5 · Obscurité fébrile

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Eldria se réveilla subitement. Il régnait une obscurité presque absolue dans la petite cellule qu'elle partageait avec Dricielle pour leur première nuit en captivité. Le silence était en revanche complet, presque écrasant. Elle se redressa tant bien que mal et se massa le dos. Le sol de terre battue, que la fine paillasse sur laquelle elle dormait peinait à amortir, la faisait souffrir. Par miracle, elle avait pourtant réussi à trouver le sommeil quelques heures plus tôt, tombant littéralement d’épuisement après les épreuves insupportables d’une journée interminable.

Dricielle s’était précipitée vers elle lors de son retour en cellule et, dans une tragique inversion des rôles, c’était pour une fois elle qui l’avait tant bien que mal consolée. Les cheveux ébouriffés d’Eldria, la sueur sur sa peau et ses yeux rougis ne devaient effectivement pas être bien beaux à voir. Il lui avait fallu de longues heures pour se maîtriser et pour, enfin, se confier à Dricielle qui avait également vécu le pire et qui était donc en mesure de la comprendre.

Gênée, Eldria prit cependant soin d’omettre certains détails à propos de son expérience avec Salini. Elle n’était guère accoutumée à parler si ouvertement de sexe – surtout en des termes aussi terriblement crus –, aussi dut-elle longuement chercher les mots qui pourraient lui servir de catharsis. Et en effet, le fait d’extérioriser ainsi ses émois l’aida à se libérer d’un poids qu’elle n’était autrement pas certaine de pouvoir supporter seule sans sombrer dans la démence. Sa confidente improvisée, les mains sur la bouche, avait tressailli en apprenant l’humiliation que ces hommes sans pitié lui avaient fait subir. Sa jeune compatriote était cependant encore trop affectée par ses propres démons pour en entendre davantage et, très vite, elle s’était remise à sangloter, en boule dans son coin. Eldria l’avait accompagnée.

Les deux prisonnières n'avaient plus beaucoup échangé après ça, chacune murée dans un silence pudique. Eldria avait mis ce temps à profit pour diriger ses pensées vers celle qui était allée jusqu’à donner de son corps pour se sacrifier et lui accorder de ce fait un répit salvateur. Elle n'osait cependant imaginer le sort que les trois perfides Eriarhis avaient pu lui réserver. Par-dessus tout, elle était hantée par l’idée que, sans son intervention courageuse, elle aurait eu à partager ledit sort, renonçant à jamais à son innocence de la manière la plus brutale et inhumaine qui soit. Combien de temps avait duré le calvaire de sa sauveuse ? Dans l’heure qui avait suivi son retour en cellule, Eldria aurait juré avoir entendu, à certains moments, des cris émaner de la salle dont elle-même avait été extraite prématurément.

Elle plaqua la paume sur son front, qu’elle découvrit brûlant. Un intense mal de crâne la faisait souffrir et sa courte nuit avait été des plus agitées. Étonnamment, elle avait rêvé de sa maison à la ferme de Soufflechamps et, plus particulièrement, de son oncle Daris pourtant parti guerroyer un an plus tôt. Où pouvait-il bien être en ce moment, lui qui avait été pour elle une figure paternelle immuable depuis aussi longtemps qu’elle pouvait s’en souvenir ?

Elle se mit en tailleur et son regard se posa sur le dos de Dricielle, allongée à moins de deux mètres. On pouvait entendre le son de sa respiration, lente et rythmée, signe qu'elle était profondément endormie. Pour ne rien arranger, la faim lui tiraillait l’estomac. Elle n'avait rien avalé depuis plus de vingt-quatre heures et avait dû se contenter de la moitié d’un seau d’eau tiède – déjà présent dans leur cellule commune avant leur incarcération. Comptait-on au moins les nourrir ?

Résignée, elle se rallongea, les bras ramenés contre elle pour préserver le peu de chaleur que son corps émettait dans la fraîcheur du sous-sol. Les yeux grands ouverts, elle effectua un exercice de respiration pour s’éviter des pensées intrusives. Elle savait qu'elle n'avait dormi que quelques heures et que le soleil n'était pas encore levé – même si l'absence de fenêtre l'empêchait de le déterminer avec certitude – mais elle n'avait plus sommeil.

De longues minutes, elle resta ainsi étendue, l’esprit vagabondant. Elle se demanda ce qui se disait à la ferme, loin d'ici. Ses proches pensaient-ils à elle ? Savaient-ils dans quel enfer elle et Salini avaient été envoyées ? Elle s'imagina sa tante, apprenant que sa nièce chérie avait été abusée et elle en fut troublée. Eldria aimait énormément sa tante et une larme isolée lui coula sur la joue à la pensée de celle-ci. Quand pourrait-elle la revoir ? Les forces ennemies n’allaient tout de même pas les garder prisonnières éternellement !

Bien sûr, à force de vagabondage, son esprit divagua sur les événements de l'après-midi. Comme animée d’une volonté propre, la scène s'imposa de nouveau à elle : comment Salini l’avait enlacée, comment elle l’avait lentement mise à nue, comment elle l’avait caressée... Outre le fait qu'Eldria s'était sentie honteuse – humiliée même – de se voir ainsi contrainte de dévoiler sa plus stricte intimité, une infime partie de son être avait enregistré ces sensations inédites dans son panthéon personnel des plaisirs défendus. Cédant à des pulsions fiévreuses inavouables, elle ferma les yeux et essaya de se remettre en situation, omettant cette fois-ci pour de bon les regards masculins malvenus de l’après-midi. Le contact des doigts fins de Salini sur sa peau, les caresses appuyées contre son buste, ses gestes sensuels sur son endroit le plus intime... Cette infinie douceur, dont Salini avait fait montre malgré l’adversité, avait, au moins un peu, contrebalancé l’avilissement froid et brutal que leur servait en opposition leurs insensibles tourmenteurs.

