Chapitre 10 : Le piège se referme

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Point de vue : Luliya

L’espoir fragile qui brûlait dans le cœur de Luliya fut balayé d’un coup de vent glacial. Des ordres retentirent, rugissants et impitoyables, comme la clameur d’une tempête qui s’annonce. Des chaînes lourdes, froides, furent tirées de l’ombre, s’enroulant autour des bras et des jambes de ceux qui avaient cru pouvoir fuir. Elle comprit aussitôt : il n’y aurait pas d’échappatoire.

Leur lutte s’éteignit lentement, la douleur prenant le pas sur la révolte. Le sol vibra sous des pas lourds, inébranlables, et l’air se fit plus lourd, chargé d’une menace palpable. Ils les tiraient vers le village à la lisière du rite. Une angoisse monta dans la gorge de Luliya, ils allaient les voir. Mais pire que de montrer son apparence au village, elle le vit.

L’Empereur en personne.

Luliya n’avait jamais vu pareille chose. D’ordinaire, ses ennemis envoyaient des soldats, des bourreaux anonymes. Mais ce jour, c’était lui, le maître noir, le serpent drapé d’or, qui descendait vers eux, porté par la noirceur de ses desseins.

Elle le vit alors, et son souffle se coupa. Sa beauté était impossible, presque surnaturelle, un contraste terrifiant avec la folie qu’elle devinait derrière ses yeux translucides, glacés, où brûlait une lueur sauvage et instable. Son visage fin et parfait, ses traits sculptés avec une précision froide, sa peau d’albâtre semblait presque translucide, mais ses lèvres fines recelaient un sourire cruel, cruel comme un couperet.

La place centrale du village était plongée dans une obscurité presque totale, percée seulement par la lumière vacillante des torches dressées tout autour. L'air était dense, saturé de tension, alors que les villageois se pressaient, silencieux, figés dans une attente lourde de conséquences.

Imir, vêtu de ses habits de cérémonie, se tenait droit et fier, sans chaînes ni entraves, parfaitement maître de lui-même. Il connaissait le rite, savait ce qui l’attendait, et ne montrait aucun signe de peur. Son regard brûlait d’une détermination calme, presque arrogante.

Le rite commença par la récitation solennelle du serment. Imir s’adressa à l’Empereur, sa voix forte et claire résonnant dans la nuit,
— Je jure fidélité, corps et âme, à Sa Majesté l’Empereur. Mon épée, mon sang et ma vie lui seront consacrés sans réserve.

Les mots s’élevèrent dans l’air, porteurs d’une magie ancienne, liant Imir à l’Empereur par un serment indissoluble.

Puis, il récita une formule plus secrète, une incantation que seuls les élus connaissent, destinée à le protéger de la chaleur intense que dégage l’œuf du dragon au moment où il choisit son dragonnier.

Le silence se fit tandis que l’attention se tournait vers l’œuf, placé au centre de l’estrade, baignant dans une lueur pâle et tremblotante. Mais ce n’était pas la lumière d’une vie en devenir : l’œuf, d’un blanc nacré terni, semblait mort, figé sous une couche grise, dépourvu de toute énergie.

Imir posa lentement sa main sur la coquille, les muscles tendus, prêt à supporter la brûlure si elle venait. Mais au lieu d’une chaleur vivifiante, il ne ressentit qu’un froid glacial et une absence de réaction.

Un murmure parcourut la foule, sourd mais chargé d’inquiétude.

Luliya observa, le cœur serré, comprenant que ce rite était une mascarade, un message cruel de l’Empereur. Ce dragon blanc, ennemi juré des dragons corrompus qui servaient l’Empereur, était condamné à ne jamais s’éveiller, et Imir, privé de la marque sacrée, serait à jamais rejeté.

Imir, malgré tout, tint bon, terminant la formule avec une fermeté implacable. Son visage restait impassible, mais dans ses yeux brillait une défaite muette, celle d’un espoir anéanti.

