L'orée de Grand-Route

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Si je meurs, qui me trouvera dans cette forêt sans fin ? Tant pis, elle est tellement jolie. J’ai retrouvé ce creux qui m’a déjà enchantée. Tout au fond, je suis un être minuscule parmi des arbres sans mesures. Je suis une fourmi et je cherche une route.

Il y a quelques jours, quand j’ai abordé seule la forêt, ce fut pour retrouver le chemin d’en-bas et sa passerelle de bois. La rivière qu'elle traversait restait une frontière que je n’osais pas franchir. La voie me conduisait toujours vers le retour. Avec le temps, la passerelle s’est endurcie et j’ai traversé.

Un gorge-rouge jouait à saute-branches et je me suis engagée dans la partie. Il m’a montré des hommes et des enfants qui couraient avec leurs chevaux et leurs chiens. Au-deçà de leurs barrières, ils ne nous voyaient pas. Beaucoup plus loin, l’oiseau m’a montré une colline que je n’oserai jamais franchir.

Dans ce creux retrouvé, j’écoute les sons et les couleurs. Ils prennent du volume, de l’ampleur : une branche qui craque, des feuilles qui frottent, un oiseau ou un insecte, un chant qui me reste. C’est mon abri maintenant, un bouclier quand il sera verdoyant. Ici c’est beau, c’est grand, c’est empreint de vie, de vibration partout. Je la sens dans l’espace, entre le reste et moi.

Les hommes et leurs compagnons laissent des traces profondes après leur passage. Au retour du creux, je trouve deux chemins cavaliers, que dis-je, deux avenues qui se croisent. Je cherchais une voie et maintenant, j’en ai quatre et je commence à fatiguer. Plus aucun chant ne traîne, c’est le silence, je baille un peu.

  • Crôa !

Je ferme les yeux et je pense que… rien, je suis lasse.

  • Cro-a, crôa !

Cette fois avertie, je lève le nez et je découvre un clan de corbeaux perché sur toutes les basses branches du croisement. Leurs gros becs pointent vers moi tandis que leurs regards oscillent d’un bord à l’autre de leurs têtes noires.

« Ça y est, c’est fini ? »

Le plus gros, le plus vieux et le plus brillant d’entre eux a déposé cette phrase dans mon esprit comme une pièce tombe dans un nourrain. J’ai bien entendu un croassement mais j’ai compris une phrase. Cet extraordinaire contact m’a sortie de ma pauvre condition et je me sens enliée avec tout autour.

« C’est fini quoi ? »

Ma réponse lui est retournée sans le vouloir ; elle vient du cœur. Je découvre avec stupeur que ce dialogue est silencieux. Révélant mon ignorance au corbeau, un clignement de son œil me dit qu’il m’avait devinée.

Tout le clan s’envole sans au revoir. Après quelques froissements d’ailes, ne subsistent plus que le vieil oiseau et moi. D’un regard alterné puis incliné, il m’adresse :

  • Tu te blesses les coussinets.
  • Oui, mes pieds me font mal.
  • Où vas-tu si loin ?
  • Je cherche mon chemin.
  • Te sens-tu perdue ?
  • Oui.
  • Alors, tu es arrivée.
  • Je voudrais retrouver mon nid.
  • Il est là, tout autour, où tu voudras, Grôa !

Il s’élance, tombe un peu, écarte les ailes, les agite mollement, survole le chemin du sud puis disparaît plus haut, vers le soleil.

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