31 · L'affection d'une sœur

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– Eldria ? Qu’y a-t-il ?

Salini s’élança vers son amie, qui venait d’être brutalement propulsée à l’intérieur de la vaste salle de bain. Les cheveux en bataille, les yeux rougis par les larmes, Eldria avança de quelques pas hésitants avant de tomber lourdement à genoux, à bout de force. Sa maigreur frappait plus encore que la semaine précédente, et la pâleur de son visage soulignait sa détresse. Inquiète et bouleversée, Salini se précipita pour la soutenir, empêchant qu’elle ne s’effondre davantage.

Sans plus pouvoir se retenir, Eldria éclata en sanglots. Elle n’avait plus la force de vivre dans cette peur perpétuelle. Plus le temps passait, plus sa vie d’avant lui paraissait lointaine, inaccessible. C’était comme si son enveloppe charnelle devenait petit à petit une coquille vide qu’elle trainait de semaine en semaine dans cette prison infernale, en oubliant peu à peu le sens de sa présence en ce monde. Ce n’étaient plus des larmes de chagrin ni de honte qui sillonnaient ses joues, mais bien des larmes de désespoir. Un désespoir infini, inextinguible. Elle ne souhaitait plus qu’une chose : que tout cela cesse enfin.

Avec douceur, Salini, simplement vêtue d’une modeste culotte grise, l’enveloppa tendrement dans ses bras, lui offrant son épaule pour épancher son chagrin. Eldria s’y abandonna aussitôt.

– Chut, chut... ça va aller, murmura Salini avec tendresse. Tu peux te confier à moi. Je suis là.

Entre deux hoquets pénibles, Eldria réussit à raconter à son amie ce qu’elle venait tout juste de vivre. Elle avait tant besoin de parler, d’être entendue, d’être réconfortée par une présence sincère. Salini, attentive et compatissante, ne fit aucun commentaire. Elle se contenta de la serrer plus fort contre elle, lui répétant sans cesse aux creux de l’oreille qu’elle était en sécurité maintenant, et que tout allait finir par s’arranger. Les deux compatriotes restèrent ainsi enlacées sur le carrelage froid, tout près de la porte de la salle de bain, leur amitié leur offrant l’unique chaleur qu’il leur restait.

Petit à petit, ses sanglots s’apaisèrent, jusqu’à cesser totalement. Ressentir enfin contre elle la chaleur sincère de quelqu’un qui se souciait réellement de son bien être lui procura une sensation de réconfort profond, un baume précieux appliqué sur ses blessures invisibles. Elle tenait à Salini. Énormément, même. La froideur de leur relation d’adolescence s’était définitivement évanouie, pour mieux laisser renaître leur complicité fusionnelle d’antan.

Sans Salini, Eldria se serait sans doute laissée dépérir depuis longtemps. Elle seule parvenait à la rassurer, à la forcer à toujours aller de l’avant. Eldria lui devait tout ici, et depuis qu’elles n’étaient plus que deux à pouvoir se soutenir dans cet enfer, leur lien unique s’était mué en une force vitale.

Soudain, Eldria fut saisie d’une décharge fulgurante au creux de la poitrine : une sensation de proximité si vive qu’elle resserra son étreinte. Elle avait tant de besoin de ressentir qu’on l’aimait, autant qu’elle avait besoin de l’exprimer. Au travers du fin tissu de son pagne, le contact du buste tiède de Salini serré tout contre le sien la troubla presque. Pourtant, elle connaissait cette poitrine étrangère par cœur, à force d’y être exposée chaque semaine. Elle s’était même plusieurs fois surprise à l’admirer du coin de l’œil, sans autre arrière-pensée que de la trouver gracieuse, loin de toute forme de jalousie. Pourtant, en cet instant, elle était gagnée par une pulsion aussi inattendue qu’inédite : se contenter de regarder ne lui suffisait plus.

Pour la première fois, ses paumes remontèrent doucement le long de la taille resserrée de sa consolatrice, jusqu’à venir effleurer du bout des doigts le haut de son torse exposé afin de recueillir sa réaction. L’intéressée ne commenta pas ces effleurements, mais n’esquissa pas de mouvement de mouvement de recul pour autant. Cette absence de réponse fut pour Eldria un encouragement silencieux.

