25 · Crépuscule
Après le soudain départ d’Eldria en pleurs, Jarim demeura planté là, immobile, sur l’herbe encore tiède du soir, près du lac. Le tumulte de ses pensées l’enveloppait, mêlant l’abattement à l’incompréhension face la réaction inattendue – et déchirante – de son amie. Il avait lui-même porté cette douleur durant toute la journée, s’était fait violence pour rassembler son courage, espérant profiter de cette soirée si particulière pour enfin lui avouer combien elle comptait pour lui, pour sceller dans leurs cœurs ces précieux instants avant leur séparation... et leurs retrouvailles, espérait-il.
Combien de temps allait-il s’absenter ? Depuis que Daris, l’oncle d’Eldria, lui avait solennellement annoncé que tous les hommes en âge de porter une arme devraient bientôt partir pour défendre la nation, une boule d’angoisse glacée avait élu domicile au creux de son estomac. Pourtant, ce n’était pas par manque de courage – il en avait à revendre –, mais plutôt... de la crainte. La crainte de partir en guerre pour ne jamais revenir. La crainte de laisser derrière lui sa mère qui l’avait élevé seule, ses amis... et Eldria.
Aussi loin que ses souvenirs remontaient, il était amoureux d’elle. Un amour muet, secret, brûlant. Un amour qu’il n’avait jamais eu le cran d’exprimer, préférant repousser encore et encore l’inévitable instant où leurs destins seraient unis pour toujours... ou bien irrémédiablement séparés. C’était la perspective de cette dernière éventualité qui avait jusqu’alors nourri ses hésitations. Était-ce de la couardise ou, au contraire, le signe d’un amour sincère, prêt à tout pour préserver leur relation intacte ? Et si Eldria ne partageait pas ses sentiments ? Et si elle le considérait comme un ami, rien de plus ?
La nuit commençait à tomber. Résigné, il prit le chemin de la ferme, les bras ballants, son carquois rempli de flèches fraîchement taillées accroché à l’épaule, l’arc pendu à son bras. En passant devant la maison d’Eldria, il leva tristement les yeux vers la fenêtre de sa chambre : aucune lumière ne filtrait à travers les volets fermés. Sans doute était-elle déjà couchée, pensa-t-il, peut-être roulée en boule, cherchant seule dans l’obscurité un réconfort qu’il ne pouvait pas lui offrir. Il aurait donné n’importe quoi, en cet instant, pour pouvoir la prendre dans ses bras et lui murmurer que tout irait bien... mais c’était impossible.
Lorsqu’il franchit la porte de chez lui, sa mère, qui ignorait encore tout du sort qui attendait bientôt son fils unique, l’accueillit avec un sourire chaleureux :
– Tu rentres tôt ce soir, mon chéri. Alors, comment s’est passée ta sortie avec Eldria ?
– Bien, mentit Jarim en retirant ses chaussures pleines de terre. Elle était un peu fatiguée alors... elle vient de rentrer chez elle.
– Oh, je vois, répondit-elle avec douceur, avant de retourner à l’équeutage méthodique de l’imposante pile de haricots verts posée devant elle.
Jarim s’immobilisa gauchement sur le seuil de la cuisine, incapable de détourner le regard de sa mère, un mélange de tendresse et de culpabilité nouant sa gorge. C’était une petite femme au teint pâle, aux pommettes relevées et à la chevelure d’un roux sombre, tressée en nattes, évoquant les derniers rayons cuivrés du crépuscule.
Aux yeux de Jarim, sa mère était de loin la plus belle femme du monde – à égalité avec Eldria, bien sûr. La pauvre n’avait pourtant pas été épargnée par la vie : alors âgée d’à peine seize ans, elle avait dû tout quitter pour élever seule son enfant, affrontant sans jamais se plaindre les difficultés du quotidien. Jarim ne l’avait que rarement entendue évoquer cette époque trouble, qui semblait systématiquement faire ressurgir en elle de trop douloureuses pensées. Le géniteur de Jarim, qui qu’il fût, ne méritait d’ailleurs guère l’éloge de ses souvenirs. Pour seul héritage, il ne lui avait laissé que ses traits physiques, si différents de ceux de sa mère. Un legs aussi évident que cruel, témoignage permanent d’un homme dont il ne savait rien, sinon qu’il avait été lâche et méprisable.
