Chapitre 1 : Kalie

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Les jours s'enchaînent et se ressemblent effroyablement dans ma petite bulle.

​Onze heures ! L'heure officielle de mon réveil, l'un des rares privilèges d'être sa propre patronne. La cuisine m'appelle pour mon café sacré, le seul carburant capable de lancer la machine. Tasse fumante en main, j'affronte mon rituel, mon épreuve quotidienne : le balcon.

Une fois la baie vitrée ouverte, l'agitation parisienne m'assaille. Les voitures klaxonnent, les gens courent après leur bus, la vie grouille.

​J'ai toujours cet espoir stupide qu'en m'imposant cette routine, mes peurs disparaîtront par magie. Mais le simple fait de regarder le trottoir, quatre étages plus bas, déclenche ce frisson glacé le long de ma colonne vertébrale. Ma vieille cicatrice me tire dans le dos, comme un rappel douloureux de la réalité. Non, le miracle n'aura pas lieu aujourd'hui. Tant pis. Peut-être demain.

​Je referme la fenêtre, m'isolant du bruit, et je passe en mode travail. Il faut bien payer ma part du loyer. Armée de ma tablette graphique, je m'attaque à la commande du jour.

Sixième tentative de détourage de ce maudit chiot golden retriever. Le client exige un fond rose, vert et jaune. Mes yeux saignent devant cet attentat visuel, mais le virement à la fin du mois me motive à gommer une énième mèche de poils rebelle... Ce n'est pas exactement ce que j'imaginais de mon quotidien quand j'ai commencé ma carrière de graphiste.

​- Allez, Kalie, c'est de l'argent facile, soupiré-je en zoomant sur l'écran.

​Après de longues heures de concentration, le bruit de la clé dans la serrure me signale la fin de ma journée de labeur. Mes trois colocataires rentrent du travail. C'est l'heure de ma dose de socialisation obligatoire.

À peine ai-je mis un pied hors de ma chambre qu'Astrid me saute au cou.

​- Kalie ! Tu ne devineras jamais ce qui est arrivé au boulot aujourd'hui !

​Elle sautille sur place, ses boucles rousses vibrantes au rythme de son excitation. Astrid, c'est ma meilleure amie, mon pilier, mais aussi la plus grande commère de Paris. Je connais la vie de ses collègues mieux que celle de ma propre famille.

​- Laisse-moi deviner, tenté-je en souriant. Ted est encore en conflit avec la comptabilité ? Ou la machine à café est en panne et c'est le chômage technique ?

​Nous nous affalons sur le canapé et je l'écoute d'une oreille distraite me raconter le nouvel épisode des "Feux de l'Amour version start-up".

De son côté, Ben nous observe avec un sourire amusé, accoudé au bar de la cuisine américaine, les yeux rivés sur son téléphone. Je lui lance un regard de détresse pour qu'il vienne à mon secours, mais il se contente d'un haussement d'épaules complice. Astrid est peut-être mon amie d'enfance, mais c'est aussi son amie de lycée. Il pourrait m'aider à la temporiser, mais il préfère visiblement profiter du spectacle.

Quant à Léo, notre troisième colocataire, il a eu le réflexe de survie de s'isoler directement dans sa chambre.

​Une heure de potins sur de parfaits inconnus et un repas englouti tous les quatre plus tard, je décide de battre en retraite. Astrid m'interpelle juste au moment où je saisis la poignée de ma porte :

​- Kalie ? C'est toujours bon pour demain ? On essaie d'aller faire les courses ensemble ?

​Je me fige. L'angoisse me noue instantanément l'estomac, un poids dont je me serais bien passée. Sur mon épaule, ma cicatrice se met à me démanger de façon irrationnelle, alors que la blessure est refermée depuis bientôt dix ans. Si mon instinct me hurle d'abandonner et de trouver une excuse, au fond de moi, je sais que je ne peux pas reculer. Pas encore une fois.

​- Je t'ai promis d'essayer, alors oui. En espérant que cette fois, je ne fuie pas du magasin en courant comme une voleuse.

​Je referme la porte de ma chambre, le cœur battant. L'idée de devoir affronter le monde extérieur demain m'a miné le moral. Pour décompresser, il n'y a qu'un seul remède : League of Legends.

​Je sais, il n'y a pas plus toxique que la communauté de ce jeu, mais c'est mon addiction. Mon échappatoire. Ici, quand quelqu'un me gêne, il suffit de cliquer sur un bouton pour ne plus l'entendre. Si seulement le bouton "Mute" existait dans la vraie vie...

​Après deux parties catastrophiques à me faire insulter en trois langues, j'hésite à tout couper. Pourtant, ma souris glisse toute seule sur "Rejouer".

Dans le nouveau lobby de sélection des champions, l'ambiance est différente. Le chat s'anime immédiatement. Je sens que les quatre autres membres de l'équipe se connaissent déjà. Génial. Je suis littéralement la cinquième roue du carrosse.

Soudain, un lien Discord apparaît dans le chat. ​J'hésite. Discuter avec des inconnus, c'est quitte ou double. Mais l'envie de gagner l'emporte. Je mets mon casque, ajuste mon micro et clique sur le lien.

​Dès mon arrivée, je n'ai même pas le temps de dire "Hello" qu'un flot de paroles en anglais m'agresse les tympans. Il me fait immédiatement penser à une version alternative d'Astrid, mais masculine et sous amphétamines. Heureusement, mes années enfermée entre quatre murs m'ont rendue bilingue.

