6 · La caresse des lames
Le lendemain matin, une série de bruits stridents réveillèrent Eldria et Dricielle en sursaut. Elles se redressèrent toutes deux avec précipitation et aperçurent bientôt la source de ce boucan matinal. Le soldat blond se tenait à l'entrée de la cellule, dans l'encadrement de la grille ouverte. Il était en train d’en marteler les barreaux à l’aide d’une longue matraque, arborant le même sourire malfaisant que la veille.
– Enfin ! lança-t-il en voyant les deux jeunes femmes se lever. Vous avez un sommeil de plomb. Je me demande si je n’aurais pas dû en profiter un peu avant de vous réveiller.
Eldria, les yeux encore embués par le sommeil, lui jeta un regard noir. Puis, inspirée par un courage dont elle ignorait être dotée, elle répondit du tac au tac :
– Pour ça, encore faudrait-il pouvoir contrôler sa précocité.
Elle avait insisté sur ce dernier mot sans détourner le regard. Le sourire du soldat blond se transforma rapidement en un rictus irrité. Il scruta Eldria un long moment d'un air contrarié mais cette dernière savait, pour l’avoir ouï la veille, qu’il n’était pas censé toucher aux prisonnières si impunément, sous peine d’éveiller les soupçons de ses collègues.
– Levez-vous, cracha-t-il finalement sans se démonter.
Sous la menace de la matraque, il ne leur vint pas à l’idée de négocier, surtout après cette saillie d’Eldria qui semblait l’avoir mis en rogne. Cette dernière, nourrissant pourtant une aversion légitime à l’égard de son bourreau de la veille, réalisait qu’elle n’était peut-être pas suffisamment réveillée et en venait à regretter cette soudaine velléité de rébellion.
Dricielle, à sa gauche, s'était mise à trembler. Depuis leur arrivée en ces lieux, la jeune femme était effectivement restée en cellule et n'avait pas encore été témoin des méfaits qui pouvaient être commis entre ces murs. Bien que frissonnant elle aussi d’appréhension à l’idée de découvrir ce qu’on attendrait d’elles aujourd’hui, Eldria lui apposa une main réconfortante sur l’épaule :
– Ça va aller, lui murmura-t-elle avec douceur.
À peine consciente qu'elle jouait pour Dricielle le rôle que Salini avait joué pour elle la veille, elle se tourna alors vers l’Eriarhi narquois. Elle avait toujours faim, certes, mais elle ne voulait pas lui donner l'occasion de se faire supplier. Cependant, un autre besoin bien plus pressant la tiraillait.
– J'ai... j'ai besoin d'aller aux toilettes, exprima-t-elle en rougissant.
Bientôt, un sourire mauvais réapparut sur le visage du militaire.
– Oh, mais bien sûr, pas de problème.
Il marqua une pause pour ménager son effet, savourant de toute évidence cet instant où il était en position de force.
– Il y a toutes les commodités là-bas, au fond. Vas-y, je t'en prie. On a tout notre temps.
Il désigna le seau d’eau – désormais vide – que les deux captives s’étaient partagé. Eldria fronça les sourcils et le gratifia d’un autre regard sombre. Même si ses besoins naturels se faisaient urgents, il était hors de question pour elle de se soulager devant lui, aussi préféra-t-elle se retenir encore un peu.
– Bon on n’a pas toute la journée, reprit le blond. Maintenant, sortez.
Contrairement à la veille – et au plus grand soulagement d'Eldria – il ne les conduisit pas jusqu’à la salle de pause non loin. Au lieu de cela, il les fit sortir par l’ouverture qui remontait vers la surface et qu'elles avaient empruntée l’une après l’autre en arrivant en ces lieux. Heureusement sans s’y s’arrêter, ils passèrent devant la porte de la vieille femme au chignon puis longèrent un autre couloir mieux entretenu que les geôles sous leurs pieds.
Même en marchant, Eldria devinait toujours les tremblements incontrôlés de Dricielle à sa gauche. Partiellement dissimulé sous ses longs cheveux en bataille, elle distinguait sur son visage baissé des larmes silencieuses s’écoulant sur ses joues rosies.
En quelques minutes, ils atteignirent leur apparente destination. De chaque côté d’une porte d’un blanc métallique, deux gardes armés les accueillirent sans un mot et l’un d’eux leur ouvrit le passage.
– Entrez, ordonna le soldat blond. Et tâchez de ressortir propres. Oh, et tenez.
