34 · Songe effervescent
Si Eldria avait abordé la semaine précédente avec un enthousiasme nouveau, celle qui s’annonçait à présent se révélait au contraire des plus angoissantes. Elle n’avait eu aucune nouvelle de Salini, et redoutait plus que tout que son amie manque, sans le savoir, l’heure du grand départ. Mais plus encore, elle s’inquiétait pour sa santé et son intégrité.
Naïs, lorsqu’elle l’avait revue, lui avait bien confirmé que la cellule de Salini était vide. Toutefois, n’étant évidemment pas dans le secret de ses supérieurs, la jeune servante s’en était montrée tout autant étonnée qu’Eldria. Cette dernière, toutefois, ne s’était pas risquée à lui révéler les véritables raisons de son inquiétude.
Et même si Salini avait été là, la perspective du saut vers l’inconnu qui se profilait continuait d’alimenter cette boule désagréable qui semblait avoir élu domicile tout près de son estomac. Et si quelque chose ne se passait pas comme Dan l’avait prévu ? Et s’ils étaient découverts ? Elle et Salini subiraient-elles le même sort que celui – terrible – réservé à la malheureuse qui avait tenté de s’évader quelques semaines plus tôt ? À cette seule pensée, Eldria se sentait nauséeuse et s’empressait de chasser cette vision épouvantable de son esprit.
Pour y parvenir, elle s’astreignait avec rigueur à ses exercices quotidiens. Cela avait le double mérite de la maintenir au chaud et de préparer son corps fragilisé à affronter les morsures de l’hiver, une fois dehors. Elle espérait seulement que Dan, dans ses préparatifs, aurait songé à prévoir des vêtements adaptés à la saison – particulièrement rude, ici, dans les terres du nord du Val-de-Lune.
Le temps ne lui avait jamais paru aussi long. Elle avait beau s’occuper le corps et l’esprit autant qu’elle le pouvait, la lumière du jour, filtrant par le soupirail du couloir adjacent, avançait sur le sol du corridor central avec une lenteur décourageante.
L’avant-dernière nuit précédant le jour fatidique, Eldria émergea d’un sommeil trouble et découvrit sa cellule baignée d’une étrange lueur bleutée. Au-dessus d’elle, se tenait le soldat blond. Debout, impassible, il ne portait pour tout vêtement que son heaume aux fentes étroites, derrière lesquelles ses pupilles sombres luisaient d’une lueur malsaine. Eldria était étendue à même le sol, nue, solidement enchaînée aux poignets et aux chevilles. Elle hurlait, mais aucun son ne franchissait ses lèvres.
Accroupie tout près de son bassin, Salini, le regard empathique, lui adressait un sourire tendre tandis qu’elle lui caressait sensuellement l’entrecuisse. « Ne t’en fais pas, tout va bien se passer », prononçait-elle d’une voix éthérée.
Eldria redressa la nuque. Non loin, sur un lit à baldaquin, le Comte et la Comtesse de Filis s’adonnaient sans retenue à leurs ébats. La Comtesse, la bouche pleine de l’énorme sexe de son mari, le relâcha un instant, effleurant de la langue le dessous du gland gonflé. Son regard malicieux se posa sur Eldria : « Ne soyez pas timide, ma chère. Venez donc pourlécher mon époux. Vous voyez bien qu’il n’attend que cela ». Mal à l’aise, Eldria s’empressa de fermer les yeux de toutes ses forces.
Lorsqu’elle les rouvrit, Salini n’était plus accroupie auprès d’elle. À quatre pattes dans la paille, elle se laissait prendre avec vigueur par Aran, qui la maintenait par les hanches. À leurs côtés, Karina chevauchait Troj avec un même entrain, sa poitrine généreuse rebondissant à chaque assaut, ses cris se mêlant à ceux de Salini.
Enfin, Eldria remarqua Dricielle, assise, l’air timide, sur un petit banc en face. Sa robe détrempée, d’un blanc virginal, laissait clairement deviner, pas transparence, la pointe marbrée de ses seins. Elle se leva pourtant avec une grâce qu’Eldria ne lui connaissait pas, puis croisa les bras et fit glisser le tissu collant à sa peau. Son corps nu apparut peu à peu, dévoilant ses contusions comme autant de stigmates indélébiles. Sans cesser de dévisager Eldria, elle s’avança vers elle d’une démarche langoureuse, un sourire ourlant ses lèvres fines. « Je t’ai entendue te toucher, la première nuit, près de moi. Si tu savais comme cela m’a excitée... J’ai hésité à te rejoindre. »
Elle se pencha et, sans détour, posa ses lèvres sur celles d’Eldria. Elles échangèrent un baiser long, passionné, leurs langues s’entremêlant dans une danse moite et tourbillonnante. Et contre toute attente, Eldria se surprit à trouver la sensation agréable.