Jarim n’avait pas le cœur à lui annoncer la mauvaise nouvelle ce soir. Elle semblait si heureuse, si paisible, en fredonnant doucement devant ses haricots, loin de toute inquiétude. Lui annoncer maintenant qu’il partirait dans moins de trois jours pour la guerre reviendrait à lui arracher toute paix, à lui voler une dernière nuit de sommeil dont elle aurait pourtant cruellement besoin pour affronter ce que leur réservaient les jours à venir. Demain, se promit-il, demain il demanderait à Daris, comme celui-ci l’avait proposé, d’annoncer la terrible nouvelle. Lui-même en était tout simplement incapable. Pas ce soir. Pas maintenant.
Il proposa à sa mère de l’aider dans ses préparatifs, mais elle refusa catégoriquement, soulignant avec fermeté qu’il avait une mine affreuse et qu’il ferait bien d’aller se reposer. Elle avait toujours eu ce don de lire en lui comme dans un livre ouvert, devinant ses émotions mieux que personne. Jarim n’insista pas davantage, lui souhaita une bonne nuit, puis monta lentement dans sa chambre. Une fois là-haut, il déposa son arc et son carquois dans un coin, ôta rapidement sa chemise et son pantalon encore légèrement humides, et se laissa mollement tomber sur le lit, l’esprit toujours accaparé par Eldria.
Comment avait-il pu tout gâcher à ce point ? Cela faisait plusieurs jours qu’on l’avait informé qu’il devrait très prochainement s’engager, mais, d’un commun accord, tous les hommes de la ferme avaient décidé de taire la nouvelle à leurs épouses et leurs filles – au moins jusqu’à réception d’une missive officielle émanant des hautes instances du Val-de-Lune. Jarim, conscient qu’il était très peu doué pour les mensonges, avait fait tout son possible pour éviter Eldria ces derniers jours. Ainsi, paradoxalement, l’arrivée de la lettre officielle le matin même lui était apparue comme une véritable libération.
Il avait choisi un endroit romantique, où il savait qu’ils ne seraient pas dérangés. Il l’avait invitée sans rien lui dire de plus, et après lui avoir annoncé, les yeux dans les yeux, son départ à la guerre, il avait égoïstement espéré que cela affecterait celle qu’il aimait. Alors il aurait pu la réconforter et, devant un soleil couchant embrasant le ciel, lui annoncer d’une voix solennelle qu’il était amoureux d’elle depuis toujours et qu’il espérait de tout son cœur qu’elle l’attendrait, le temps que cette fichue guerre prenne fin.
Il soupira profondément. Il lui restait trois jours. Trois petits jours pour terminer tous les préparatifs avant leur départ à tous. Trois petits jours pour essayer de lui parler et de rattraper son échec... Pourtant, tout n’avait pas si mal commencé. Leur baignade dans le lac avait été un merveilleux moment ; Eldria semblait même s’y être beaucoup amusée. Comme toujours avec elle, Jarim avait ressenti une complicité unique, une connexion intime qu’il ne partageait avec personne d’autre.
Il repensa à leur discussion, allongés côte à côte sur le rocher au bord de l’eau. Il s’était senti un peu gêné lorsqu’il s’était rendu compte qu’il pouvait voir distinctement, au travers de la robe mouillée de son amie, les détails de sa délicate poitrine. Jamais il ne l’avait vue rougir aussi vivement ! D’ailleurs... ce moment involontairement impudique l’avait lui aussi perturbé, d’une manière qu’il peinait à s’avouer.
Il ne put s'empêcher de repenser à la scène, et à ce qu'il avait vu sans vraiment y être invité. Certes, enfants, il leur arrivait de prendre des bains tous ensemble avec ceux de leur âge, sans gêne ni arrière-pensée, aussi cet évènement un brin inconvenant ne fut-il pas, à proprement parler, la première fois qu'il voyait le buste de son amie. Mais depuis leur adolescence, il n’avait plus eu l’occasion de poser ainsi son regard sur ce qui faisait d'elle une femme.
Pourtant, il ne l’avait jamais autant regardée, l’admirant lorsqu’elle se baignait en culotte et brassière, ou contemplant ses formes lorsqu’elle évoluait simplement devant lui. Bien sûr, il prenait systématiquement garde à ce que ces coups d’œil intéressés ne soient pas trop flagrants, ne désirant pas générer le moindre malaise chez elle. Néanmoins, au fil du temps, son attirance se faisait de plus en plus envahissante, comme si une sorte de chimie inéluctable était à l’œuvre dans son propre corps, lorsqu’il se trouvait en présence d’Eldria.
