18 · Éclats de voix
Quand Madame Martone fit irruption dans la vaste cour extérieure, toutes les captives se raidirent instinctivement, bien qu’aucune ne fût attachée à un poteau cette fois-ci. À la place, on les avait alignées par rangées de cinq, comme la semaine précédente. Madame Martone monta calmement sur une sorte d’estrade, dominant bientôt l’assemblée de toute sa hauteur. Un silence absolu régna tandis qu’elle se tournait lentement vers le groupe de femmes.
– Bien, lança-t-elle après s’être éclairci la gorge. Pas de visite aujourd’hui, je suis sûre que vous êtes toutes très déçues.
Elle les gratifia d’un sourire hypocrite, dévoilant une rangée de dents jaunies.
– En revanche, j’ai une excellente nouvelle : c’est aujourd’hui que nous désignons la gagnante de notre grand jeu : « Qui va avoir le droit de rentrer chez elle ? » !
Sur ces paroles, une rumeur fébrile s’éleva parmi la foule des prisonnières. Salini se tourna vers ses amies :
– Si l’une de nous est libérée, murmura-t-elle à toute vitesse, il faut absolument que l’on se promette de tout faire pour aider les autres depuis l’extérieur !
– On vient à peine d’arriver, répliqua Karina d’un air résigné. Ils ne nous laisseront jamais partir aussi vite.
Madame Martone éleva soudainement la voix, couvrant le brouhaha naissant :
– Mesdemoiselles, du calme, je vous prie. Je comprends votre excitation, mais permettez-moi de vous rappeler la règle : une seule d’entre vous sera choisie.
Le silence reprit ses droits, alourdissant davantage la tension déjà palpable parmi les captives.
Sur ces entrefaites, un garde monta cérémonieusement sur l’estrade, tenant un plateau d’argent sur lequel reposait un unique papier soigneusement plié. Le cœur d’Eldria se mit à palpiter. Comme Karina, elle n’avait que peu de foi en ses chances d’être sélectionnée, cependant, elle se laissa allée à rêver : et si jamais c’était elle qui était désignée ?
Avec une lenteur étudiée, Madame Martone s’empara du papier et le déplia minutieusement, savourant visiblement l’attente angoissée de son auditoire. Après un silence interminable, elle s’éclaircit la gorge une fois encore et annonça enfin :
– Killi Hodrick !
En entendant son nom, une jeune fille blonde manqua de s’effondrer juste devant Karina, qui l’avait rattrapée de justesse par réflexe. Aussitôt, des dizaines de regards emplis de rancœur se braquèrent vers l’heureuse élue, comme si la plupart des captives lui reprochaient personnellement leur malchance. Eldria, bien qu’également déçue, ne put cependant se résoudre à éprouver la moindre animosité envers sa frêle consœur, encore plus petite et plus mince qu’elle-même.
– Venez, mon enfant, appela Madame Martone d’une voix doucereuse.
Aidée par Karina, la dénommée Killi retrouva péniblement son équilibre et s’avança d’une démarche chancelante vers l’estrade. Vers sa liberté. Des larmes coulaient abondamment sur ses joues pâles. Personne ne l’applaudit ni ne la félicita, hormis Madame Martone qui battit mollement des mains, un sourire cauteleux aux lèvres.
– Vous allez retrouver votre famille, jeune fille. Heureuse ?
L’intéressée hocha faiblement la tête, visiblement trop émue pour parler. Puis, sans autre forme de cérémonie, un garde lui agrippa le bras et l’accompagna vers une porte dérobée.
C’était atroce, songea Eldria. Atroce de faire miroiter ainsi une liberté chimérique à toutes ces femmes, attisant entre elles une rivalité sordide. Certes, elle parvenait encore à éprouver une pointe de joie pour cette ex-détenue nouvellement libre, qu’elle ne connaissait pourtant pas et qu’elle ne reverrait sans doute jamais. Mais pour combien de temps pourrait-elle préserver cette humanité ? Et surtout, à quelle prix cette pauvre fille allait-elle retrouver les siens ? Quelles séquelles garderait-elle de son incarcération, marquée par des sévices psychologiques et sexuels ? Elle semblait si jeune... pourrait-elle seulement s’en remettre un jour ?