Ses paumes se firent plus audacieuses, jusqu’au moment où les deux objets de son désir tinrent enfin presque entièrement aux creux de ses mains fureteuses. Leurs joues collées l’une contre l’autre, imitant ce que Salini avait fait sur celle près de trois mois auparavant, Eldria entreprit de caresser de façon un peu plus prononcée ces seins pareils à deux joyaux purs, qui avaient la fermeté du cuir et la douceur de la soie. Sous ses doigts décidés, elle sentait résonner les battements réguliers de ce cœur étranger, vibrant à l’unisson du sien.

Car oui, c’était avec Salini qu’elle avait connu sa première expérience sexuelle. Même si les circonstances avaient alors été pour le moins dérangeantes, cela ne l’empêchait pas de ressentir à l’égard de sa voisine des sentiments dépassant la simple amitié. Eldria s’était littéralement mise à nue à de multiples reprises devant elle – elle s’était même masturbée à ses côtés une fois – et, par-dessus tout, son amie l’avait déjà doigtée jusqu’à l’orgasme.

Réciproquement, les avantageux atouts physiques de Salini n’avaient plus rien de secret pour Eldria. Ces fesses savamment arrondies, ces seins ni trop petits ni trop gros, cet entrecuisse soigneusement entretenu... Eldria les connaissait si bien qu’elle serait capable de se représenter en pensées les moindres détails de cette silhouette élancée. Aussi, et même si cet acte datait de plus d’un an déjà, elle l’avait déjà surprise en plein acte intime avec deux garçons – ce dont elle ne lui avait jamais parlé d’ailleurs.

Naturellement, ses caresses timides prirent de l’assurance. La peau de Salini était lisse comme la courbe d’un croissant de lune. D’ailleurs, son incarcération ne l’avait pas amaigrie, les exercices physiques qu’elle s’astreignait à faire en cellule la maintenant en plutôt bonne forme. Peut-être Eldria aurait-elle dû davantage prendre exemple sur elle...

Mais pour le moment, aucune des deux amies ne jugea utile de parler. En douceur, soucieuse de la réaction qu’elle allait peut-être provoquer, la main d’Eldria se détacha du sein qu’elle palpait pour plutôt se mouvoir sur le ventre de sa partenaire d’étreinte. Ses phalanges frémissantes effleurèrent son nombril, son bas-ventre... Elle sentit les muscles abdominaux de son aînée se contracter au contact de ses doigts explorateurs, comme en réaction incontrôlée à des chatouilles. Puis, avec la délicatesse d’une brise d’été, elle laissa glisser sa main sous l’étoffe légère recouvrant l’intimité de son amie. Au toucher, son sexe vallonné était tout aussi doux que le reste de son corps.

Eldria se serait attendue à ce que Salini la repousse... mais ce fut tout l’inverse. À en juger par le tressaillement subtil qui la parcourut, son amie semblait réceptive à ces attouchements, et se cambra presque au contact de ces doigts étrangers sur son jardin secret. Ainsi étreintes, elles ne pouvaient pas se voir, mais Eldria se plut à imaginer que sa partenaire s’empourprait d’être ainsi touchée, comme elle lors de leur première fois.

En tant que femme elle-même rompue à l’exercice de se procurer du plaisir, Eldria disposait de l’avantage considérable de connaître parfaitement les rouages de l’anatomie féminine. Par expérience, elle savait exactement quoi toucher – et selon quelle intensité – pour procurer d’irrésistibles salves de plaisir. Méticuleusement, elle entreprit de frotter l’extérieur des délicates lèvres bruissant sous ses doigts, provoquant une nouvelle contraction chez sa partenaire. Là, elle resserra l’annulaire et l’index, épousant cette fois-ci ses lèvres intérieures, brûlantes et déjà bien humides. Simultanément, elle plia le pouce afin de venir candidement titiller son clitoris, juste au-dessus de sa fente. Eldria était bien placée pour savoir que cet innocent bouton de chair, dissimulé sous un repli de peau, était en fait, de loin, l’organe le plus sensible d’une femme. D’ailleurs, elle ne s’y trompa pas : lorsqu’elle se mit à le stimuler de la pulpe du pouce, le corps de Salini se tendit tout entier, et un souffle étranglé franchit ses cordes vocales.

Pour la première fois depuis des lustres, Eldria sourit, satisfaite de l’effet qu’elle produisait. Les yeux clos, son nez plongé dans les boucles d’or de son amie, son majeur se joignit à la danse : elle le fit parcourir cette vulve offerte en plusieurs aller-retours langoureux. À plusieurs reprises, Salini laissa échapper un gémissement retenu, comme si elle craignait de céder. Mais Eldria, elle, voulait l’entendre, la sentir vibrer, jouir entre ses doigts. Il n’y avait plus de retour possible.

