Chapitre 33 - Nicolas

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Si Louise avait paru troublée au réveil, fatiguée, elle se montra pourtant souriante et causante dans la journée. Nicolas la surveillait du coin de l’œil, attentif à son état d’esprit. Elle cheminait non loin de Gauthier, et on ne savait jamais comment ça allait tourner, avec ces deux-là : c’était parfois explosif, Gauthier et ses taquineries pouvaient très vite arriver à bout de la patience de Louise, qui répondait alors d’un regard tueur ou d’une réplique bien sentie. C’était un peu fatigant, mais Nicolas préférait ces joutes verbales au silence lourd dont Louise avait eu le secret au début…

Etonnamment, ce jour-là, pas d’étincelles entre Louise et Gauthier, juste une conversation légère, lorsque la randonnée leur permettait de discuter : souvent le sentier était trop étroit pour marcher de front, quand le dénivelé n’obligeait pas à garder son souffle plutôt que de parler.

A l’arrêt de midi, Louise s’assit près de Gauthier. Rien d’étonnant, ce n’était pas la première fois que ça arrivait. En revanche, qu’elle n’ait pas pris soin de se placer, de l’autre côté, près de l’un de ses frères, était inhabituel. En général, elle s’arrangeait pour être toujours proche de Nicolas, ou de Virgile, quand ce n’était pas entre eux carrément. Là, elle ne regarda même pas la place que son frère aîné avait gardée pour elle. Nicolas vit Virgile froncer les sourcils. Mais Louise allait bien, elle prenait son envol, il était temps !

Au bivouac du soir, à nouveau, elle s’assit près de Gauthier. Et si elle fut beaucoup moins bavarde que le midi, à cause de la fatigue de la journée sans doute, elle semblait plutôt à son aise. Elle n’avait pas l’air de chercher une porte de sortie, comme cela avait pu arriver par le passé – Nicolas se souvenait encore du premier réveillon de Nouvel An, Louise rencognée dans un fauteuil, surveillant la porte, comme si elle voulait s’assurer qu’on ne l’empêcherait pas de sortir… Ce soir-là, dans la montagne, elle mangeait paisiblement, prenant le temps d’admirer la vue entre deux bouchées, écoutant les conversations autour d’elle. Attila couché à ses pieds somnolait, et la fraicheur du soir tombait seulement, les rafraichissant après les heures chaudes de la journée.

Le lundi se passa comme les deux premiers jours : bien. Une bonne randonnée, les nuits un peu fraiches mais les journées ensoleillées. Ces trois jours dans la montagne avaient fait le plus grand bien à Louise, qui se remit à ses révisions plus sereine. Ensuite les semaines défilèrent à grande vitesse, elle passa son épreuve écrite, puis l’épreuve orale, et se trouva enfin en vacances. Ses frères l’envoyèrent chez Mathie, pour se reposer au calme et au grand air. Eux, comme chaque été, travaillaient. Ils remontaient chaque fois qu’ils en avaient le temps, passer quelques heures, une soirée, un dimanche en famille.

Eté 2010

Ils firent plusieurs petites randonnées à la journée, parfois avec Gauthier, Clément ou Alex, en fonction des disponibilités de chacun. Le reste du temps, Louise dessinait, sortait avec Attila, cuisinait avec sa grand-mère. Des vacances bien remplies, en somme. A la mi-août, cependant, un soir que Nicolas et Virgile s’apprêtaient à quitter la maison, ils virent Louise les rejoindre à la voiture avec son sac et les affaires d’Attila : couverture, gamelles, croquettes.

« Je rentre avec vous ! » déclara-t-elle.

« T’es sure, Lou ? » demanda Nico « On bosse encore, tu sais. Tu ne vas pas t’ennuyer, toute seule toute la journée à l’appartement ?

_ Je serai pas toute seule : j’aurai Attila.

_ OK… » Il n’allait pas chercher à la contredire sur ce point. « T’en as parlé à Papa ?

_ Il sort jamais de son bureau, de toute façon… que je sois là ou pas, ça lui changera pas la vie…

_ Et Mathie ?

_ Mathie est d’accord, figure-toi. Je lui en ai parlé, et c’est même elle qui m’a dit de rentrer. On dirait que t’as pas envie que je reparte avec vous ? » reprocha-t-elle, le regard noir et les lèvres pincées.

« Mais si, Lou, bien sûr que si ! C’est juste… tu avais l’air tellement bien ici, que ça m’étonne que tu veuilles revenir en ville alors qu’il te reste deux semaines de vacances, c’est tout. Mais ça me fait plaisir, promis. »

La rapidité à laquelle l’humeur de Louise avait tourné, lorsqu’elle l’avait accusé de ne pas vouloir la ramener à Clermont, laissa Nicolas un peu songeur. On aurait dit un orage, soudain et violent après une belle journée d’été qui ne laisserait rien présager de tel. D’un coup, les nuages noirs et le tonnerre, la pluie, la grêle… Il avait désamorcé la tempête pour cette fois, mais combien d’autres disputes et malentendus étaient nés de la même façon ? Il lui semblait pourtant que sa sœur ne craignait plus qu’ils la renvoient chez sa mère, ou chez leur père, comme c’était le cas au début. Bientôt deux ans qu’elle était de retour… Elle avait tellement changé, grandi, évolué ! Mais parfois il semblait à Nicolas que rien n’avait bougé, que Louise était toujours en train de tester les limites, de les pousser à bout pour s’assurer qu’ils l’aimaient inconditionnellement. Comme cette remarque, à l’instant… Ils avaient passé la journée ensemble, à aucun moment elle n’avait parlé de son envie de rentrer avec eux. Et elle s’indignait qu’il s’étonne de la voir arriver avec ses affaires ? Elle avait encore des progrès à faire sur la communication…

De retour à l’appartement, Louise reprit possession de sa chambre, et les garçons apprécièrent de la savoir de retour. Mine de rien, eux aussi avaient trouvé le temps long sans elle. En son absence, Nicolas avait surpris plusieurs fois son frère, debout devant la porte de la chambre de leur sœur. La première fois il s’était inquiété, et l’aîné lui avait demandé : « Ça ne te fait jamais ça, à toi ? Cette impression que c’était juste un rêve et qu’elle n'est pas vraiment revenue…

_ Euh…

_ Elle me manque. J’ai besoin de m’assurer qu’elle a sa chambre ici et qu’on va la revoir bientôt, tu comprends ? »

Nicolas comprenait, vraiment. Même s’il ne le ressentait pas de la même manière que Virgile, pas de cette façon inquiète, sa sœur lui avait manqué aussi. Les fois suivantes, en voyant Virgile devant la porte de Louise, il ne s’était plus étonné.

Et ce soir-là, la porte était ouverte, Louise vidait son sac en parlant à son chien qui la regardait faire. Il y avait de la vie dans cette pièce, leur sœur était là. Ils se sentaient enfin au complet. Ce n’était pas la même chose lorsqu’ils étaient chez Mathie, avec elle et leur père. Là, c’était chez eux, leur appartement, leur vie à tous les trois.

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