30 · Effroi

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Eldria le fixa longuement, le visage impassible. Elle aurait dû éprouver de la peur, même de la terreur, mais son âme était comme éteinte. Elle avait accepté depuis longtemps que son destin n’était plus entre ses mains.

Le soldat blond soutint son regard, mais devant le mutisme et l’impassibilité de sa victime, son sourire provocateur disparut peu à peu. Peut-être s’était-il attendu à provoquer chez elle un sentiment de crainte, ou du moins de surprise, et son absence de réaction sembla presque le décevoir. Frustré, il détourna brièvement les yeux, avant de lui asséner sans prévenir un violent revers de la main.

– Catin ! vociféra-t-il.

L’impact du gantelet d’acier sur la mâchoire d’Eldria manqua de la lui arracher. Elle faillit basculer complètement, se rattrapant de justesse à l’établi poussiéreux. Une douleur aiguë explosa sur sa joue, tandis qu’un goût métallique se répandait dans sa bouche.

– Ça, c’est ta faute ! ajouta-t-il en pointant du doigt son imposante cicatrice.

Eldria demeura muette. Malgré la douleur, elle n’avait pas crié. Lentement, elle se redressa, passa la main sur sa lèvre fendue qui saignait légèrement, puis posa de nouveau sur lui un regard sombre et étrangement indifférent, à peine voilé par ses mèches emmêlées. Ce calme dédaigneux décontenança davantage son agresseur. Visiblement déstabilisé, il la saisit violemment par le menton et approcha son visage du sien, les dents serrées.

– Tu vas me dire qui est l’enfoiré qui m’a fait ça, cracha-t-il en désignant son imposante cicatrice. Sinon...

Il semblait éprouver les plus grandes difficultés du monde à contenir ses ardeurs. Eldria, pourtant, ne détourna pas les yeux. Au contraire, une lueur de défi avait fini par s’y animer.

Pendant un instant ils ne bougèrent pas, leurs fronts se frôlant dangereusement. Puis, sans prévenir, Eldria rassembla le peu de salive qu’elle pouvait produire et cracha directement au visage du soldat. Le liquide sanguinolant atteignit parfaitement son œil, le faisant immédiatement lâcher prise et reculer d’un pas, essuyant maladroitement son visage avec un air aussi surpris qu’indigné.

– Je ne dirai rien, lança Eldria avec détermination.

Elle n’avait plus peur de lui, ni même de ce qu’il pourrait lui infliger. Dépouillée de tout espoir, elle était désormais prête à tout affronter.

Le visage du soldat blond, auparavant cruel et dominateur, se déconfit comme un masque de cire exposé à une flamme ardente. Il balbutia un instant, incapable de formuler la moindre phrase cohérente. Puis, tel un bambin capricieux frustré de ne pas obtenir satisfaction, il explosa de rage. Avec une violence incontrôlée, il se jeta contre une étagère voisine, précipitant au sol les torches soigneusement alignées. Cela ne suffisant visiblement pas à apaiser sa fureur, il empoigna l’un des imposants tonneaux d’huile placés près de l’établi, et le renversa dans un fracas assourdissant. Des litres de liquide noirâtre s’échappèrent, recouvrant en un instant le sol en pierre, engloutissant les motifs de losanges gravés sur les dalles.

Essoufflé, les poings serrés, des gouttes d’huiles éclaboussant ses jambières, le blond sembla enfin peu à peu regagner contenance. Son regard brûlant de haine se posa de nouveau sur Eldria. Il avait l'air plus fébrile que jamais. Puis soudainement, sans un mot, il fondit sur elle et l’empoigna par la gorge. Sa poigne était si brutale qu’elle sentit aussitôt l’air cesser d’atteindre ses poumons. Il la souleva lentement, inexorablement, jusqu’à ce que ses fesses ne touchent plus la surface de l’établi.

Les yeux écarquillés, Eldria eut un sursaut de panique. Son cœur accéléra follement dans sa poitrine, tentant de compenser le manque cruel d’oxygène. Ses mains affaiblies saisirent vainement les doigts d’acier qui lui comprimaient la gorge. Incapable de se libérer, elle sentit malgré elle un regain instinctif de combativité. Son corps, soudainement éveillé par un réflexe de survie, se mit à se débattre dans le vide. Pourtant, la poigne du soldat était trop forte, impitoyable.

Le regard cruel du blond se transforma alors en un rictus pervers, maintenant qu’il dominait enfin sa victime et qu’il lisait l’effroi au fond de ses yeux écarquillés. Il semblait retirer un certain plaisir à la voir suffoquer. Tandis qu’il la maintenait ainsi, à la limite de l’asphyxie, sa main gauche descendit lentement vers son armure, détachant méthodiquement la pièce de métal protégeant son entrejambe. Celle-ci tomba dans la flaque d’huile dans un bruit sourd. Sans lâcher Eldria du regard, il libéra son sexe déjà tendu d’excitation. Se penchant davantage sur elle, il murmura d’une voix sournoise :

– Je vais te prendre, ici et maintenant. Tu me supplieras d’arrêter en me donnant le nom du chien qui t’a aidée la dernière fois.

