Chapitre 3 : Quand le Monde Meurt, l’Espoir Naît

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La ville morte s’étendait devant eux, un tableau figé dans l’horreur. Kaelen et Luliya marchaient lentement, leurs pas lourds sur les décombres brûlés. Autour d’eux, les vestiges des maisons noircies, des rues abandonnées, tout semblait se consumer dans un silence morbide. Mais ce silence n’était pas paisible : il était chargé d’une douleur profonde, invisible mais écrasante.

Partout où ils regardaient, ils voyaient les traces d’une violence sans nom. Des corps empilés gisaient dans les ruelles, comme des amas de bois usé, jetés là sans respect ni pitié. Les femmes et les enfants, mêlés dans un entassement sordide, paraissaient presque figés dans le temps, leur peau déjà ternie par la mort, leurs visages figés dans l’effroi. Quelques hommes avaient été décapités ; leurs têtes manquaient, comme si la cruauté avait voulu effacer leur mémoire. Les vêtements déchirés, la peau brûlée, leurs mains crispées sur un dernier espoir disparu.

Luliya serra les dents. Son ventre se noua, son cœur battait trop fort. Elle regarda ailleurs, mais le visage d’une petite fille sans plus d’un an la hanta. La fillette avait les yeux ouverts, vidés d’expression, comme si elle cherchait encore quelqu’un pour la protéger. Un frisson glacial parcourut Luliya. Elle détourna la tête, mais bientôt une boule nauséeuse monta dans sa gorge. Avant qu’elle ne puisse réagir, elle vomit sur le sol, le souffle court. Kaelen, qui la suivait, eut un haut-le-cœur lui aussi et se pencha pour ne pas perdre l’équilibre.

— Ça va ? murmura-t-il, la voix tremblante.

Luliya hocha faiblement la tête, les larmes coulant sur ses joues sales. « c’est trop… »

Ils continuèrent d’avancer, mais chaque fois qu’un enfant croisa une nouvelle horreur, plusieurs d’entre eux vomirent à nouveau. La vision des cadavres semblait briser quelque chose en eux, un rempart fragile contre la peur et la douleur.

Puis, dans un coin, caché sous une poutre écrasée et une couverture en lambeaux, Kaelen entendit un léger gémissement.

Il écarta lentement les débris, le souffle suspendu. Là, niché dans un berceau de poussière et de ruines, un bébé pleurait doucement.

Luliya s’agenouilla près de lui, les yeux grand ouverts. Le bébé était étrange, presque irréel. Sa peau était d’un blanc éclatant, comme un nuage immaculé. Ses cheveux, fins comme des fils de soie, tombaient en mèches d’un blanc pur sur son front. Mais ce qui fascinait le plus Luliya, c’était ses yeux. Ils étaient d’un violet profond, presque lumineux, comme une lueur douce dans l’obscurité.

— Il est… différent, souffla-t-elle, la voix pleine d’émerveillement et d’espoir.

Kaelen le prit délicatement dans ses bras. « Il s’appellera Elyan. »

À cet instant, Luliya sentit une chaleur nouvelle grandir en elle, un espoir qui chassait la peur. Elyan, le bébé à la peau de neige et aux yeux violets, était devenu leur lumière dans cette ville de cendres.

Ils s’installèrent dans les restes d’une maison saccagée, dont les murs branlants étaient le seul refuge. Luliya et les autres enfants s’y blottirent, guettant le moindre signe de vie. Ils espéraient, contre toute raison, qu’un chasseur, un adulte, quelqu’un survivrait encore. Mais les jours passèrent sans bruit. Le silence devint un poids.

Chaque matin, la puanteur des cadavres en décomposition envahissait leur refuge. Les ressources alimentaires fondaient, maigres restes d’un passé qu’ils ne pouvaient plus rejoindre. Elyan, si petit, réclamait du lait par des cris aigus qui tiraient des larmes aux autres enfants. Personne ne pouvait le nourrir normalement.

Un soir, alors que Luliya regardait les flammes mourantes d’un petit feu de fortune, Kaelen retourna dans les ruines de son ancienne maison. Il fouilla avec plus de soin, poussé par une intuition. Puis, il revint, le visage grave, tenant un vieux carnet usé, couvert de poussière et de cendres. C’était le carnet de runes de sa mère, la cheffe du village, la gardienne des secrets et des pouvoirs anciens.

Luliya le regarda avec curiosité mêlée d’espoir.

— C’est quoi ?

Kaelen ouvrit le carnet avec précaution. Sur ses pages, des dessins précis et anciens montraient des symboles étranges : des runes gravées dans du bois, de la pierre, ou dessinées dans l’air. Kaelen expliqua à voix basse :

— Maman m’a appris à lire ça. Ces runes, c’est des sorts. Des pouvoirs que notre peuple utilise… utilisaient.

Luliya frissonna. Elle savait comment leur peuple avait été traqué, persécuté, presque exterminé par l’empereur, il y a quelque jours de cela. Leur survie c’était leur secret le plus précieux.

Kaelen chercha longtemps, puis il trouva ce qu’il cherchait : une rune de déguisement, un sort de camouflage. Il prit un morceau de bois trouvé dans les décombres, et à l’aide d’un petit couteau, il grava la rune. Il en fit trois, délicatement, puis attacha chacun à une simple cordelette.

— On portera ça autour du cou. Ça nous cachera, au moins un peu. Nos cheveux, nos yeux… ils sauront pas qui on est. Si ils cherchent notre peuple, on sait jamais. Je suppose qu’ils veulent qu’on disparaisse.

Luliya passa ses doigts sur la rune gravée, sentant comme un frisson magique.

— Comme ... un masque de la fête du dragon.

Kaelen hocha la tête.

— Oui. Tant qu’on les portera, on pourra marcher sans craindre d’être trahis par ce qur l’on est.

Cette nuit-là, ils nouèrent les pendentifs autour de leurs cous. Leurs regards se croisèrent, lourds d’un mélange de peur et de courage. Le poids de leur histoire, de leur origine, pesait désormais aussi sur leurs petites épaules. Mais ils avaient au moins cela : un sort pour les protéger, un espoir pour avancer. Le lendemain matin, Kaelen réveilla Luliya doucement.

— Il faut partir.

Luliya releva la tête, sans surprise.

— Partir ? Où ?

— Vers les territoires de l’Empire, répondit-il d’une voix ferme mais fatiguée. Les soldats ne reviendront pas ici. C’est mort. Mais là-bas… là-bas, il y aura peut-être des adultes, des familles. Quelqu’un qui pourra s’occuper d’Elyan.

Elle le regarda, pleine d'incertitudes.

— Mais… et si on ne trouve rien ?

Kaelen serra les poings.

— On n’a pas le choix. Si on reste, on mourra tous. Le bébé a besoin de lait. Il faut trouver de la nourriture, un toit, des parents…

Le poids des responsabilités tomba sur leurs épaules, bien trop lourdes pour leurs âges. Mais ils n’avaient pas le choix. Ensemble, ils devaient quitter ce tombeau, avancer vers un avenir incertain.

Luliya serra Elyan contre elle, sentant son souffle fragile contre sa peau. Dans ses yeux violets, elle cherchait la promesse d’un demain meilleur. Et même si le chemin serait long, même si la peur les accompagnait, ils partiraient.

Car tant qu'elle respirait, il y avait toujours de l’espoir. Peut-être un jour qu’elle retrouverait même son père.

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