Un tournant dans la résistance - Chapitre 4
Jeudi 6 mars 1941
Comme chaque jeudi depuis le début de l’année scolaire, je n’ai pas classe. Je compte bien prendre du temps pour discuter avec mon frère et en savoir plus sur ses activités. Mais surtout, je compte le convaincre que je peux lui être utile. Pour cela je dois connaître le mieux possible ses activités afin d’avoir les meilleurs arguments possibles, ce qui n’est pas une mince affaire. D’autant plus que je viens seulement de me réveiller ; enfin, ma jeune soeur m’a réveillée en jouant bruyamment dans notre chambre.
Ayant du temps aujourd’hui, ce serait le moment pour que je vous parle un peu plus de moi, n’est-ce pas ? Je vis donc à Lyon, cela fait déjà un certain temps que vous le savez. Tout de même, Lyon est une ville, une grande ville de France. Je vis donc plus précisément avec ma famille dans le sud de la ville, dans le cinquième arrondissement, au centre du Vieux Lyon dans le quartier Saint Jean. Vous connaissez sans doute de nom la Basilique Notre-Dame de Fourvière. J’habite un immeuble dans le style architectural de l’époque Renaissance, situé pratiquement au pied de la colline sur laquelle l’édifice est dressé. En passant la lourde porte de l’immeuble, on découvre une des nombreuses traboules du quartier. Puis l’escalier menant à notre appartement. Après avoir rédigé ces lignes, je me demande si je n’en ai pas trop dit sur ma famille. Serais-je en train, sans le vouloir, de mettre en danger mon frère et mon père ? Parlant de mon père, vous savez qu’il est cheminot à l’atelier de Oullins, banlieue sud de Lyon.
Pour ma part, au lycée, il m’est très difficile de me concentrer, et pourtant j’y passe du temps mais je doute que cela soit vraiment utile au vu des évènements qui rythment le temps en France.
Vendredi 7 mars 1941
Quand la cloche sonne la fin des cours à midi et quart, je range mes affaires. En attendant Lina sur le parvis du lycée, j’entends par hasard des professeurs parler de résistance. Je tends l’oreille. Interpelée par Lina, nous nous dirigeons ensemble Place Saint Jean, sur le parvis de la cathédrale. En déambulant dans les rues du Vieux Lyon avec elle, je pense à ce que je viens d’entendre devant le lycée, ne prêtant pas attention à ce que me dit ma camarade. À cet instant j’espérai en savoir rapidement davantage dans la mesure où je n’ai pas eu le temps de parler avec mon frère. Brusquement, Lina me sort de mes pensées à quelques mètres de la Place Saint Jean en me disant : « A quoi penses-tu ? Tu es ailleurs. » Je m’en excuse tout de suite en lui expliquant que je m’inquiète pour mon frère dont les journées ne sont plus du tout les mêmes depuis déjà pas mal de temps.
Mardi 1er avril 1941
Peu de temps en ce moment pour donner des nouvelles. J’ai peur que quelqu’un tombe sur ce petit carnet. Je viens d’apprendre que samedi le gouvernement de Vichy a créé un commissariat général aux questions juives dirigé par Xavier Vallat. L’angoisse monte d’un cran.
C’est bientôt mon anniversaire, ce n’est pas un poisson d’avril. J’ai tellement hâte, si vous saviez. À quoi m’attendre ? Les circonstances dans lesquelles on vit depuis presque un an ne sont pas les meilleures. J’aurais aimé avoir Les Misérables de Victor Hugo.
Jeudi 10 avril 1941
Pour mes 14 ans, temps libre ! Bien évidemment ce n’est pas avec grande surprise que je remarque que mes parents et mon frère ont oublié mon anniversaire ce matin. Sans doute, les circonstances sont-elles la raison de cet oubli. Ma jeune soeur à pensé à me le souhaiter, toute excitée, peut être un peu jalouse que mon anniversaire tombe un jour ou nous n’avons pas cours. Remarque, il me semble normal à son âge, qu’elle ne réalise pas tout ce qui se passe en France depuis onze mois, aujourd’hui même. Une fois prête, je rejoins comme je l’avais prévu Lina au parc de le Tête d’or. Afin de nous divertir un peu et tant bien que mal, nous allons voir Guignol, marionnette créée en ces lieux par un arracheur de dents.