La voix vipérine de Madame Martone la ramena soudainement à la dure réalité :
– Très bien, mesdemoiselles. Maintenant que ces réjouissances sont terminées, passons aux suivantes. Comme toujours, je compte sur votre entière coopération. N’oubliez jamais les avantages dont bénéficient celles qui se montrent dociles.
Elle indiqua du doigt l’ouverture par laquelle Killi Hodrick venait tout juste de disparaître. Au même instant, l’immense porte du réfectoire s’ouvrit dans un fracas assourdissant.
– Amusez-vous bien, ajouta froidement Madame Martone avant de quitter l’estrade, suivie de quelques gardes.
Elles y étaient. À l’intérieur du grand bâtiment, l’inconnu leur tendait à nouveau les bras. Le groupe de prisonnières, toujours en rang discipliné, avança lentement vers l’entrée. Comme la semaine précédente, Eldria et ses amies occupaient la dernière rangée, accompagnées cette fois d’une autre femme, inconnue, qui tremblait de tout son corps. Déjà, les cris de joie des hommes retentissaient à l’intérieur, révélant leur impatience malsaine. Eldria frémissait elle aussi, une boule de plomb nouée au fond de l’estomac, lui retournant les entrailles tant elle craignait pour elle-même et pour ses amies. C’était pire encore que la première fois car, désormais, elle ne connaissait que trop bien la nature de ce qui les attendait.
Très vite – trop vite – elle franchit le seuil du réfectoire, et aussitôt le groupement bien ordonné de ses semblables se désagrégea, comme un tas de feuilles d’automne balayées par la tempête. Instinctivement, Karina, Salini et Eldria se prirent par la main, comme si elles refusaient d’être à nouveau séparées. Mais bientôt, un homme se saisit brusquement de Karina, tandis qu’un autre emportait Salini. Dociles, conformément à ce que l’on attendait d’elles, elles suivirent leurs bourreaux sans protester, chacune de son côté.
– Courage ! lança Salini à Eldria, la voix à moitié noyée par le tumulte environnant.
Comme la fois dernière, Eldria se retrouva tristement seule, livrée à elle-même. Instinctivement, comme dans un ultime espoir d’échapper au sort funeste qui l’attendait, elle parcourut fébrilement la salle du regard, cherchant désespérément le dénommé Dan, peut-être le seul homme en ces lieux à qui elle accordait un semblant de confiance. Par chance, pour l’instant, personne d’autre ne semblait s’intéresser à elle, elle devait donc se hâter avant qu’un individu moins bien intentionné ne décide de l’accoster. Où était donc ce fichu garçon ?!
Soudain, son regard croisa celui d’un homme. Un homme qui la fixait intensément, d’un œil froid et mauvais. Un homme qu’elle aurait mille fois préféré éviter. Ce n’était pas Dan : c’était le soldat blond, son geôlier, celui-là même qui, une heure auparavant, avait exprimé le souhait de la retrouver précisément ici et maintenant. Ses intentions étaient limpides : il ne lui ferait aucun cadeau et entendrait bien demander son reste après leur récente interaction achevée précocement, dans les boyaux du fort.
Eldria resta pétrifiée d’angoisse, tandis qu’il l’observait avec une intensité confinant à la perversité. Puis, brusquement, le jeune homme s’élança d’un pas décidé dans sa direction, sans jamais la quitter des yeux, un sourire malsain lui déformant les traits. Réagissant par instinct face à cette menace imminente, Eldria recula précipitamment, puis fit volte-face dans l’espoir désespéré de s’enfuir. Elle savait pertinemment qu’elle n’avait aucun endroit où se réfugier, mais la panique était plus forte qu’elle. Elle voulait courir, à tout prix. Son unique chance était de retrouver Dan !