Il sortit de sous son veston deux petites sacoches en laine qu'il remit à ses prisonnières. Eldria lui jeta un regard interrogateur mais le soldat blond resta de marbre, attendant qu’elles s’exécutent. Avec méfiance, elles pénétrèrent donc dans une nouvelle aile de cet immense fort.
Contrastant avec l’agencement étroit et l’atmosphère sombre du sous-sol, elles entrèrent dans une salle aux proportions respectables et aux dalles d'un blanc éclatant, reflétant les rayons du soleil qui filtraient au travers des larges fenêtres aménagées tout en haut du mur en face. Six colonnes finement ouvragées s’élevaient jusqu'à un somptueux plafond décoré de motifs colorés et harmonieux. Au milieu de la salle, entre les quatre pilonnes du fond, un bassin avait été aménagé à même le sol, alimenté par deux grands robinets recouverts de marbre, déversant une eau claire dans un son de clapotis cristallin. Au centre de ce fabuleux décor, l’air dérouté par la fastuosité manifeste de cette immense salle d’eau, Salini et Karina se tenaient debout côte à côte.
En voyant entrer les deux nouvelles venues, le visage de Salini s’illumina et elle fondit sur Eldria pour la prendre dans ses bras, tandis que Karina approchait Dricielle.
– Oh je suis désolée ! s'écria Salina après que la massive porte en fer se fut refermée. Vraiment désolée ! Je ne voulais pas... je...
Eldria, rassurée de la retrouver saine et sauve, lui rendit son étreinte en rosissant.
– Ce n'est rien, dit-elle d'une petite voix dans laquelle elle sentait poindre l'émotion. C'est moi qui suis désolée, je t’ai... laissée seule.
Salini relâcha son étreinte et la fixa longuement d’un regard pétillant. Elle se tourna ensuite vers Dricielle qui paraissait, comme à son habitude, totalement égarée.
– Ça va ? demanda-t-elle simplement.
Dricielle répondit par un simple hochement de tête en baissant les yeux. Par respect pour sa compagne de cellule qui ne semblait guère disposée à parler, Eldria préféra ne pas révéler aux autres ce que Dricielle lui avait avoué avoir subi la veille. Au lieu de cela, elle s’enquit plutôt :
– Et vous, où avez-vous passé la nuit ? Est-ce que... vous en avez appris plus sur cet endroit ?
Elle savait que Salini avait eu à s’offrir aux militaires Eriarhis, elle ignorait en revanche ce qu’il était advenu de Karina, qu’elle n’avait pas revue depuis qu’elle était entrée dans le bureau de la femme au chignon, lorsqu’elle les avait accueillies les unes après les autres.
– On est toutes passées devant cette horrible mégère, expliqua Karina. Elle m’a fait me mettre à poil puis, comme vous, elle m’a refilé ces vêtements crasseux. Ensuite, j’ai été amenée dans une cellule où Salini m’attendait. Puis des types sont venus la chercher. Quand elle est revenue, elle m’a raconté ce qu’ils vous ont fait, les monstres. On a ensuite passé la nuit sur des lits insalubres, puis on nous a conduites ici. Et vous ?
Eldria leur expliqua brièvement leur situation peu ou prou similaire.
– Je vois, commenta Salini d’un air pensif. J’aurais préféré que nous ne soyons pas séparées mais au moins aucune de nous n’est seule. Nous devons rester unies tout le temps qu’ils nous retiendrons ici. Nous en saurons peut-être plus aujourd’hui.
Après quelques secondes de silence, elle désigna le bassin au milieu de la pièce et déclara sur un ton qu’elle tâcha de rendre enthousiaste :
– Bon, je pense savoir ce qu'ils attendent de nous. Et je ne vais pas m'en plaindre !
Karina approuva d'un signe de tête. Les deux femmes échangèrent un sourire entendu et Eldria se demanda comment elles pouvaient faire montre d’une quelconque joie dans de telles circonstances. Puis, elle réalisa que ses deux comparses commençaient à retirer leurs pagnes par le haut, dévoilant sans pudeur leurs seins fermes et rebondis. Elles déposèrent leurs deux vêtements sales sur un petit banc derrière, à côté de petites sacoches similaires à celles qu'avaient reçues Eldria et Dricielle quelques instants plus tôt. Ces dernières n'avaient pas bougé d’un pouce.
– Heu... commença Eldria, mal à l’aise.