L’image de ses seins, menus mais joliment fermes, ses discrètes aréoles mordorées délicatement visibles sous le tissu mouillé, s’imposa nettement à son esprit. Se sentait-il coupable de l’imaginer ainsi ? Peut-être un peu... Mais son corps, lui, n’éprouvait pas la moindre hésitation : sous l’impulsion de ces souvenirs, son sexe avait déjà commencé à gonfler dans son caleçon, alimentant en lui un désir irrépressible qui éclipsait peu à peu toute autre pensée rationnelle. Machinalement, sa main glissa jusqu’à son entrejambe pour tenter de calmer cette soudaine ardeur, mais loin de l’apaiser, le contact délicat de ses doigts sur la zone sensible de son gland exacerba davantage son excitation. Comprenant qu’il n’allait pas pouvoir résister longtemps, il baissa son sous-vêtement jusqu’à ses cuisses, libérant son membre désormais dressé dans la pénombre.
Il observa un instant la silhouette familière de son pénis au gland rosé, contrastant avec sa peau sombre, duquel s’écoulait déjà une goutte de son désir. Il étala cette humidité autour du sommet sensible de sa verge, ce qui déclencha aussitôt un délicieux frisson. Puis, empoignant fermement son sexe palpitant, il entama de doux va-et-vient qui rapidement devinrent plus appuyés.
Tandis qu’il sentait sa peau coulisser sous ses doigts compacts devenus habiles pour la chose au fil du temps, il repensait encore et toujours à la poitrine d’Eldria, dont l’aspect et la forme lui revenaient encore précisément en tête. Il se plut à s’imaginer en train de les toucher, de les pétrir, de plonger sa tête dedans et d’en mordiller les tétons. Dans son fantasme, son amie prenait autant de plaisir à offrir son corps que lui à en profiter, ce qu’il n’avait jamais eu l’occasion de faire.
Ce n’étaient pourtant pas les opportunités qui lui manquaient : lorsqu’ils étaient respectivement âgés de dix-sept et seize ans, Salini lui avait adressé des avances très... appuyées. Bien que profondément flatté, il les avait poliment refusées, préférant se réserver pour l’élue de son cœur.
Dans son esprit libéré de toute contrainte, Eldria venait d’ôter sensuellement son haut encore détrempé, lui donnant à admirer sans fard sa taille gracile et son buste affirmé. Dans cette même lancée, elle faisait également glisser sa petite culotte le long de ses jambes fines et satinées, lui dévoilant, rien que pour ses yeux admiratifs, les fines lèvres roses de son sexe effarouché. « Sois doux », l’implorait-elle d’une voix empreinte de timidité, tandis que ses yeux bleu clair flamboyaient d’un désir ardent.
À mesure que le rythme de sa main s’accélérait, il imaginait ses lèvres effleurer cette poitrine tant désirée, son corps ébène se mêlant intimement au sien, plus pâle. Dans son esprit embrumé de désir, il faisait passionnément l’amour à Eldria, visualisant le rouge délicat qui montait aux joues de son amie à mesure que le plaisir les envahissait tous deux. Ce n’était d’ailleurs pas simplement la nudité d’Eldria qui l’excitait tant : c’était surtout l’idée qu’elle lui offre librement son corps, lui permettant ainsi de découvrir ses trésors cachés en toute confiance, en toute complicité.
Son imagination, conjuguée à l’intensité grandissante de ses caresses, finit par le conduire rapidement vers la limite du plaisir qu’il connaissait si bien. Malgré l’alerte de son corps lui indiquant l’approche imminente de l’orgasme, Jarim accéléra encore le rythme, voulant prolonger jusqu’au bout cet état enivrant.
Il sentit alors, inévitablement, ses muscles se contracter violemment, tandis qu’une vague de chaleur brûlante se répandait dans son bas-ventre. Il ne retint pas son plaisir et jouit avec force, libérant en longs jets successifs son sperme chaud, qui vint éclabousser son torse et son ventre. Un soupir incontrôlable de satisfaction franchit ses lèvres, alors que son corps tout entier se cambrait sous l’intensité de la sensation.
À mesure que ces éjaculations perdaient en intensité, Jarim percevait l’immense sensation de plaisir qui avait pris possession de lui peu à peu se retirer, comme un vague refluant inexorablement du rivage. Les dernières gouttes de son sperme finirent par sortir difficilement du bout humide de sa verge, kidnappant avec elles ses dernières velléités de lubricité. Son sexe, rougi par l’effort, son allié dans l’érotisme solitaire jusqu’alors, n’avait plus rien à lui offrir. L’organe apaisé s'étala mollement sur son bas-ventre maculé de son propre désir. D’ordinaire, il s’arrangeait pour jouir dans un mouchoir mais cette fois, pris dans son élan, il n’avait pas pu se retenir. L’image du corps nu d’Eldria s’estompa peu à peu, remplacée uniquement par celle de son visage radieux et tendre, qu’il connaissait par cœur.
Il ne lui restait plus qu’à s’essuyer maintenant...
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