Quand elle rouvrit les yeux, ce n’était plus Dricielle qu’elle embrassait, mais Jarim. Son ami d’enfance, vêtu d’un élégant uniforme militaire azuré, la dévorait d’un regard ardent. Le cœur battant, elle voulut crier sa joie et l’étreindre, mais il l’arrêta d’une voix grave : « Nous n’avons pas le temps, je dois repartir défendre la nation d’une minute à l’autre. Vite, chaque seconde compte ! ».
En un éclair, il se débarrassa de son uniforme et se plaça au-dessus d’elle, impatient. Heureusement, Eldria était déjà nue : elle n’eut pas à se soucier de ses propres vêtements. Son cœur s’emballa, partagée entre la crainte viscérale de perdre sa virginité dans la précipitation... et l’excitation de l’offrir à celui qu’elle aimait. Elle inspira longuement, se cambra et, les yeux clos, le sourire aux lèvres, s’abandonna à lui. Elle voulait le sentir sur elle, en elle, peau contre peau.
Alors qu’elle entourait passionnément de ses cuisses la taille de son amant, elle rouvrit les paupières pour mieux se plonger dans ses yeux au moment où il la pénétrerait. Mais les prunelles ténébreuses de Jarim avaient laissé place à deux iris aux pigments bruns, qui semblaient la sonder avec une gravité nouvelle.
Face à elle, entre ses cuisses largement écartées, Dan la considérait en effet de son air sérieux, insondable comme à son habitude. Soudainement, son sperme pressé fusa depuis le bout de son membre, érigé juste au-dessus du pubis d’Eldria. La semence visqueuse la macula du ventre jusqu’au haut du torse. Le contact du liquide chaud, presque réconfortant, sur sa peau à vif lui déclencha un orgasme des plus intenses, aussi se laissa-t-elle aller à rugir de plaisir en se cambrant davantage.
Mais, l’instant d’après, un haut-le-cœur la traversa. Elle s’était trompée. Ce n’était ni Jarim, ni Dan : c’était le soldat blond. Il ne l’avait jamais quittée. Paralysée par l’horreur, elle réalisa qu’il allait enfin assouvir sur elle ses menaces. Elle voulut se débattre, mais ses chaînes l’entravaient. Tout autour, leurs corps baignaient dans une mer d’huile noire, s’étendant à perte de vue.
Eldria voulut reposer l’arrière de son crâne contre le sol pour tenter d’appeler à l’aide, mais sa tête toute entière bascula à la renverse et plongea dans l’épais liquide, sans possibilité de s’en extraire. Aussitôt, elle remua les membres avec la force du désespoir pour tenter de s’extirper des chaînes qui la maintenaient captive, mais il n’y avait rien à faire : elle ne parvenait plus à respirer et allait bientôt se noyer.
Gaspillant le peu d’air subsistant au fond de ses poumons, elle poussa un nouveau et vibrant cri d’épouvante. Cette fois, seules quelques bulles disparates bondirent avec affolement hors de sa bouche grande ouverte, dans un bruit étouffé. Le reste de son corps, lui, était encore émergé et à la merci de son bourreau. Sans qu’elle ne puisse ni le voir ni l’en empêcher, elle sentit distinctement qu’il lui écartait farouchement les cuisses. Puis subitement, ce qu’elle redoutait tant se produisit : l’extrémité brûlante de son gland viril se frotta contre les parois humides de son intimité. Les lèvres de son innocente vulve s’écartèrent brusquement, laissant s’insinuer en elle ce corps étranger dans un déchirement de douleur.
Elle hurla encore, et se redressa en ouvrant de grands yeux agités. Il lui fallut quelques secondes pour distinguer, dans le noir quasi-complet, les murs presque rassurants de sa cellule. Son souffle était court et sa peau moite. Tremblante, elle balaya la pièce du regard, presque certaine de trouver une silhouette tapie dans l’ombre. Mais elle était bel et bien seule. Tout ceci n’avait été qu’un rêve, qui s’était achevé en un cauchemar beaucoup trop réaliste. Elle se rallongea sur sa paillasse en tentant tant bien que mal de regagner son calme.
Voilà longtemps qu’elle n’avait pas rêvé d’une étreinte charnelle, et jamais un rêve ne l’avait secouée avec une telle intensité. Son cœur palpitait encore tellement fort dans sa cage thoracique qu’elle le sentait battre jusque dans son cou, à un rythme effréné. Lorsqu’elle bougea les cuisses, elle sentit que sa culotte était pratiquement trempée. Le reste de son corps était, lui, rendu humide par la sueur. C’était presque comme si... ce qu’elle avait vécu en songe s’était réalisé.
Une chaleur fiévreuse l’envahit, brûlante comme du métal en fusion. Puis, presque aussitôt, le froid des cachots la transperça comme mille aiguilles glacées. Elle frissonna, ramena sur elle la vieille paillasse de Dricielle, et s’y enfouit. Il ne fallait surtout pas qu’elle tombe malade : le grand jour approchait.
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