– Vous ne comptez pas vous laver tout habillées tout de même ? lança Karina d’un air étonné.
– Eh bien... non, admit Eldria.
Elle réalisait que le sol de terre poussiéreux de sa cellule l’avait recouverte de saleté de la tête aux pieds. De plus, elle avait grand-hâte de retirer ce haillon malodorant. Néanmoins, avant tout, elle s’assura de scruter les moindres recoins de cette vaste salle de bain en quête d’une éventuelle paire d’yeux indésirables. Puis, avec la certitude qu’elles étaient bel et bien seules, elle imita ses deux camarades et retira à son tour son attifement maculé. Dans un geste pudique, elle croisa les bras devant ses seins et carra les épaules. Même entre filles, il n’était pas habituel pour elle de se dénuder en public.
Quant à Dricielle, certainement galvanisée par ses consœurs et loin d'être propre elle non plus, elle finit par l'imiter en rougissant de plus belle, dévoilant son corps presque nu, recouvert de plaies et de contusions. Eldria entrevit sans le vouloir sa poitrine davantage menue que la sienne, d’un blanc pâle contrastant avec la couleur rose chair de ses tétons que leur propriétaire ne tarda pas à dissimuler sous ses avant-bras joints. En totale opposition, le buste de Karina supportait fièrement deux seins ronds, bronzés et rebondis, plus opulents encore que ce que ses vêtements laissaient pourtant à supposer. Contrairement à Dricielle et même à Eldria, elle ne semblait éprouver aucune gêne à les afficher ainsi, dans leur expression la plus élémentaire.
Aucune ne fit de commentaire et Salini, suivie de Karina, s’assirent sur un banc pour ouvrir les petites sacoches qui leur avaient été confiées. Elles en tirèrent bientôt deux petits objets métalliques surmontés d’une lame effilée ainsi qu’une fiole contenant une sorte de crème blanchâtre. Eldria se pencha et, sans écarter les bras, s’empara à son tour de sa sacoche. Sous le regard anxieux de Dricielle, elle en sortit les mêmes objets.
– Des rasoirs ? s’interrogea-t-elle. Je ne comprends pas, nous n’avons pas de barbe.
Salini lui adressa un regard entendu. Pendant une fraction de seconde, Eldria crut voir les yeux de la jeune femme se poser sur sa culotte, serrière laquelle celle-ci connaissait parfaitement tout qui s’y dissimulait.
– Oh.
Elle ne devinait maintenant que trop bien pourquoi on les avait équipées de ces instruments coupants. En chien de faïence, les quatre comparses se lancèrent des regards en coin. Ce fut finalement Karina qui rompit le silence :
– Bon. Qui en a besoin ?
Eldria rougit.
– Il n'y a qu'un moyen de le savoir, reprit la jeune femme rousse, son rasoir levé. Les filles...
Joignant le geste à la parole, elle fit glisser sa culotte d'un jaune éclatant le long de ses jambes élancées, laissant à l’air libre un bas-ventre parfaitement glabre ainsi que la fine fente de son sexe que l'on devinait entre ses cuisses. Elle fut immédiatement imitée par Salini qui, sans davantage de pudeur, dévoila la silhouette de son pubis rasé. Dricielle et Eldria devinrent écarlates.
– Je... Heu... balbutia Eldria d'une petite voix.
Elle s'interrompit, remarquant l’air inquisiteur de Salini.
– Bon, très bien, souffla-t-elle finalement, résignée.
Sans tergiverser davantage, elle retira son ultime vêtement d'un geste vif et sentit immédiatement les regards curieux des trois autres se poser cette fois-ci sur son entrejambe et le petit duvet de poils fins qui y avait élu domicile. Les joues rosies, perdu pour perdu, elle ne chercha même plus à se soustraire aux jugements indiscrets de ses camarades.
– Bien ! lança Karina d'un ton joyeux. Je vois qu'au moins l'une de nous a besoin d'un petit rafraîchissement ! Dricielle ?
L’intéressée, restée silencieuse depuis le début, baissa timidement les yeux. Elle avait gardé les bras croisés autour de son buste et son visage était rouge pivoine. Pour la rassurer, Karina s'approcha d'elle à la prit à part pour lui parler en messes basses. Salini en profita pour prendre en charge Eldria en l’invitant à s’asseoir, le rasoir et le petit flacon en main.
– Je vais te le faire. Tu ne t'es jamais fait le maillot ?