Alors qu’elle courait depuis à peine quelques secondes, le cœur affolé, esquivant tant bien que mal les hommes et femmes éparpillés atour d’elle, son tibia heurta violemment un tabouret renversé au milieu d’une allée entre deux tables. Elle perdit l’équilibre et, incapable de trouver la moindre prise à laquelle se raccrocher, s’écroula lourdement sur le sol de pierre brute. Elle tenta immédiatement de se relever, mais lorsqu’elle s’appuya sur sa jambe droite, une douleur fulgurante lui traversa la cheville. Elle s’effondra à nouveau, le regard embué de larmes. Autour d’elle, le chaos ambiant continuait, indifférent à son sort. Certaines captives se débattaient vainement, d’autres se laissaient docilement emmener vers les couloirs attenants.
Péniblement, envahie par une souffrance lancinante, Eldria parvint à se hisser dos à un banc voisin, grimaçant de douleur. Elle jeta un coup d’œil inquiet derrière elle, et un frisson d’horreur la parcourut : à quelques pas seulement, le soldat blond avait assisté à sa chute. Un sourire cruel éclairait son visage satisfait, semblable à celui d’un chasseur contemplant sa proie blessée, désormais incapable de fuir.
L’homme avança lentement vers elle, savourant visiblement l’impuissance de sa cible. Eldria le fixait, terrifiée, alors qu’il approchait inexorablement. Là, alors qu’il enjambait tranquillement le tabouret renversé, elle le vit défaire la boucle de sa ceinture d’un geste rapide. Pendant un bref instant de panique, Eldria crut avec effroi qu’il s’apprêtait à la frapper avec la longue lanière de cuire, mais non... c’était pire encore : sans quitter sa future victime des yeux, il déboutonna prestement sa braguette et, plongeant la main à l’intérieur de son pantalon, en sortit son long membre impatient, surgissant de sous sa chemise débraillée. Puis, sans plus attendre et sans se gêner comme lors de leur première rencontre, il entreprit de se stimuler devant elle, malgré l’évidence de son érection déjà complète. Dans la confusion générale, personne ne remarquait rien.
Abasourdie, Eldria tenta de reculer en rampant, mais ce fut peine perdue : déjà, le militaire était sur elle. Pour la seconde fois, elle fut contrainte d’observer son sexe impatient, qu’il lui exhibait sans retenue.
– Coucou poupée, siffla-t-il sournoisement. Je t’avais promis que je te retrouverais. Normalement, on n’a pas le droit de vous toucher ici, mais personne ne nous regarde. On va donc faire une petite entorse au règlement... Approche.
Il l’agrippa férocement par les cheveux. Eldria essaya de se débattre, mais cela ne fit qu’accentuer sa souffrance, son cuir chevelu lui arrachant une plainte de douleur si vive qu’elle abandonna aussitôt toute velléité de rébellion.
– Tu vas gentiment me lécher, murmura-t-il avec cynisme, afin qu’elle seule puisse entendre. Ce sera une sorte de mise en bouche, avant que je m’occupe de toi plus sérieusement tout à l’heure.
Frappée de panique, Eldria hurla, mais sa plainte se perdit parmi celles des dizaines d’autres filles tout autour.
– Tu perds ton temps, reprit-il avec une froide indifférence. Ici, personne ne t’aidera.
D’un geste puissant, il tira son visage vers son bas-ventre. Eldria ferma instinctivement les yeux et serra les lèvres. Elle tenta vainement de détourner la tête, mais son agresseur tenait trop fermement ses cheveux.
– Tu vois ? Personne ne viendra. Alors obéis gentiment. De toute façon, tout ce qui nous intéresse chez vous, c’est votre c-
Subitement, il se tut. Eldria perçut au même instant un bruit sourd. Hébétée, elle rouvrit les yeux et les leva vers son bourreau. Des copeaux de bois voletaient autour du crâne de celui-ci, ses yeux exorbités par la surprise. Sa prise sur les cheveux d’Eldria se relâcha brusquement, et après un court moment d’immobilité, il s’écroula lourdement au sol, frôlant sa victime dans sa chute.
Complètement sonnée, Eldria releva lentement la tête et reconnut...