Elle rouvrit les yeux. Son front était encore chaud mais le reste de son corps était transi. Sans s'en rendre compte, elle avait passé les bras sous son pagne et commencé à s’effleurer doucement le ventre avec les doigts dans l’espoir de se réchauffer. En prenant tout son temps, elle continua de se caresser délicatement, se chatouillant le nombril du bout des phalanges de longues minutes durant, puis remontant lentement vers son buste. Elle atteignit les bosses familières de sa poitrine et entreprit d'en entamer l'escalade digitale. Sans s’en préoccuper, elle se mit à pousser de très subtils gémissements, pareils à des murmures. Ses doigts touchèrent bientôt le bout érectile de ses seins, atteignant des tétons qu'elle fut presque surprise de sentir durcis par l'excitation. Que diable lui prenait-il ? Elle n’était pas seule et ce n’était clairement ni l’endroit ni le moment ! Pourtant, elle se surprit à jouer avec ses seins pendant un long moment, s'amusant à éprouver encore et encore la sensibilité surprenante de ces simples mamelons gorgés de sang, et l'effet qu'ils pouvaient avoir sur le reste de ses membres quand on prenait le temps de les stimuler.

Elle n'était plus dans sa cellule, aucune grille ne la retenait. Elle redécouvrait les plaisirs que pouvait lui offrir son corps. Des plaisirs simples, doux ; et pourtant si forts et si intenses. Des plaisirs auxquels elle avait souvent succombé, seule, dans l’intimité de son lit. Seule avec ses courbes, seule avec ses seins, seule avec son ventre, seule avec ses hanches, ses fesses. Seule avec les aspérités de son sexe.

Soudain, elle éprouva une brusque bouffée de chaleur émanant de son abdomen et, naturellement, elle remonta légèrement son pagne jusqu'au-dessus du nombril. Elle avait relevé les hanches et ses mains brûlantes étaient descendues jusque sur son bas-ventre, jouant d’un toucher espiègle à le caresser avec de plus en plus d'insistance. Bientôt, son souffle pressé se mua en faibles râles de plaisir, tandis qu’elle soulevait subrepticement le bassin au rythme de ces douces sensations. Ses mains, jusqu’alors réquisitionnées sur sa poitrine, furent appelées à prendre d’assaut la délicate frontière entre sa peau dénudée et sa culotte. Elle passa les doigts par-dessus le sous-vêtement, prenant son temps pour ne pas se brusquer, puis elle s’autoriser à se frotter délicatement au travers du lin. Elle ne put contenir un discret tressaillement lorsque son pubis fut sollicité pour la troisième fois en quelques heures. Elle répéta longuement ces gestes innocents, le bout des doigts de sa main droite devinant peu à peu les subtiles aspérités constituant son intimité. Sa main gauche, pour sa part, avait préféré remonter le long de son corps ondulant pour venir titiller une nouvelle fois la forme plus prononcée de sa poitrine.

Ayant pratiquement omis le décor malheureux dans lequel elle s’abandonnait, elle continua plusieurs minutes durant ce petit jeu solitaire avec ses atouts féminins. Vint alors le moment où ses doigts, rendus légèrement humides par des caresses de plus en plus insistantes, se présentèrent à son pubis ardent pour, tout doucement, glisser sous sa culotte imbibée de son désir. Elle sentit tout d'abord le petit parterre bruissant de sa pilosité pubienne sous ses phalanges désinhibées, puis elle atteignit rapidement un endroit qui l'intéressait plus. Beaucoup plus. Elle ne put retenir un nouveau râle décomplexé, plus prononcé cette fois, en sentant sa peau frémissante en cet endroit reculé.

Alors qu'elle s’apprêtait à entamer une nouvelle valse avec son anatomie, un mouvement sur sa gauche la ramena brusquement à la réalité : Dricielle s'était retournée dans son sommeil agité, le visage désormais dangereusement tourné dans sa direction. D’ailleurs, était-elle encore en train de dormir ? Le sang d’Eldria ne fit qu’un tour et elle redouta soudainement de l'avoir réveillée par mégarde. La jeune femme l’avait-elle entendue ? Dans le doute, elle retira en catastrophe les mains de sous sa culotte trempée et rabattit son pagne jusque sur ses cuisses chauffées à blanc. Un nouveau coup d’œil paniqué en direction de Dricielle lui permit toutefois de constater, malgré l’obscurité, que ses paupières étaient closes. Sa respiration, lente et régulière, avait repris.

Eldria émit un souffle de soulagement. Cela ne lui ressemblait guère, pourtant elle s’était complètement égarée. Elle se sentit soudainement honteuse d’avoir, de geste en geste, entrepris de se procurer ainsi du plaisir en compagnie d’une autre personne, fusse-t-elle endormie. Surtout dans cet endroit sordide ! Cette fièvre incongrue altérait-elle ses processus de réflexions pour lui faire mettre ainsi en application des idées si saugrenues ?

Soudainement refroidie, elle ramena ses jambes à moitié nues contre son ventre puis elle ferma les yeux, dans l’espoir d’accumuler le plus de repos possible. Elle était toute mouillée.

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