Joignant le geste à la parole, il la relâcha brusquement. Eldria eut à peine le temps de réatterrir lourdement sur l’établi qu’il lui plaqua cette fois-ci violemment son gantelet contre la bouche, l’empêchant de reprendre convenablement son souffle. D’un mouvement sec, il la fit basculer sur le dos, si bien que l’arrière de son crâne heurta le bois dans un bruit sourd qui la sonna brièvement. Recouvrant difficilement ses esprits, elle voulut hurler... mais ses poumons étaient désespérément vides. C’était à peine si elle arrivait à respirer par les narines. Seul un gémissement étouffé parvint à passer ses cordes vocales.

Une peur indicible la gagna cette fois. Le détachement qu’elle avait ressenti un peu plus tôt s’était dissipé, comme si la perspective de la suffocation lui avait, malheureusement, fait regagner son enveloppe corporelle. Tandis qu’elle luttait pour aspirer la moindre bouffée d’air, une vérité glaçante lui traversa l’esprit : si elle ne perdait pas immédiatement connaissance à cause de l’asphyxie, elle allait être sauvagement abusée ici-même, dans cette pièce sombre et sale, par cet homme cruel et impitoyable qui ne lui accorderait aucune pitié.

Maintenant qu’elle était à sa totale merci, il lui écarta sans difficulté les cuisses et se fraya un chemin entre ses genoux, afin qu’elle ne puisse plus lui mettre de coups de pieds. Sa main libre remonta rapidement le pagne de sa victime, dévoilant la peau blême de son ventre jusqu’au-dessus du nombril. Eldria inspira désespérément par le nez, tentant une fois encore de hurler à travers les doigts implacablement serrés contre ses lèvres. Mais elle ne réussit qu’à produire un son étranglé, pitoyable. Et même si elle était parvenue à crier, qui viendrait à son secours en ces lieux sinistres ?

Pourtant, alors que son agresseur était sur le point de déchirer brutalement sa culotte, un coup vif fut soudain frappé contre la porte :

– J’ai entendu du bruit ! Qu’est-ce que tu fabriques là-dedans ? lança la voix inquiète du soldat qui avait escorté Eldria jusqu’à ce piège.

Le blond s’immobilisa brusquement, interrompu dans son élan. Eldria tenta à nouveau de crier, mais il plaqua plus violemment encore sa paume gantée contre son visage, à tel point qu’elle crut un instant qu’il allait lui briser la mâchoire.

– Tu... tu n’es pas en train de lui faire du mal, j’espère ? reprit le garde. Si tu l’amoches, c’est moi qu’on accusera !

Une veine palpita sur la tempe du blond, qui était maintenant pratiquement allongé sur elle. Ses yeux injectés de sang se posèrent sur l’entrée de la pièce.

– Dégage de là ! beugla-t-il sans retenue.

– Ah ouais ? Tu veux jouer à ça ?

L’homme derrière la porte essaya à plusieurs reprises d’en actionner la poignée, mais le verrou l’empêchait d’entrer. Perdant patience, il entreprit de cogner contre le bois avec force.

– Laisse-moi entrer ! Ce n’est pas ce qu’on avait convenu !

Les coups résonnèrent lourdement, menaçant de faire céder les vieux gonds rouillés. Le soldat blond tourna à nouveau les yeux vers Eldria, hésitant clairement sur la marche à suivre tandis que son souffle chaud balayait la joue pâle de sa victime. Dans ses pupilles dilatées se reflétait un terrible dilemme.

Puis, d’un geste brusque et rageur, il finit par relâcher son étreinte. Eldria inspira avec avidité l’air salvateur, mais cette bouffée d’oxygène soudaine provoqua aussitôt une violente quinte de toux sèche. Elle se recroquevilla instinctivement sur l’établi, le visage enfoui dans ses mains tremblantes, cherchant à calmer sa respiration devenue douloureuse. Pendant ce temps, son agresseur remit lentement en place son armure couverte d’huile, comme si de rien n’était. Puis, avec un calme froid, il alla déverrouiller la porte que son collègue continuait de marteler avec acharnement.

Le garde manqua de perdre l’équilibre tandis que le battant se dérobait sous son épaule. Il resta un instant interdit devant la scène désastreuse : les dizaines de torches éparpillées au sol, baignant dans une immense mare d’huile visqueuse, et Eldria, jambes dénudées, recroquevillée sur l’établi, tentant péniblement de reprendre son souffle.

– Je n’aurais jamais dû te faire confiance, lâcha-t-il finalement d’une voix amère en se dirigeant vers elle avec précaution, veillant à ne pas glisser. Les autres croient peut-être à tes histoires, mais moi, je sais ce que tu vaux.

Sans ménagement, il souleva Eldria par la taille et la jeta sans douceur sur son épaule, tel un vulgaire sac de grain.

– Merde, elle saigne en plus, ajouta-t-il avec colère en apercevant la lèvre tuméfiée de sa prisonnière. Si quelqu’un remarque quelque chose, je nierai tout en bloc. C’est la dernière fois que je te rends service, espèce de taré.

Sur ces paroles pleines de dégoût, il quitta la pièce en portant Eldria. Impassible, le soldat blond se contenta de remettre son heaume en silence, les regardant partir sans esquisser le moindre geste. Mais au fond de ses yeux mauvais, une chose était claire : ce n’était que partie remise.

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