– Dan !
Le jeune homme, les bras levés, tenait encore entre ses poings les restes éclatés d’un tabouret en bois. Il s’en débarrassa aussitôt, puis lui tendit la main :
– Vite, dit-il précipitamment. Partons d’ici.
Après une ultime seconde d’hésitation, Eldria saisit son bras et Dan l’aida à se relever. Sa cheville la lança vivement mais, avec du soutien, elle parvint à se maintenir debout. Laissant derrière eux le soldat blond inconscient, Dan l’entraîna dans le couloir adjacent, vers la même chambre que la semaine précédente. Ils s’y précipitèrent parmi quelques couples retardataires, qui s’isolaient eux aussi à l’abri des regards.
– Je crois que personne n’a rien vu, souffla Dan en plaquant l’oreille contre la porte qu’il venait de fermer derrière eux.
Boitant légèrement, haletante, Eldria s’assit sur le bord du lit, encore sous le choc de l’agression à laquelle elle venait de réchapper.
– M-merci, balbutia-t-elle maladroitement.
– Je t’en prie, répondit Dan en esquissant en sourire. Ce type est un gros con. Il l’a bien cherché.
– Mais... cela ne va pas vous attirer des ennuis si quelqu’un vous a vu l’assommer ?
– Tu peux me tutoyer, tu sais.
Eldria hésita une seconde. Elle avait presque oublié ce que c’était d’être considérée avec respect.
– Oh, heu... cela ne va pas te causer des ennuis ?
– Je ne pense pas, dit Dan en haussant les épaules. Je doute fort qu’il m’ait vu arriver dans son dos, il ne pourra donc pas me dénoncer.
Eldria baissa les yeux, la mine soudainement accablée.
– Je suis désolée, s’excusa-t-elle d’un ton amer. C’est ma faute, j’ai trébuché et je... je n’ai pas su me défendre.
Dan vint s’assoir à côté d’elle – gardant toutefois une distance respectueuse entre eux.
– Tu n’y es pour rien. Ce sont les types comme lui qui ont un problème, pas toi.
Eldria lui rendit un timide sourire, empreint de gratitude. S’il lui restait des doutes quant aux intentions réelles de Dan, ceux-ci étaient définitivement dissipés. Le jeune homme, qui ne lui devait pourtant rien, venait de risquer gros en frappant l’un des siens, pour elle.
– Au fait, tu ne m’as toujours pas dit ton prénom, reprit-il comme si de rien n’était.
Eldria se souvint qu’effectivement que la première fois, encore soupçonneuse, elle ne lui avait pas donné de réponse lorsqu’il lui avait posé cette même question.
– Eldria, consentit-elle à se présenter.
– Alors enchanté, Eldria. C’est un très joli prénom.
– Heu... merci.
C’était très étrange pour elle de penser que ce jeune homme, qu’elle connaissait à peine et avec lequel elle entretenait cet échange si poli, avait déjà, en réalité, une certaine familiarité avec les détails les plus intimes de son anatomie. Des détails qu’elle devrait bientôt lui exposer à nouveau, lorsque viendrait l’inévitable moment où elle devrait se dévêtir devant lui. À cette simple pensée, sa gorge se noua.
– Je voulais te demander, Eldria, reprit Dan après un silence gêné, sûrement conscient lui aussi de la nature délicate de ce qu’ils s’apprêtaient à faire ensemble. As-tu récemment aperçu une jeune femme d’à peu près ton âge, petite, aux cheveux châtains un peu comme toi, et répondant au prénom de Cynn ?
Déconcertée par cette question inattendue, Eldria réfléchit quelques instants avant de réaliser qu’elle ignorait totalement le prénom des autres captives, à l’exception bien sûr de Salini et Karina. Avec une sincérité navrée, elle répondit :
– Heu... non, désolée. En vérité, je ne connais pas grand monde ici.
– Je vois, murmura Dan d’une voix sombre, son regard perdu dans le vague.