Je lis toujours autant les journaux mais, nous concernant directement, rien de plus ; je ne comprends pas forcément tout. Nous n’avons pas non plus de TSF, car les parents n’en veulent plus. Cela pour des raisons de sécurité sans aucun doute. Mon frère, lui, très occupé et préoccupé, n’a pas même un instant à m’accorder pour discuter ensemble. Au moment où je réalise ce que je viens d’écrire je me dis : « Encore, il a de la chance, je suis en âge de le comprendre. Je pense même le comprendre mieux qu’il ne voudrait le croire. »
Samedi 12 avril 1941
Je n’ai su trouver le temps de poursuivre jeudi. Le soir même j’apprenai par Judith, la tante de Lina chez qui je dormais à l’occasion de mon quatorzième anniversaire, que la RAF effectuait des raids sur le port breton de Brest. À cet instant, j’ai peur. De qui tenait-elle cette information ? Aujourd’hui encore je ne le sais pas, je reste également certaine de ne jamais le savoir. C’est peut-être mieux ainsi. Avait-elle une radio cachée quelque part ? Est-ce un piège à retardement ? Ma sécurité m’est désormais primordiale mais je ne veux pas trop m’éloigner de Lina non plus. « Que réserve l’avenir ? » est inlassablement la question qui hante mon quotidien, à chaque instant. Vous non plus, vous ne pouvez pas faire mine de ne pas le remarquer.
Pour en venir à aujourd’hui, au petit déjeuner face à face séparé par la table du salon, j’ai enfin pu discuter avec mon frère. Il m’a enfin avoué qu’il fait partie d’un réseau de résistance et que son chef a dû aller à Paris. Cette information confirme mes soupçons sur le fait que mon frère est plus actif qu’il ne le dit. Bref, après cela il me tend un sac en papier sur lequel il est écrit « Flammarion ». Il me souhaite alors un heureux anniversaire. Je mets le sac de côté. Surpris, il me dit : « Tu ne l’ouvres pas ? » Je lui réponds : « J’attends les parents ». Dans ses yeux je perçois qu’il n’est pas content.
Dimanche 13 avril 1941
Ce n’est que ce matin durant un petit déjeuner en famille que j’ai ouvert le cadeau que mon grand-frère avait voulu m’offrir hier. Je me doute bien qu’il s’agit d’un livre. L’épais paquet fascine ma jeune soeur. Avant de l’ouvrir minutieusement, ma soeur l’observe ; il parait énorme à ses yeux. Puis je mets un terme au suspens qui fait languir mes parents et mon frère. J’ouvre donc ce paquet dans lequel je découvre Les Misérables de Victor Hugo. Je ne vous cache pas avoir été agréablement surprise d’un tel cadeau dans ces circonstances. Ma foi, je suis aussi heureuse qu’une petite fille au pied d’un sapin de Noël. Etant dimanche, j’aurais envie de commencer la lecture dans l’immédiat, mais voilà, je dois aider ma mère.
Jeudi 1er mai 1941
Aujourd'hui je suis sûre que, si la situation n'était pas celle-ci, nous serions partis en famille pour le week-end mais la vie en a décidé autrement, c'est comme ça ! Vous sentez sans doute ma colère dans ces mots n'est-ce pas ? J'en suis navrée. Mon père s'est tellement battu pour les congés payés quand je n'avais encore que neuf ans. Que neuf ans, en effet, mais je m'en souviens bien, et pour cause! C'était la première fois de ma vie que je découvrais la mer !
Tout de même durant ce premier mai pas comme les autres je n'ai pas chômé. J’ai lavé le linge de la famille.
Mardi 6 mai 1941
Mon frère m’apprend qu’hier, avec un groupe de copains dont René, ils ont perturbé la sortie du film de propagande de l’armée d’occupation « Le Juif Süss », qui était
Annotations
Versions