​Je prends une grande inspiration et me lance :

- Salut... J'espère que vous n'êtes pas des rageux. Je ne suis pas une pro, mais je fais de mon mieux en Support. C'est qui mon ADC ?

- Moi. Damon, répond une voix grave, calme, presque autoritaire.

- Damon n'est pas le plus loquace mais c'est une machine ! C'est lui qui carry nos games ! l'interrompt le mec hyperactif. Moi c'est Jayson, le Top laner, mais tu peux m'appeler Jay, en fait tout le monde m'appelle Jay. Et...

- Calme-toi mec, c'est pas parce que c'est une fille qu'il faut t'exciter comme ça, le coupe une troisième voix, un peu plus rauque. Moi c'est le Jungler.

- Riven, je te rappelle que c'est toi qui sautes sur tout ce qui bouge ! contre-attaque Jay. Tu vas réussir à jouer correctement au moins ? Essaie d'impressionner la demoiselle pour une fois.

​Un rire général éclate dans mon casque. Je souris derrière mon écran. Une véritable alchimie lie ce groupe d'amis. L'accueil est chaotique mais chaleureux. Je décide de leur laisser une chance.

Soudain, une quatrième voix s'immisce dans la cacophonie. Suave, posée, teintée d'un accent british à tomber par terre.

​- Pour info, je suis Seth, le Mid. Bon courage pour ne pas rage-quit avec ces abrutis. Une chose est sûre : on n'est pas des pros. Au fait, c'est quoi ton nom ?

​Son intonation est différente. Plus calme. Plus... envoûtante. J'en oublie presque mon nom, mettant deux secondes de trop avant de me présenter.

- Kalie. Enchantée.

​La partie ne se déroule absolument pas comme prévu. C'est une boucherie. Et pourtant, je donne tout ce que je peux pour sauver leurs personnages d'une mort certaine. Damon est un très bon équipier, le duo que nous formons est bien organisé même si nos échanges sont limités.

Soudain, je vois la barre de vie de Jay fondre. Il a encore foncé tête baissée dans le tas. Mes doigts volent sur le clavier. Flash. Soin. Juste à temps. Une bulle verte l'enveloppe, le sauvant in extremis.

​- Waouh. Bien joué Kal ! J'ai bien cru y rester ! hurle-t-il.

- Concentre-toi ! La prochaine fois, je ne viens pas sauver ton cul si c'est encore à cause d'une de tes idées foireuses ! le menacé-je, d'une voix pourtant peu sûre de moi.

- N'hésite pas à le remettre à sa place, tu as raison. Ne te laisse pas marcher sur les pieds, m'encourage la voix de Seth. Et bien joué ! Même s'il va repartir dans une attaque suicide dans moins de deux minutes.

​Le compliment me fait étonnamment très plaisir. Ce n'est qu'un jeu, ce sont des inconnus, mais l'entendre me valoriser ainsi me donne un petit boost de confiance en moi bien mérité.

​Mais cette action héroïque n'a clairement pas suffi à empêcher l'équipe adverse de nous rouler dessus. Le verdict est sans appel : défaite écrasante ! Et pourtant... je n'ai jamais eu autant le sourire en perdant de façon aussi lamentable.

Les vannes fusent, les rires s'enchaînent. Ils m'intègrent totalement, même quand je bafouille ou réponds à côté parce que Jay parle trop vite.

​- Merci pour la partie, les gars, c'était vraiment cool. J'y vais, bonne soirée.

- Quoi ? Tu pars déjà ?! s'écrie Jay, manquant de me perforer le tympan.

- Tu lui as fait peur, bravo Jay, le tance doucement Seth.

- Non, riposté-je en riant. C'est juste que c'est comme ça d'habitude : je joue et je pars avant qu'on me demande de le faire, pour éviter le malaise. Je croyais juste que vous ne vouliez plus de moi après ce massacre.

- Reste, tu es plutôt bonne en support, ça pourrait presque compenser les deux suicidaires de l'équipe, nargue Seth.

​Face à la fausse indignation de Jay et Riven, je capitule sans grande résistance. Une partie en entraîne une autre, le temps se dissolvant dans les clics de souris et les éclats de rire.

Très vite, le jeu devient secondaire, prétexte à des discussions qui s'étirent bien plus longtemps que les matchs.

​À plus de deux heures du matin, il est temps que je décroche. Non sans une crise de Jayson qui me fait promettre de rejouer avec eux dans les jours à venir. Je finis par couper la communication alors que Jay continue de pleurnicher pour la forme.

​Je retire mon casque, le silence de ma chambre me paraissant soudain bien vide. J'ai passé une excellente soirée. Je suis épuisée, mais légère.
Surtout, je repense à la voix de Seth. Cette chaleur étrange, cette sonorité si agréable.

​Je me glisse sous ma couette, un sourire idiot collé au visage. Pour la première fois depuis longtemps, je suis sereine au moment d'aller dormir.

Une vibration résonne sur ma table de nuit. Intriguée, je rouvre les yeux et lis la notification :

​S7th_ : A demain ! Bonne nuit.

​En lisant son message, j'imagine sa voix douce caresser mes oreilles. Un léger murmure qui me donne des frissons. Je regrette presque qu'il ne me l'ait pas dit en vocal, car je sais que la réalité est encore mieux que ce que je viens d'imaginer.

~~~~~~

Et voilà c'est fini pour ce premier chapitre d'intro, n'hésitez pas a me donner votre avis pour que je m'améliore ! (Pour ceux qui n'aiment pas ou ne connaissent pas LOL, promis les autres chapitres ne seront pas focalisé dessus).

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