– Heu... non.
Joignant le geste à la parole, Salini se mit à genoux devant elle dans une ambigüe répétition des évènements de la veille.
– Les hommes préfèrent les femmes sans poils. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais c'est comme ça. Personnellement, je trouve ça plus agréable.
– C'est pour ça que... heu... la tienne est comme ça ? demanda timidement Eldria.
Salini se contenta de lui répondre par un sourire espiègle. Puis, sans plus de ménagement, elle lui écarta largement les genoux. Eldria ne put s'empêcher de rougir une nouvelle fois. Salini l'avait déjà observée dans cette position et elle connaissait maintenant à la perfection les moindres détails de son anatomie, mais son cœur s'était tout de même remis à battre la chamade. Elle tourna la tête et constata que Karina s'appliquait à faire de même avec Dricielle. Elle l’aurait parié : Dricielle n'avait visiblement, elle non plus, jamais vu de rasoir de sa vie.
Elle focalisa de nouveau son attention sur ce qui se déroulait entre ses propres jambes. Salini s'était rapprochée, avait ouvert le bouchon du petit bocal contenant le liquide blanc et onctueux, et s’employait à tremper deux doigts à l'intérieur.
– Je n'étais pas vraiment sûre que tu étais vierge, lui lança-t-elle sur le ton de la conversation, à voix suffisamment basse pour que Karina et Dricielle ne les entendent pas. Je me l'étais toujours demandé. Je pensais que toi et Jarim vous aviez... Enfin, que vous auriez pu... Tu vois ? Avant que lui et les autres ne partent à la guerre.
– Oh... non, répliqua timidement Eldria en marquant une légère hésitation, troublée à l’évocation de Jarim, leur ami d’enfance.
– Vous aviez l'âge pourtant. Tu avais dix-huit ans, non ? Et lui aussi du coup.
Elle retira ses doigts du flacon et, d'un geste anodin et énergique, commença à en appliquer la substance visqueuse sur toute la surface s'étendant de son bas-ventre jusqu'aux lèvres rosies de sa vulve. L'opération fut répétée plusieurs fois, jusqu’à ce que l'endroit soit intégralement badigeonné.
– J'ai eu ma première fois avec un homme à quatorze ans, reprit Salini comme si de rien n’était. Il en avait dix-sept et je...
Elle s'interrompit en fixant Eldria avec de grands yeux. Cette dernière, les muscles raidis et se mordillant la lèvre, n'avait pu contenir un soupir étouffé en sentant les doigts de Salini s'affairant une fois de plus sur sa peau excessivement sensible. La jeune femme se retint de rire.
– Tu es vraiment très chatouilleuse, tu sais ? railla-t-elle. Ça va, je ne fais qu'appliquer la crème. Sinon ça risque de te faire mal.
– Doucement ! la supplia tant bien que mal Eldria avec un mouvement de recul tandis que Salini continuait de lui appliquer la crème.
Celle-ci eut une moue résignée mais consentit à faire preuve de davantage de délicatesse, se contentant d’effleurer ces contrées qu’elle connaissait déjà si bien. Elles n'étaient pas seules ici et par-dessus tout Eldria redoutait que Karina et Dricielle remarquent qu’elle retirait, sans le vouloir, du plaisir de ces gestes pourtant anodins. Elle avait l’incommodante impression qu'un volcan s'était réveillé ici-bas, un volcan qui menaçait d'exploser à tout instant si Salini continuait sur cette lancée.
Qui aurait cru, après toutes ses années de hauts et de bas caractérisant leur amitié, qu’elles se retrouveraient si diligemment dans cette situation d’absolue intimité ? Heureusement, pour son plus grand soulagement, son amie suspendit ses attouchements pourtant sans équivoque avec un nouveau sourire amusé à son attention.
– Allez, on y va. Ne t’en fais pas, ça va bien se passer.
Elle saisit le rasoir à la forme profilée et, d’un geste appliqué, le déposa à la frontière entre le bas-ventre d’Eldria et le haut de sa pilosité pubienne. L’intéressée sentit d’abord le contact froid et peu agréable du métal puis observa avec appréhension l’ustensile parfaitement affûté descendre doucement sur sa peau à vif, emportant avec lui crème et poils. La sensation de la lame glacée effectuant des va-et-vient en cet endroit ordinairement secret lui fit une nouvelle fois réprimer une lamentation. Cela ne lui provoquait aucune douleur mais engendrait néanmoins des chatouillis loin d’être désagréables. Salini avait raison : peut-être était-elle trop douillette.