L’Empereur, assis sur son trône improvisé, observait la scène, son visage d’une beauté troublante et inquiétante éclairé par la lueur des torches. Son regard était à la fois hypnotisant et terrifiant, reflétant une folie dangereuse sous une façade de contrôle total.

D’un ton glacé, il rompit le silence pesant :
— Montrez-les.

Les soldats tirèrent les chaînes. Luliya et Elyan furent projetés au centre. Dévoilés. Offerts aux regards. Le village entier vit ce qu’ils étaient. Pas des enfants ou adolescents. Des survivants. Des monstres, à leurs yeux. Car ils amenaient ce soir le mot trahison sur les lèvres de l’empereur. Imir détourna les yeux, fuyant le regard de Luliya, comme s’il voulait nier ce qu’il venait de voir.

Elyan, les yeux écarquillés, ne comprenait pas. Il tournait la tête de gauche à droite, cherchant désespérément un regard familier, un repère. Il n’avait connu que ce village, que ces murs, que ces bras qui l’avaient élevé. Sa voix, étranglée par la panique, implora :

— Maman ?... Papa ? Pourquoi ils... pourquoi ils nous regardent comme ça ?

Il se débattit faiblement, les poignets blessés par les chaînes, comme un enfant qui refuse l’abandon. Ses yeux se posèrent sur Shana, puis sur Tarkan, et la terre s’effondra sous ses pieds.

— Ils... ils vont nous tuer ? Pourquoi ? On n’a rien fait !

Luliya voulut le prendre dans ses bras, mais les chaînes la maintenaient trop loin. Elle sentait son frère glisser dans cette panique silencieuse, ce vide qui avale les orphelins trop tôt. Il appelait ses parents adoptifs comme un naufragé crie vers le rivage. Et personne ne le rattrapait.

— Ce village a abrité des traîtres, déclara l’Empereur, sa voix douce et terrible. Et quand un arbre cache le lierre, on coupe les deux.

Luliya tomba à genoux, le désespoir vibrant dans sa voix :

— Non ! s’écria Luliya, la voix brisée. Ils n’en savaient rien ! Ils m’ont recueillie, j’ai menti, depuis le début, ils m’ont protégée, c’est tout !

Luliya supplia, sa voix brisée, implorant leur clémence, affirmant qu’ils ne savaient rien, qu’elle avait porté le secret seule. Les anciens du village confirmèrent ses dires, tremblants, pour protéger Shana, la mère adoptive.

Mais l’Empereur, son regard brûlant de haine et de mépris, décrypta le mensonge. D’un geste brutal, il ordonna la mise à mort du père adoptif.

Il épargna la mère, par pitié — ou par calcul — désireux avant tout de maintenir l’obéissance du village sous son joug.

Puis, l’instant d’horreur le plus saisissant survint.

L’homme qu’elle avait cru perdu, le héros de son enfance, l’ombre de son passé transformé en bourreau : Kaelen. Il s’avança, impassible, le couteau scintillant dans ses mains. Son regard était vide, dur, éteint.

Luliya sentit son cœur se briser.

Elle cria. Elle cria si fort son nom, sa peine, sa terreur. Elle ne pouvait bouger, pas un muscle, tant les chaînes enserraient son corps. Elle vit celle qui l’avait aimé recueilli et protégé tomber à genoux, le cri arraché à ses entrailles, hurlant le prénom de son mari. Elle vit Arkan perdre le souffle à force de hurler se débattant de l’emprise de son grand-père.Elyan, déjà brisé de peur, s’effondra en larmes, appelant son père de toutes ses forces.

Et elle vit Kaelen, couvert d’armure, lame dégainée, vers l’homme qu’elle aimait comme un père.

— KAELEN ! hurla-t-elle. JE T’EN SUPPLIE ! Non, non, pitié ! Supplia-t-elle, comme Elyan qui faisait écho à sa sœur.

Mais Kaelen ne répondit pas.

Et le piège, enfin, se referma.

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