32 · La délivrance

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Eldria était encore perdue dans ses pensées lorsque Dan vint, comme à son habitude, s’asseoir près d’elle sur le lit. Salini était-elle fâchée ? Eldria avait-elle bien fait de lui avouer qu’elle l’avait déjà espionnée alors qu’elle s’abandonnait à Troj et Aran ?

La voyant immobile, le regard perdu dans le vague, Dan lui agita la main devant les yeux.

– Il y a quelqu’un ? demanda-t-il doucement.

Eldria tourna lentement la tête vers lui. Derrière son sourire de façade, elle crut distinguer une pointe d’inquiétude. Elle réussit néanmoins à lui rendre un sourire timide. Elle lui avait déjà parlé de Salini, mais elle n’aurait su lui confier la complexité nouvelle que venait de prendre leur amitié. Pas plus qu’elle ne pouvait lui révéler l’agression dont elle avait été victime quelques heures plus tôt. Elle fit donc de son mieux pour ne rien laisser paraître.

– Excuse-moi, souffla-t-elle, je suis juste un peu fatiguée.

– Tu t’es blessée à la lèvre ?

Par réflexe, Eldria porta la main à sa bouche.

– Oh, ce n’est rien... Je me suis coupée bêtement.

Dan arqua un sourcil suspicieux, mais n’insista heureusement pas.

– Tu as encore maigri, ajouta-t-il avec gravité. Tu devrais manger. Tu vas avoir besoin de reprendre des forces.

Eldria le fixa d’un air intrigué. Que voulait-il dire par-là ? À cet instant, il inspira profondément, posa une main ferme mais rassurante sur son épaule, et plongea son regard dans le sien.

– Nous allons sortir d’ici, déclara-t-il posément, sans détourner les yeux.

Eldria sentit son cœur faire un bond soudain dans sa poitrine. Avait-elle bien entendu ?

– Heu... sortir d’ici ? De cette pièce, tu veux dire ?

Il secoua la tête.

– Non, Eldria. De cette prison. Je sais comment t’en faire échapper.

Pendant un instant, elle crut avoir été victime d’une hallucination. Pourtant, ces mots résonnaient dans son esprit comme le cor salvateur d’une armée au galop. Les pupilles profondes de Dan restaient fixées sur elle. Il était sérieux.

Aussitôt, peut-être en raison de sa constitution fragile, elle se sentit presque défaillir et dut s’appuyer contre le mur pour ne pas basculer, aspirant de profondes goulées d’air alors que sa respiration lui manquait pour la seconde fois de la journée.

– Mais... et Salini ? fut la première question qui franchit ses lèvres, sur un timbre chevrotant.

– Je vais m’arranger pour qu’elle nous accompagne aussi.

Un nouvel afflux d’adrénaline la fit chanceler, comme si le lit sur lequel elle était assise se dérobait sous ses cuisses. Peut-être aurait-elle dû se nourrir davantage le matin-même...

– Dans deux semaines, reprit Dan, plus de la moitié de nos troupes sera déplacée vers un autre camp retranché au sud, plus proche du front. Ce ne sera pas mon cas. Nous pourrons profiter de la désorganisation pour nous échapper. Je connais un passage non gardé, qui mène hors de ces murs.

Alternant entre rire et les larmes, gagnée par une émotion intense, Eldria dut se faire violence pour ne pas tomber dans ses bras. Les yeux recouverts de larmes, les lèvres tressaillantes, elle laissa échapper un faible « Merci » alors qu’elle se projetait déjà hors de sa sinistre cellule, auprès de Salini, loin d’ici.

Pourtant, des dizaines de questions se bousculaient encore dans son esprit, comme autant de bateleurs criant sur une place de foire.

– Et c-comment va-t-on faire ? balbutia-t-elle avec agitation.

– De ton côté, ne change rien à tes habitudes. Je m’occupe de tout. Dans deux semaines, nous nous retrouverons ici-même, et nous partirons. Tu devras simplement prévenir ton amie. Je trouverai le moyen que celui qu’elle voit accepte de la laisser filer sous un faux prétexte.

– D’accord. Et... et dehors, où ira-t-on ? Tu resteras avec nous ?