Après quelques secondes à pianoter sur son épiderme trempé, son majeur se présenta finalement aux portes de la cavité intime de Salini. En toute délicatesse, persuadée de procurer un plaisir intense à sa partenaire, elle entreprit de l’insérer. Pourtant, à peine le bout de son doigt disparu à l’intérieur, son amie resserra brusquement les cuisses et se redressa, forçant Eldria à se retirer. Les joues de la jeune femme s’étaient empourprées, roses comme l’aube, et son expression trahissait un trouble manifeste.

– Je... je ne crois pas que ce soit une bonne idée, souffla-t-elle en se passant nerveusement la main dans les cheveux.

Accroupie, Eldria la regarda avec un mélange de surprise et de circonspection. Le fait d’ouvrir les yeux et de la voir là, devant elle, à moitié nue, lui fit soudain prendre conscience de ce qu’elle venait de faire. Subitement gênée, elle détourna le regard en rougissant à son tour.

– Eldria, je... je suis désolée, ajouta Salini en lisant l’embryon de déception sur le visage de sa voisine.

Elle prit le temps de la considérer avec bienveillance, comme à la recherche des mots justes, puis se remit à sa hauteur, le visage grave.

– Écoute, je suis vraiment touchée par... ce qui vient de se passer. Mais je pense que ce n’est ni le moment, ni l’endroit. Et puis... tu n’es pas vraiment toi-même. Pas en ce moment.

Eldria resta muette. Alors Salini reprit, ses joues se colorant de plus belle :

– Si tu veux tout savoir, moi aussi je... j’ai une affection particulière pour toi.

À ces mots, le cœur d’Eldria s’emballa. Qu’avait-elle fait ? Salini avait raison : depuis quelque temps, elle ne se reconnaissait plus. Jamais, auparavant, elle n’aurait imaginé désirer un tel moment de passion avec une femme. Au plus profond d’elle-même, elle savait assurément qu’elle aimait les hommes, et cela n’avait pas changé. Et pourtant... elle ne pouvait nier que la vue d’un corps féminin lui avait déjà, quelques fois, valu de subites et inattendues bouffées de chaleur.

Que penser de cette fois à la ferme, lorsqu’elle avait observé en secret Troj, Aran et Salini ? Quand cette dernière s’était dénudée, cela l’avait pratiquement autant fascinée que lorsqu’elle avait aperçu, au même moment et pour la première fois, les pénis des deux garçons. Cela était-il normal ? Et plus récemment encore, dans cette même salle de bain, quand Karina s’était penchée en avant, lui offrant sans le savoir une vue imprenable sur son intimité rasée... Cela avait suffi à déclencher en elle un début d’orgasme incontrôlé. Peu à peu, Eldria prenait conscience qu’à dix-neuf ans passés, elle ne cernait peut-être pas encore entièrement sa propre sexualité.

Elle fut tirée de ses pensées par Salini, déjà relevée. Peut-être lui avait-elle parlé tandis qu’elle divaguait, mais elle n’avait rien entendu. Toujours était-il que son amie arborait de nouveau son sourire jovial, ce qui la surprit presque.

– Tu viens te laver ? proposa-t-elle comme si de rien n’était. On devrait se dépêcher.

Comme toujours, elle avait raison : leur temps était compté. Comment Eldria avait-elle pu se laisser distraire ainsi ? Elle se redressa péniblement, tandis que Salini retirait sa culotte et se dirigeait vers le bassin. Eldria détourna pudiquement le regard, coupable de l’avoir suivie des yeux comme on contemple un interdit.

À son tour, profitant que Salini lui tournait le dos, elle se dévêtit. En ôtant sa culotte sale, elle sentit les vestiges de son excitation couler le long de sa cuisse. Heureusement, Salini ne regardait pas dans sa direction et ne remarqua rien. La jeune femme, faisant mine de se savonner les bras, ne lui prêtait pas attention, et elle attendit patiemment que le corps d’Eldria tout entier soit immergé avant de lui adresser un nouveau sourire amical. Un instant, Eldria fut soucieuse qu’un silence gêné s’installe, mais heureusement il n’en fut rien : Salini se mit à bavarder d’un ton neutre, racontant ses exercices de maintien en forme effectués en cellule. Eldria, silencieuse, lui fut reconnaissante de détourner ainsi la conversation et de ne pas revenir sur ce qui venait d’avoir lieu.