Peu à l’aise, et surtout désireuse de repousser autant que possible l’inévitable, Eldria tenta tant bien que mal d’entretenir la conversation :
– C’est... quelqu’un que tu connais ?
Mais pour toute réponse, Dan se contenta d’hocher mystérieusement la tête, clairement peu disposé à en dévoiler davantage. Cette Cynn était-elle habituellement celle qui partageait ces instants particuliers avec lui, dans cette même pièce ?
Même si cela lui semblait être une éternité, Eldria n’était prisonnière dans ce fort que depuis un peu plus d’une semaine, et elle n’était certainement pas la première à avoir été contrainte à cette proximité avec Dan. Toutefois, elle jugea que ce n’était aucunement le moment de lui poser davantage de questions personnelles. Ils se connaissaient à peine, et leur relation était déjà suffisamment intime à son goût !
Pendant quelques instants, seul le crépitement discret de la torche fixée au mur troubla le silence. Puis ce fut Dan, une fois de plus, qui reprit la parole :
– Écoute, au sujet de la dernière fois... Je n’ai pas vraiment eu l’occasion de m’excuser. Je sais que cela doit être difficile pour toi. Je ne voulais pas faire ce que j’ai fait. Je n’avais tout simplement pas le choix.
Eldria inspira profondément, avant de murmurer à contrecœur :
– Je sais.
Il la fixait intensément de ses yeux couleur prune, puis ajouta avec douceur :
– Et... je suis navré, mais il va falloir que l’on recommence.
– Je sais, répéta-t-elle, sentant ses joues s’enflammer.
Il se leva gauchement, cherchant ses mots avec embarras.
– Peut-être... que ce serait mieux de nous tourner. Enfin, pour nous déshabiller, je veux dire.
S’y sachant contrainte, Eldria finit là aussi par acquiescer du chef. Les jambes frémissantes, elle se leva à son tour. Heureusement, la douleur à sa cheville semblait s’être quelque peu atténuée.
– Bon, eh bien... allons-y, bredouilla-t-il gauchement.
Sa maladresse aurait presque pu paraître touchante aux yeux d’Eldria, si seulement elle n’avait pas été submergée par tout un tas d’autres préoccupations – devoir encore se dénuder alors qu’elle n’en avait nullement l’envie étant, pour l’heure, la principale d’entre elles.
Comme annoncé, Dan lui tourna le dos et entreprit aussitôt de déboutonner sa chemise. Soucieuse elle aussi de préserver leur pudeur mutuelle autant que possible, Eldria fit de même, faisant face au lit à plumes sur lequel elle n’osait imaginer les dépravations qui avaient pu s’y dérouler auparavant.
Légèrement moins anxieuse que la semaine passée, bien qu’encore mal à l’aise, elle ôta rapidement sa robe, puis sa culotte. Là, elle s’allongea à plat ventre sur le lit, prenant soin cette fois-ci de ne pas laisser ses genoux s’amocher contre l’inconfortable sol de pierre. Elle enfouit son visage dans les coussins, s’interdisant de le tourner vers Dan par inadvertance, qu’elle entendait s’affairer derrière elle. Le cliquetis de sa ceinture indiquait qu’il défaisait son pantalon.
– Ok, je me retourne, prévint-il finalement après quelques secondes.
Bientôt, Eldria sentit le regard du jeune homme se poser encore sur ses formes. Comme la fois dernière, il ne fit heureusement aucun commentaire, ce qui la soulagea. Elle l’entendit s’approcher du lit puis, très vite, perçut le bruissement discret de ses doigts glissant le long de son sexe. Au moins, il ne traînait pas, songea-t-elle. Il ne lui restait désormais plus qu’à attendre qu’il ait achevé sa besogne.