– Oui. Une fois évadés, le plus dur sera fait. On improvisera.

– Et les autres filles d’ici, q-que va-t-il leur arriver si cet endroit est abandonné ?

– L’endroit ne sera probablement pas laissé à l’abandon. De nouvelles troupes vont surement venir remplacer les anciennes.

Eldria s’astreignit à respirer profondément par le nez et à souffler par la bouche. Peu à peu, elle retrouva son calme, même si elle peinait encore à y croire.

– Ne t’emballe pas trop, tempera Dan. C’est extrêmement risqué. Si on se fait prendre... inutile de te faire un dessin. Tu es certaine de vouloir tenter ça ?

Elle n’hésita pas une seconde. Le matin même, elle avait pratiquement abandonné tout espoir de connaître de nouveau la liberté. Ici, chaque jour la rapprochait d’un dépérissement certain. Et soudain, miraculeusement, une échappatoire se présentait. Aussi incertaine fût cette porte de sortie, aussi semée d’embûches, elle était trop miraculeuse pour qu’on la laisse filer.

– Bien sûr que je suis certaine ! répondit-elle, incapable de contenir son enthousiasme.

Puis soudain, une autre question jaillit malgré elle :

– Mais... et toi ? Pourquoi fais-tu ça ? Pourquoi est-ce que... tu nous aides ?

Dan esquissa cette moue énigmatique qu’il affichait chaque fois qu’elle se montrait trop curieuse avec lui.

– J’ai mes raisons.

Par expérience, Eldria savait qu’il n’était pas utile d’insister. Dan avait toujours cultivé une part de mystère, et elle avait fini par l’accepter. Aujourd’hui, il lui offrait une chance d’évasion, à elle comme à Salini, et pour l’heure, c’était tout ce qui comptait.

Malgré tout, et bien que son temps ici fût désormais compté, elle n’était pas encore libre. En attendant, elle devait faire profil bas et se plier – peut-être pour l’avant-dernière fois – aux règles humiliantes de cet endroit. Ils se dévêtirent donc dos à dos, puis Eldria s’allongea sur le ventre, la tête tournée vers le mur, comme à l’accoutumée. Mais cette fois, une sorte de nuage d’espoir, doux et réconfortant, avait élu domicile dans sa poitrine. Pour la première fois depuis des mois, la perspective d’un retour à sa vie d’avant devenait tangible. Son objectif était là, à portée de main.

Elle ne fit même plus vraiment attention aux bruits humides et caractéristiques qui se firent entendre au-dessus de ses hanches. À force, elle s’y était presque habituée. Elle ignorait ce qui poussait Dan à prendre le risque d’une désertion – car c’était bien de cela qu’il s’agissait –, mais elle était profondément touchée qu’il veuille la sauver d’un avenir sans issue.

Dehors, Salini et elle pourraient peut-être retrouver Soufflechamps et rassurer Dona ainsi que les autres, probablement morts d’inquiétude. Ensuite, elles chercheraient les poches de résistance du Val-de-Lune, où devaient forcément se cacher Daris, Yorden, Jarim, Minnlho, Kelrin, Troj, Aran et tant d’autres... Ces perspectives l’emplissaient d’une force insoupçonnée. Une force nouvelle, qui lui donna du courage. Tout n’était pas perdu !

Les minutes s’écoulèrent. Habituellement, Dan ne traînait pas. Pourtant, cette fois-ci, cela dura suffisamment longtemps pour qu’Eldria s’en fasse la réflexion. Elle entendait distinctement les mouvements de va et de vient qui s’intensifiaient au-dessus d’elle. Le souffle de Dan devenait saccadé, aussi s’attendait-elle, d’une seconde à l’autre, à recevoir son éjaculat tiède et précis sur le bas du dos. Pourtant, rien ne se produisit. De toute évidence, son compagnon de chambrée, contrairement à son habitude, était en difficulté.

Cela posait problème : ils le savaient tous deux, leur temps dans cet isoloir était limité. Si Dan ne parvenait pas à conclure, Madame Martone pourrait y voir un refus d’obtempérer de la part d’Eldria. Et si, à cause de cela, elle l’obligeait à changer de partenaire pour les semaines suivantes, qu’adviendrait-il de leur plan d’évasion naissant ? Un doute glacé s’insinua en elle.