Par curiosité, elle jeta un nouveau coup d’œil à leurs deux compatriotes qui s’étaient installées non loin. Comme Eldria, Dricielle était assise, le dos légèrement cambré en arrière, les jambes écartées devant une Karina encore en train de lui appliquer de la crème sur le bas du ventre et entre les cuisses. Elle avait le visage crispé et les joues rosies, comme si elle réprimait un sanglot. Eldria savait que sa malheureuse compagne de cellule avait, bien malgré elle, été sauvagement agressée avant d'être amenée ici mais une sorte d’inexplicable sixième sens lui donnait à croire que, avant que ne survienne ce terrible évènement, la jeune femme était tout aussi vierge qu’elle. Toutes deux avaient sensiblement le même âge et ces derniers trop longs mois de guerre, sans hommes, n'avaient pas été des plus propices à la découverte de la chose.
Un frisson parcourut l’échine dénudée d'Eldria. Un frisson qui n'était pour une fois aucunement causé par le métal froid du rasoir faisant son office, mais plutôt par la sensation désagréable que lui procura ce simple fait : des quatre femmes présentes, elle était la seule à être encore totalement vierge de tout rapprochement intime avec la gent masculine. Il paraissait en effet évident que Karina, la seule qu'elle ne connaissait pas encore vraiment mais du haut des environs vingt-cinq ans que lui donnait Eldria, était très à l’aise avec son corps. Nul doute que sa vie sexuelle était déjà bien entamée.
Naturellement, ce constat amer la conduisit à penser à une seule et unique personne. La seule pour qui, à ce jour, elle avait ressenti une attirance allant jusqu’à lui provoquer une discrète mais non moins intense manifestation physique sous le nombril : que dirait Jarim s’il la découvrait ainsi, nue comme il n’avait jamais eu l’occasion de la voir, en compagnie de trois autres filles en train de se tripoter allègrement entre les cuisses ? Surtout, où était-il en ce moment-même ? Cela faisait plus d’un an qu’elle n’avait pas revu le garçon à qui elle avait un jour tenu, et à qui elle tenait toujours même après ces interminables mois.
Après quelques minutes où l'on entendit que le son bruissant du grattement des rasoirs, Salini retira son instrument aiguisé et recula en penchant la tête, comme une artiste appréciant son œuvre.
– Parfait, commenta-t-elle avec fierté. Ça te va vraiment mieux.
Eldria, toujours arc-boutée, bredouilla un faible merci. Elle se redressa et contempla sa zone intime d'un œil inquiet. C'était comme perdre un repère familier, quelque chose qu'on avait toujours vu quelque part et qui aurait disparu d'un seul coup, sans laisser de trace. Au fil du temps et à mesure qu’elle grandissait, elle s'était habituée à retrouver tous les jours cette légère pilosité entre ses jambes, aussi fut-elle presque étonnée de n’y voir plus que sa peau blanche, parfaitement lisse. Elle eut presque la sensation de recroiser un ami de longue date qui se serait complètement rasé les cheveux. Se penchant un peu plus en avant, elle distingua brièvement mais avec clarté toutes les composantes de sa vulve, qui paraissait remise à neuf, composantes lui ayant été plus ou moins voilées ces dernières années d'adolescence et que seule la sensation du toucher lui avait permis d'appréhender totalement jusqu'ici. Elle fit glisser deux doigts sur son pubis et fut surprise de sa douceur nouvelle, presque satinée, qu'elle n'avait plus eu l'occasion d'éprouver pleinement depuis la survenue de sa puberté.
Elle releva la tête et fut surprise de découvrir que ses trois amies l'observaient intensément. Alors que la veille, elle se serait empressée de se recroqueviller sur elle-même et se serait sentie honteuse de se retrouver ainsi dévisagée dans cette situation, aujourd'hui elle se contenta de s’éclaircir la gorge comme si de rien n’était et de se rassoir, le dos droit, les jambes rabattues. En cet instant, elles étaient toutes quatre sur un pied d’égalité, aucune n’ayant plus rien à cacher aux autres. De cette situation inédite, une complicité sans faille naquit entre elles. Désormais, elles pouvaient tout montrer, et tout se dire. Seule Dricielle paraissait peut-être encore plus ou moins déboussolée.
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