Que devait-elle penser de lui ? En réalité, elle n’avait passé que quelques minutes en sa compagnie, tout au plus. Et pourtant, le jeune homme s’était toujours montré aussi respectueux que possible. De plus, il avait risqué gros en la sauvant du soldat blond – son propre camarade. D’ailleurs... ce dernier allait-il seulement se remettre de son coup violent à la tête ? Et si oui, quelle allait être sa réaction lorsqu’il reverrait Eldria, seul à seule, dans les geôles ? Le sang d’Eldria se glaça à cette pensée : allait-il lui faire payer l’agression dont il avait été victime ? Même s’il n’avait jamais rien tenté jusque-là, profiterait-il qu’elle soit isolée et impuissante pour retenter sa chance ? Un frisson désagréable lui parcourut l’échine. Dan sembla le remarquer, car il lui demanda à voix basse :
– Tout va bien ?
– Oui, oui, mentit précipitamment Eldria.
Elle ne désirait pas parler, préférant se concentrer à faire le vide dans son esprit... tâche qui s’avérait relativement ardue lorsqu’un homme, la main sur le sexe, se touchait juste au-dessus de ses fesses !
Pourtant, elle savait que cela restait un moindre mal. Ce matin encore, elle s’attendait à perdre sa virginité dans ces mêmes conditions. Elle eut une pensée émue pour Salini, Karina, et toutes les autres captives, qui n’avaient sans doute pas eu la chance de tomber, comme elle, sur un combattant Eriarhi amical. Mais combien de temps cette situation allait-elle durer ? Pourrait-elle espérer retrouver Dan chaque semaine, jusqu’à ce que l’armée du Val-de-Lune vienne les sauver ? Ou, à défaut, qu’on daigne les libérer enfin ? En attendant, pourrait-elle seulement préserver ce qui persistait de son honneur ? Elle repensa à ce qu’elle avait dû faire, dans le dos de ses amies, sur le banc de la salle de bain un peu plus tôt, et songea qu’avec un peu de chance, cela ne lui aurait servi à rien.
Tandis qu’elle était plongée dans ses pensées, le contact de la semence chaude de Dan sur son dos la surprit presque et la fit sursauter. En seulement deux ou trois minutes, sans un bruit, il venait de s’abandonner sur elle. En réaction, Eldria se figea, allant même jusqu’à retenir sa respiration afin de le laisser finir. Puis, après un instant de flottement, Dan brisa le silence d’une voix légèrement haletante :
– Hem... j’ai essayé de ne pas en mettre de partout. Tiens.
Il semblait lui tendre quelque chose, mais Eldria, gênée, ne se retourna pas.
– Heu... balbutia-t-elle.
– Oh, pardon.
Elle l’entendit se rhabiller à la hâte, et lorsqu’il lui indiqua que c’était bon, elle tourna enfin la tête. À sa surprise, Dan avait seulement remis son pantalon, restant torse nu. Il lui tendait un mouchoir en tissu. Un instant, le regard d’Eldria dériva sur son torse lisse et brillant, mais elle se ressaisit aussitôt. Par pudeur, elle prit soin de ne pas mouvoir le reste de son corps allongé lorsqu’elle s’empara du tissu qu’il lui offrait.
– Tu t’en serviras tout à l’heure, dit Dan. Une fois qu’ils auront fait leur vérification.
– Merci, souffla-t-elle timidement.
Elle serra le délicat mouchoir dans sa paume tremblante, tandis que Dan récupérait ses autres vêtements pour se rhabiller intégralement cette fois, sans chercher à croiser son regard. Eldria, toujours allongée, la tête posée contre le matelas moelleux, l’observa distraitement, perdue dans ses pensées. En d’autres circonstances, elle l’aurait peut-être trouvé séduisant...
– Bon, je vais te laisser, lança-t-il enfin. Je...
Il hésita, comme s’il cherchait à dire quelque chose. Finalement, il sembla abandonner l’idée car il conclut simplement :
– À plus tard.
Sans plus de cérémonie, il ouvrit la porte et passa l’entrebâillement.
– Attends ! s’écria Eldria en relevant la tête, juste avant qu’il ne disparaisse.
Il s’interrompit et se tourna vers elle, un sourcil levé.
– Est-ce que... on va se revoir la semaine prochaine ?
Il esquissa un sourire énigmatique, puis répondit :
– Je l’espère. Prends soin de toi.
Et sur ces mots, il s’éclipsa.
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