Chapitre 8 - Gauthier

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Décembre 2008

« C’est moi ! Devinez qui je ramène ? » cria Nicolas en ouvrant la porte.

« Salut Gauthier, entre ! » salua Virgile, content de voir l’ami de son frère, qui était rapidement devenu le sien aussi. Louise était en train de faire ses devoirs dans sa chambre, elle venait de rentrer de sa balade du soir avec Attila. Il toqua à sa porte :

« Lou, tu viens ?

_ Je bosse, Virgile.

_ Je sais, mais tu veux pas qu’on te présente Gauthier ?

_ Je bosse, Virgile. » répéta-t-elle à travers la porte fermée, sans bouger de son bureau.

Il capitula en levant les yeux au ciel : c’était bien la peine de lui faire un sketch parce qu’ils n’invitaient personne… Gauthier et Nicolas s’étaient installés sur le canapé, il se laissa tomber dans un fauteuil : « Alors, quoi de neuf ? »

Gauthier était un peu curieux, il devait bien se l’avouer : la mystérieuse petite sœur qui venait de faire son grand retour dans la vie de ses amis, celle dont il avait quasiment fini par douter de l’existence, depuis le temps, ne daignait pas sortir de son antre. Intrigué, aussi, par les recommandations dont l’avait abreuvé Nico : ne pas la toucher, attention au chien, ne pas se formaliser de son côté un peu sauvage… Cela ne cadrait pas bien avec la mignonne petite gamine qu’il se souvenait avoir vue en photo.

Elle fit son apparition en même temps que les pizzas qu’ils se firent livrer, arrachée à ses devoirs par Nicolas qui ne lui laissa pas le choix : « Tu viens maintenant, s’il te plait ? On t’attend pour manger. Et tu aurais quand même pu venir dire bonjour à Gauthier quand on est arrivés.

_ Quoi, c’est le roi d’Angleterre ? Faut que je fasse une révérence, aussi ? » rétorqua-t-elle.

« Lou, je ne te comprends pas… l’autre jour, tu as reproché à Virgile de ne jamais inviter personne…

_ Mais je m’en fous de qui vous invitez, moi ! Faut pas vous priver pour moi, mais vous faites ce que vous voulez, hein ! »

Gauthier se leva du canapé en la voyant entrer, et se pencha vers elle pour lui faire la bise en se présentant : « Salut Louise, moi c’est Gauthier. »

Elle fit un bond en arrière pour éviter le contact, se contentant de marmonner un « Salut » entre ses dents, évitant aussi son regard. Attila, contre sa jambe, gratifia le nouveau venu d’un bref grognement d’avertissement, que Louise fit taire d’une pression sur la nuque. Puis elle s’assit sans un mot dans le dernier fauteuil libre, le chien à ses pieds dans une posture d’alerte qu’il avait pourtant perdue depuis quelques semaines.

Gauthier discutait avec Virgile et Nicolas entre deux bouchées de pizza, et ne pouvait s’empêcher de regarder Louise, discrètement. Elle était juste en face de lui, alors l’éviter complètement aurait été difficile, mais il s’efforçait de ne pas la dévisager. Elle boudait, clairement. Répondant par monosyllabes lorsqu’on lui parlait, soupirant bruyamment quand Virgile lui fit gentiment remarquer qu’elle ne participait pas beaucoup à la conversation… Une petite peste en pleine crise d’adolescence, jugea Gauthier. Mais une petite peste très mignonne, s’il fallait être tout à fait honnête.

Elle n’était pas grande, il la dépassait de plus d’une tête et avait dû se baisser franchement, lorsqu’il avait voulu lui faire une bise. Elle était métisse, avec une jolie peau caramel qu’elle ne tenait certainement pas de son père, et des cheveux frisés très serrés, très noirs, qui s’échappaient d’un élastique attaché à la va-vite. Dommage pour le survêtement moche qui ne la mettait pas du tout en valeur… Mais elle était encore jeune, et sans doute pas tout à fait à l’aise avec son corps, comme on peut l’être encore à seize ans.

Une petite peste très mignonne, mais une petite peste tout de même, découvrit-il au cours de la soirée, et à chacune de leurs rencontres suivantes. Nicolas et Virgile allaient se faire des cheveux blancs avant l’âge, avec elle ! Elle était clairement insupportable, en rébellion constante. Si les garçons proposaient blanc, elle répondait noir. Ou ne répondait pas, ce qui les faisait bouillir. Gauthier sentait bien qu’ils se retenaient, souvent, de lui dire le fond de leurs pensées. Pourtant, il y avait un petit quelque chose, dans l’attitude de Louise, qui ne collait pas avec une simple crise d’adolescence. Gauthier sentait bien qu’il y avait autre chose. Quelque chose de plus profond, de plus sérieux.

Il s’agaçait de penser à elle, souvent. Elle était mineure, bon sang ! Ils avaient six ans d’écart, elle était mineure, la jeune sœur de ses amis un peu trop protecteurs avec elle, autant de bonnes raisons de ne pas laisser ses pensées s’aventurer dans une certaine direction… Et surtout, elle fuyait tout contact physique. Avec lui comme avec tout le monde, d’accord, mais tout de même.

« Hé mec, t’es avec nous, là ? A quoi tu penses ? » Virgile le sortit de ses pensées d’un coup de coude moqueur dans les côtes. Gauthier réalisa qu’il avait totalement oublié où ils étaient : sur un télésiège, pour une journée de ski qui s’annonçait sympathique. La météo était bonne, la neige était impeccable, les pistes ouvertes mais pas prises d’assaut dans cette petite station familiale et abordable où ils avaient leurs habitudes.

« Oh, à rien, un truc pour mes exams… » répondit-il de façon évasive. Comme ils étaient dans deux filières totalement différentes, aucun risque que Virgile lui demande des précisions.

« Louise n’est pas là, au fait ? Elle n’aime pas le ski ?

_ Pas voulu venir… pour pas laisser le chien tout seul. » grogna son ami, visiblement agacé. « Au moins, vous vous chicanerez pas toute la journée… »

Gauthier devait s’avouer – mais il ne l’aurait pas admis à voix haute, même sous la torture - qu’il était déçu de l’absence de Louise. Il aimait bien se chicaner avec elle. Et elle… aussi, semblait-il. C’était un peu leur mode de communication, en fait. Il aimait sa répartie mordante, ses saillies pleines d’humour qui tapaient là où ça faisait mal. Mais Virgile et Nicolas avaient horreur de les écouter s’envoyer des gentillesses dans les dents.

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