Tout en l’écoutant distraitement, elle ruminait ses pensées. Jamais elle n’avait connu pareille détresse émotionnelle. Pourtant, les simples mots de réconfort prononcés par Salini quelques minutes plus tôt l’avaient frappé en plein cœur. Elle ne devait pas s’apitoyer davantage sur son sort. Mais soudain, l’image du soldat blond resurgit : son visage cruel, ses yeux injectés de sang. Un frisson glacé remonta le long de son échine. Elle avait peur. Peur de ce qu’il lui ferait s’il la retrouvait.

Salini, attentive, sembla le remarquer :

– Tout va bien ?

Eldria hocha vivement la tête, puis, se sentant en confiance, retrouva la parole :

– C’est... cette histoire avec le blond, ce matin. Ça m’a terrorisée.

Machinalement, elle se frotta le cou, à l’endroit même où son bourreau avait failli l’étrangler. Le regard de Salini se fit compatissant.

– Tu devrais peut-être en parler à Dan, tu ne crois pas ?

– Non... ce ne serait pas une bonne idée.

– Il ne t’a toujours pas touchée, d’ailleurs ?

Nouvelle dénégation. Depuis qu’elle le côtoyait, Dan avait toujours fait preuve d’une certaine galanterie. Malgré la contrainte de leur relation, et même s’il était resté évasif sur le sujet de sa vie personnelle – ce qu’elle comprenait aisément –, cela n’empêchait pas qu’une certaine complicité était née entre eux. À chaque fois qu’ils se voyaient, Dan respectait, autant que faire se peut, son intimité, se contentant du dos d’Eldria pour faire ce qu’il avait à faire. Plus récemment, il s’était même inquiété, comme Salini, de sa fatigue et de sa perte de poids.

Malgré cette bonne relation, Eldria ne voulait pas parler du soldat blond à Dan. Elle n’avait pas envie d’envenimer davantage la situation. Que se passerait-il si, d’aventure, il tentait de la défendre ? Elle ne voulait pas qu’il soit blessé – ou pire – à cause d’elle ! Dans cette prison, elle était sans doute la seule captive à avoir préservé son honneur aussi longtemps. Sans Dan pour l’épauler, cela n’aurait guère duré...

Salini n’insista pas. Eldria préféra tout de même changer de sujet, et lui rapporta ce que Naïs, la jeune servante, avait confié au sujet d’une future "grande opération" le matin-même. Elles spéculèrent un moment, oscillant du meilleur – « Peut-être qu’ils veulent toutes nous libérer » – au pire – « Ou bien nous massacrer... ».

Puis, comme l’eau devenait de plus en plus savonneuse, le silence finit par s’installer. En d’autres circonstances, cela n’aurait pas eu d’importance, mais ce jour, l’air semblait s’être chargé d’une tension muette. Eldria était persuadée que, malgré son sourire, Salini restait perturbée.

– Bon, je crois qu’on devrait s’habiller, dit cette dernière en lui jetant un regard du coin de l’œil, comme pour voir si Eldria détournerait la tête à sa sortie de l’eau.

Elle se redressa. Eldria hésita un instant, puis se lança :

– Salini, pour... tout à l’heure, je...

Ses oreilles s’embrasèrent. Elle voulait s’excuser, mais sa gorge s’était nouée. Salini s’interrompit, visiblement déconcertée par cette tentative de rompre le pacte tacite qu’elles semblaient avoir conclu.

– Ce n’est rien, je comprends. Ne t’en fais pas pour ça. Nous en reparlerons quand...

Elle n’acheva pas sa phrase, leur libération, même lointaine, paraissant trop incertaine. Mais Eldria, le cœur lourd, sentit qu’elle devait parler. Il était temps de se libérer d’un poids resté trop longtemps enfoui.

– Je voulais aussi te dire que... l’été avant le départ des hommes à la guerre...

Honteuse, elle déglutit péniblement.

– Je... je t’ai vue, dans la grange, avec Troj et Aran, alors que vous étiez en train de... Tu comprends ? Je n’avais jamais osé te l’avouer.

Le visage de Salini, vu de profil, resta impassible.

– Merci pour ton honnêteté, répondit-elle finalement d’une voix blanche.

Elle se leva dans un bruit de clapotis. Les deux voisines s’habillèrent sans un mot. Ni l’une ni l’autre ne fit d’effort particulier pour se cacher, mais aucune n’eut de regard déplacé pour autant.

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