Irana, tandis que son collègue luttait avec Kob.

Costa, toujours au sol, ne bougeait plus.

— S’il vous plaît, sanglota Kamu.

Ils criaient tous si fort : ses amis, les rudits de paix, Vultur, les trente-deux battements… ceux-ci s’amplifièrent encore, tambourinant sans relâche à l’intérieur de son crâne et, très vite, ils surpassèrent tout les autres bruits.

Kamu hurla.

Le silence le frappa comme la foudre. Il cessa de respirer.

Toutes les silhouettes s’étaient figées. Il n’y avait plus que le vent qui sifflait. Dans ses bras, Molly avait cessé de pleurer. Puis, le poids de son corps contre le sien s’évanouit, et il se retrouva à enserrer une silhouette de cendres. Celle-ci persista durant une fraction de seconde, avant de se dissoudre dans une bourrasque de poussière fumante. À la place de ses amis et des rudits, les cendres tournoyaient dans le souffle de Vultur.

Kamu reprit sa respiration. La pluie martelait ses joues. Hébété, il regarda ses mains, posées sur Molly encore une seconde auparavant. Il regarda autour de lui, il écouta.

Rien, il n’y avait plus rien. Les trente deux cœurs s’étaient tus. Les trente-deux cœurs avaient disparu. Glacé jusqu’aux os, Kamu passa une main fébrile sur sa gorge, encore une fois, mais il ne rencontra que sa peau immaculée. Machinalement, il glissa son pouce sous sa manche gauche et le remonta le long de son avant-bras. Mais comme tout le reste, sa marque avait disparu.

Vultur l’étreignait de ses rafales, seul à percer le silence parmi les cendres.

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