Chapitre 50 : Il dansait

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Ce putain de vent… Maze ne le supportait pas. En fait, il ne supportait pas grand-chose dans ce pays de sauvages. Déjà, les femmes blafardes étaient nettement moins belles que les zianaises – trop pales, trop plates. Ensuite… qu’avaient donc les mericiens avec le bois ?

Devant lui, l’allée bordée de petits immeubles marronnasses ressemblait parfaitement à celle qu’il venait de quitter. Tout ce bois… cette couleur qui se répétait partout où il posait les yeux… c’était si… insipide. Comme les femmes et le ciel monotone, cela dit. Oui, ce pays s’accordait à être le plus insipide possible.

Évidement, les rues étaient vides, à l’exception des soldats zianais qui prenaient connaissance des lieux et des troupes de patrouilles – il semblait que le Château ait fui la ville avec tout ses sujets. Enfin… les plus importants, du moins, parce qu’il restait tout une pelletée d’habitants en train de pisser de peur dans leurs haillons.

Maze s’arrêta devant une façade insipide. Il n’était même pas sûr que ce soit l’endroit qu’il cherchait. Un symbole était peint sur une enseigne, mais pas moyen de le comprendre. Certes, Maze détestait la lecture, mais l’alphabet restait quand même plus pratique que ces idéogrammes à la mords-moi le nœud.

L’équivalent d’un hôpital, qu’on lui avait dit. Maze grogna, et poussa la porte. Quel ne fut pas son soulagement quand il aperçut des médecins et des soigneurs – mais pas un seul de ces bouseux aux vêtements colorés.

— Je cherche le général Rhysan, dit-il à une jeune et jolie médecin.

— Par là.

Encore heureux qu’on eut apporté des femmes zianaises ! Maze la suivit au travers de petits couloirs insipides, jusqu’à ce qu’elle le mène à ce qui devait être une chambre. La porte s’ouvrit avant qu’il n’ait pu approcher sa main de la poignée. Une blafarde à la robe rose en sorti.

Une blafarde, oui… mais celle-là n’était pas insipide. Du tout.

Malheureusement, elle passa devant Maze sans même le voir. Et il ne manqua pas de la regarder s’éloigner.

— Qu’est-ce-que… je croyais que tout les rudits avaient fui ?

— Pas tous, répondit la médecin.

— Mais qu’est-ce-qu’elle fiche encore ici, celle-là ?

— Les malades sont restés ici. Nous avons investis le bâtiment pour profiter des aménagements adaptés, mais il était déjà occupé par beaucoup de mericiens…

— Et alors ? Virez-moi ces bouseux ! Est-ce la chambre du général ou d’un de ces sauvages ?

La médecin fronça le nez.

— C’est bien la chambre du général. Et nous n’allons virer aucun malade.

— Très bien, très bien… mais si c’est la chambre du général, qu’y faisait-elle ? Mmm ?

— Apparemment, elle veut aussi soigner nos soldats.

La médecin haussa une épaule, puis se détourna.

Maze soupira et entra dans la pièce.

L’odeur le frappa. Il régnait un curieux mélange de miel et de relents corporels. La pièce ne comportait qu’une table et un lit, ainsi qu’une sorte de récipient posé au sol… Sainte Merde, est-ce-qu’il s’agissait d’un pot à pisse ?

Putain de blafards.

— Mon vieux, soupira Maze en s’approchant du lit.

Un drap remontait jusqu’à la poitrine nue et perlée de sueur de son ami. Il respirait avec la bouche, bruyamment et de façon irrégulière. Un pansement couvrait toute la partie droite de son visage – la teinte légèrement plus foncée au niveau de son œil suggérait que le sang imbibait les premières couches.

Ixam entrouvrit son œil gauche en gémissant. Si il n’avait pas été dans un tel état, Maze lui aurait bien dit « ça t’apprendra à blasphémer ». Mais, de toute évidence, Ixam n’était pas en mesure de recevoir le moindre reproche.

— Ils nous attendaient, dit-il dans un râle obstrué.

— Ouais, c’est ce qui semble. On pense à un traître chez les éclaireurs, mais ils ont tous été retrouvés morts, alors…

— Et le Danseur ?

— Bah… il est à sa place, apparemment. Le Château a pas cru bon de l’embarquer avec elle… je sais pas si c’est mauvais signe ou pas, mais j’y vais tout à l’heure pour voir de mes yeux ce… cette… ce, hum, truc. Je reviendrai après qu’on l’ait décroché.

