La racine

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Nous dévalâmes en cascade au coté des flots impétueux de printemps, froids de fonte. Le torrent entaillait la montagne pour la mettre à sang. La grosse roche vomissait des eaux alourdies par leur chute sans fin. Sitôt passée la marche, la chute venait s’écraser sur la suivante, ne laissant à la roche qu’une nouvelle chance. La flore et la faune se tenaient à respect, loin du vacarme de l’abîme. Sans procès, la sente nous fit la surprise d’un écart inespéré vers le silence d'un sol plat. Nous profitâmes de la pose pour nous restaurer et, comme nous ne manquions pas d’ardeur, surtout nous réchauffer. Samara prit l’initiative de repartir. Nous fîmes une promenade le long d’une zone humide et calme. Elle changea subitement de direction.

  • Je vais traverser ce gué. Vous venez ?
  • C’est très inattendu mais je vous suis, Mademoiselle.

Une passerelle de bois vert franchissait un ruisseau clair. Au-delà, des rochers arrondis attendais que nous traversions. Sitôt fait, Samara emprunta la voie de droite, un sentier creusé, profondément arboré, qui montait un escalier de pierres en tournant à gauche. Là-haut, un chemin de moussée en faux-plat conduisit mon regard vers un magnifique mesnil de petits murs blancs. Le chemin de cour, tapissé de graviers, crissa sous nos pieds. Enfin, la porte d’entrée s’ouvrit avec je ne sais quelle clé.

  • Vous arrivez à y croire, vous ?
  • À quoi, Samara ?
  • Nous ne pouvons pas avoir fait cela.
  • Dites-m’en plus parce que…
  • Regardez dehors.

Mon regard s’enfuit aussitôt. Au-delà de la baie de fenêtres, des champs vert-doré couraient à l’ascension d’une montagne lointaine, perdue dans l’éther. Sa forme unique, majestueuse et indifférente, je la connaissais. Je la reconnaissais pour l’avoir approchée et arpentée en quête de Samara. Passé l’éblouissement, je tournais mon attention vers la demoiselle. Elle était profondément choquée, déphasée par le décor, devenue toute ronde de la tête, des yeux et de la bouche. Je fus impressionné par les dimensions de la maison. Au milieu, le tronc d’un vieil arbre desséché et sans écorce s’élançait vers le toit.

  • Rien n’a bougé. Les épices sont bien rangées.
  • Mademoiselle, la montagne là-haut…
  • Holà ! Ces oignons n’ont pas attendu pour pousser.
  • Dites-moi, la montagne là-haut…
  • Et si nous faisions une salade printanière ?
  • Puisque vous ne répondez pas, faites comme chez vous.
  • Nous y sommes, preux compagnon. Ne le voyez-vous pas ?

J’eu une impérieuse envie de vomir. Je ne comprenais pas comment nous avions franchi tout cet espace alors que le soleil déclinait à peine vers l’orange. Heureusement, j’étais tellement affamé que je ne puis rien résoudre.

Samara faisait des courants d’air. Elle sortit, laissant la porte ouverte, à la cueillette de feuilles tendres dans le jardin qui bordait la maison, jusqu’à l’enclos. Je profitais de cet instant de solitude pour faire le tour du paysage, de tous les horizons en large. Elle revint avec des radis roses, deux jeunes salades et quatre œufs qu’elle me tendit.

  • Faites-en bon usage. Moi, j’enlève mes chaussures.

J’imaginais que je devrais faire sans pain ni beurre. J’éminçais un oignon et le mis à frire doucement dans une huile vierge. Je vidais les œufs dans un saladier sauf un jaune dans une jatte à part. Je le montais aussitôt en mayonnaise avec la moutarde trouvée dans une jarre. Bon sang ! Tout était à portée de main. Sel, poivre, vinaigre et condiments. Et c’est ainsi, radis équeutés en gourmandise et salade en fondue sur omelette chaude que nous passâmes à table. Samara venait de dénicher, à mon plus grand contentement, une boîte de pain de guère.

  • Vous n’avez pas répondu, Madame.
  • Je vous vois venir avec vos tourments.
  • Nous n’avons pas franchi tout cet espace. C’est impossible.
  • Voyez autour de vous, nous l’avons fait.
  • Donc, nous avons pris un raccourci et puis nous voilà.
  • Vous souvenez-vous d’avoir passé un franchissement ?
  • En effet, j’ai eu le sentiment d’une arrivée après…
  • Vous suggérez la passerelle de bois vert ?

C’était sensé après tout. Samara avait déjà fait preuve du don de faire apparaître des ponts pour traverser les courants. J’étais loin d’imaginer qu’elle en fisse usage aussi spontanément.

Le menton posé sur une paume, elle rota.

  • Vous avez l’heur d’avoir apprécié ma cuisine, Samara.
  • Je vais vous conduire à votre chambre d’hôte, mon ami.
  • Tout compte fait… si je pouvais avoir la chance.
  • C’était frugal mais suffisant, merci.
  • Madame, vous prenez subitement de la distance.
  • Je crois que vous allez en prendre plus que moi.

Elle m’invita à passer le rideau lourd du couloir de la maison. Celui-là était flanqué de quatre portes. Quant au fond, la lumière s’y perdait. Samara désigna les deux premières et me tendit la lampe.

  • Cette chambre est la mienne.
  • Donc, celle-ci la mienne.
  • J’avoue ne pas savoir ce qu’il y a dans la vôtre.
  • Ne vous en faites pas, j’ai la lampe.
  • Peut-être, mais c’est la chambre de Gweb.
  • Attendez.
  • Je suis lasse. Donnez-moi un baiser que je vous quitte.

Elle disparut dans l’obscurité, et sa porte se referma. Il me restait à ouvrir une voie vers l’inconnu. J’adressais un vœu à ma bonne étoile tout en tournant la poignée. Et elle resta close, impossible à ouvrir, simplement comme ça, au pire moment. J’étais stupéfait, pétrifié dans le néant, ne sachant même plus penser, interdit par l’aspect absolument imprévisible de cette énigme.

La flamme de la lampe oscilla, et sur les montants de la porte, deux pièces rectangulaires brillèrent d’un rouge cuivre ; sauf deux petites taches vertes. J’appuyais aussitôt sur elles quand un cloc se fit entendre. Je poussais l’huis qui grinça secrètement, béant dans le noir.

À l’intérieur, il faisait très sombre. La lumière ne touchait rien à plus d’un pas ou deux. J’en osais à peine un troisième. Je levais ma lampe au plus haut, la pièce se révéla juste un instant puis retourna dans l’ombre quand elle rendit l’âme. Pas de panique, j’ai tout en mémoire, me dis-je.

  • Cette chambre est la tienne.

J’étais décoiffé, comme hérissé. Tout ce que je compte pour poil sur moi se raidit finie la phrase, la fin des mots venus de je n’en sais rien. La voix était grave, très feutrée et presque chuchotée à mes êgourdes. Pour être précis, je l’ai entendue deux fois en même temps, à gauche et à droite. Finalement assourdi de curiosité, je me suis entendu lui répondre :

  • J’en prendrai volontiers possession pour la nuit.
  • Alors, allonge-toi et dors, tu en as vraiment besoin.
  • Où êtes-vous Gweb ?
  • Je suis à un pas d’ici.

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