Mais malgré ses efforts, après encore plusieurs minutes, Dan dut s’interrompre :

– Je... je n’y arrive pas, lâcha-t-il dans un unique souffle.

Dans le couloir, des bruits commençaient déjà à se faire entendre. Le cœur d’Eldria entama une nouvelle valse – de panique cette fois.

– Je vais continuer, reprit Dan, visiblement conscient que leur projet fragile reposait désormais sur sa capacité à se soulager.

En une fraction de seconde, Eldria sut ce qu’elle devait faire. Elle n’avait pas le choix. Et, portée par l’idée de la liberté, son geste ne la gêna pas autant qu’elle l’aurait cru : d’un mouvement vif et agile, elle se retourna.

Pour la première fois et sans en avoir émis le souhait, Dan put contempler sa nudité totale, qu’elle lui offrit sans détour, son visage pâle se teintant d’un carmin délicat. Elle gardait les yeux clos, comme pour minimiser la portée de son geste, mais aussi par pudeur envers celui qui allait devenir son sauveur. Les bras le long du corps, elle ne lui cachait rien. Son pouls s’affola. Elle espérait provoquer enfin l’effet attendu.

Eldria ignorait si c’était le lot de toutes les femmes au moment de se dévoiler à quelqu’un, mais elle avait l’impression étrange d’avoir acquis une sorte de sixième sens lui permettant de sentir le regard d’autrui glisser sur elle comme un pinceau invisible effleurant son épiderme. Était-ce réel, ou seulement le fruit de son imagination ? Toujours est-il qu’elle crut percevoir l’attention de Dan se poser sur ses seins – amaigris par les privations –, descendre sur son ventre fin, puis s’attarder sur son pubis presque encore glabre. De sa position, il devait même entrevoir le sillon délicat de son intimité. Heureusement, il n’émit aucun commentaire.

À l’extérieur, les bruits se rapprochaient. Passé un bref moment de flottement, Dan reprit de plus belle son activité onanique. Eldria, elle, demeurait perplexe. C’était la première fois que, de son plein grès, elle se dévoilait entièrement à un homme. Elle en était troublée, certes, mais elle se serait attendue à ressentir davantage de gêne pudique. Sans doute le fait que Dan l’eût déjà aperçue à moitié nue, de nombreuses fois, atténuait-il ce sentiment premier.

Se convainquant qu’elle ne ferait de mal à personne en s’accordant un infime écart de conduite, elle entrouvrit légèrement les paupières. Non qu’elle désirât voir clairement Dan en train de se masturber – elle n’était pas sûre d’être prête à affronter ce spectacle –, mais plutôt percevoir les formes, les ombres, les couleurs, pour mieux se représenter la scène. Après tout, elle venait de s’offrir à lui, n’avait-elle pas le droit d’en profiter un peu elle aussi ?

La silhouette floue du jeune homme se dessina vaguement au-dessus d’elle. Elle distingua d’abord son bras droit, s’affairant vigoureusement près de ses cuisses. Elle le savait pourtant pertinemment, mais pour la première fois, elle devinait distinctement qu’il était tout aussi nu qu’elle. Très brièvement, gagnée par une curiosité qu’elle jugeait elle-même un peu déplacée, elle entrouvrit encore davantage la paupière droite. Au travers de ses cils, ses pupilles se posèrent, presque malgré elles, sur son sexe.

Aussitôt, elle referma les yeux. Mais le mal était fait. En une fraction de seconde, elle avait aperçu les détails intimes de son organe en érection : les testicules, les quelques poils hirsutes à la base, et surtout la forme charnue de son gland, d’un rouge profond, en pleine action. Elle avait tout vu. Cette vision furtive l’embrasa tout entière. Elle se sentit devenir écarlate et pria pour que Dan ne remarque rien.

Son trouble ne s’apaisa guère lorsque, quelques instants plus tard, l’éternel fluide visqueux s’échappa en vagues successives, éclaboussant son ventre avant de s’étendre jusqu’à ses seins. Apparemment, ses attraits féminins avaient bel et bien provoqué l’effet escompté...

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