Ixam acquiesça de façon presque imperceptible.

— Si tu voyais ta gueule, dit Maze d’une voix blanche.

Un sourire endormi se dessina sur les lèvres sèches de son ami.

— Ça, Maze, c’est le visage de la Guerre.

Ce dernier laissa échapper un sifflement admiratif.

— Alors, je sais pas si c’est le pavot ou la douleur, mais t’es sacrément entamé, mon pauvre. Ah oui, tiens, j’allais oublier…

Maze décrocha de sa ceinture l’un de ses fourreaux d’où saillait le pommeau taillé en forme de tête d’aigle. Il le déposa sur la table après avoir hésité un moment.

— Je sais que tu y tiens, dit-il.

Ixam maugréa quelque chose d’incompréhensible.

— Mon pauvre, soupira Maze, décidément, cette bouteille de pinard se fait encore désirer… pourtant, je crois qu’on l’a bien mérité, cette fois. Guéri vite, hein, qu’on célèbre la victoire comme il se doit. Aller, je repasse tout à l’heure.

Maze attendit une réaction, qui ne vint pas.

Il quitta l’hôpital insipide pour se retrouver à nouveau sous la pluie et le vent. En suivant les indications fournies, Maze arriva en vue d’une immense place. Deux imposants bâtiments s’y trouvaient, et eux, en revanche, avaient de l’allure – les mericiens avaient-ils donc un semblant de goût et d’ambition, finalement ?

Celui qui se trouvait à sa droite était construit tout en hauteur, dans un enchevêtrement complexe d’arcades et de voûtes de pierres sombres. Une partie de son toit, composé d’une multitude de petits carreaux de verres colorés, prenait la forme d’un immense dôme contrastant splendidement avec la grisaille du ciel. Ses longues fenêtres en arcs brisés présentaient elles aussi ces carreaux colorés. C’était donc ce qu’on appelait le Dôme Savant, là où les blafards gardaient enfermés leurs sciences et leurs connaissances à l’écart de la population. Une coursive entourait l’édifice, décorée de statues aux visages sérieux. Elle bifurquait à gauche en ligne droite pour rejoindre le seconde bâtiment – tout récent d’après la teinte claire de la pierre – et semblait également en faire le tour. Celui-là prenait la forme d’un arc de cercle sur cinq étages, plus petit que l’autre, mais pas moins impressionnant.

Maze se dirigea vers la coursive qui traversait le fond de la place – là était ce qui l’intéressait, ce pourquoi ils étaient venus. Un immense arc en son milieu laissait pendouiller une silhouette oscillant faiblement sous le vent. Une petite foule de soldats s’y amassait. Maze s’y fraya un chemin.

Ses pieds pendaient à trois mètres au dessus du sol. Il était recouvert d’un long manteau qui battait l’air et ruisselait, et il avait les mains attachées dans le dos. Sa tête reposait mollement sur le côté, inerte, comme on pouvait l’attendre d’un pendu.

— Il a bougé ? Demanda Maze à un soldat.

— Pas depuis que je suis arrivé…

L’attroupement attendait, la mine sceptique et les yeux rivés sur cette sombre silhouette.

— Peut-être qu’il a fini par mourir, après tout ce temps ? Suggéra quelqu’un.

Après dix années resté accroché à une corde, c’est également ce qu’on pouvait attendre d’un pendu. Cela dit, le cadavre ne datait clairement pas de dix ans ; il était tout frais. Le malheureux ne s’était même pas encore chier dessus, et sa peau qu’on apercevait aux travers des mèches folles donnait l’air relativement saine – pour un blafard, bien entendu, même si celui-ci n’était pas aussi blafard que les autres.

— C’est pas lui, dit Maze. Ils ont dû l’emporter avec eux et le remplacer par un…

Les hoquets surpris des soldats couvrirent la fin de sa phrase.

— Par le Tout-Puissant…

Le pendu bougeait, il bougeait, oui ! Sa tête s’était brusquement relevée, et voilà que tout son corps se tordait et s’agitait en se balançant frénétiquement. Ses pieds donnaient des coups saccadés dans le vent. Sa silhouette s’arquait et tressautait avec l’énergie du désespoir.

Il dansait.

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