Chapitre 34 - Gauthier

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Fin août 2010

Gauthier avait pas mal de temps libre en cette fin août : ayant décroché en juin son diplôme de masseur-kinésithérapeute, il avait fait pendant l’été quelques remplacements ponctuels dans le cabinet où il avait fait ses derniers stages. Mais il avait aussi voulu se préserver quelques semaines de vacances, des vraies, avant de chercher un emploi. Il avait espéré passer du temps avec Louise, qui perdait petit à petit sa réserve, mais elle avait passé pratiquement tout l’été chez son père et sa grand-mère. Ils s’étaient vus, bien sûr, à chaque fois que Virgile et Nico avaient organisé une rando, mais il n’y avait pas eu de soirées à l’appartement, de moments passés à parler calmement ou à écouter de la musique. Et ça lui avait manqué.

Puis un soir, en passant voir les deux frères – leur appartement était le point de rencontre, le point de chute, lui vivait toujours chez ses parents et n’avait pas forcément envie d’y ramener des amis – il trouva Louise dans le salon.

« Hé, Louloute ! Je savais pas que t’étais rentrée ! »

Nicolas le bouscula un peu pour le faire avancer : « Va t’asseoir, Gauthier. Tu veux boire quelque chose ? Lou, t’as soif ? »

Virgile passa devant la porte : « Salut mec ! Moi je vous abandonne, je sors avec Julia ce soir ! »

Après son départ, Gauthier proposa : « Il fait encore bon dehors, vous ne voulez pas qu’on sorte, nous aussi ? On pourrait aller jusqu’à Montjuzet, manger un truc là-bas…

_ Oh oui ! » Louise sautait déjà du canapé pour aller enfiler ses baskets, Attila sur les talons. Le chien avait entendu le nom du parc, et ne tenait plus en place. Nicolas se laissa tomber dans un fauteuil en soupirant : « Euh… ouais, si vous voulez… mais je suis naze, moi. J’ai pas envie de me coucher tard, je vous préviens.

_ Le parc ferme à 21 heures, Nico ! » l’informa Louise. « Tu ne vas pas te coucher à 9 heures, quand même ?

_ Non. » sourit-il. Son enthousiasme était communicatif, et il se releva pour aller enfiler des chaussures lui aussi.

Ils traversèrent la ville, achetèrent des sandwiches dans une boulangerie sur leur chemin, et marchèrent jusqu’au parc Montjuzet. Là, les deux garçons suivirent Louise qui y avait ses habitudes avec Attila, et ils trouvèrent un coin tranquille sur les hauteurs, pour s’installer dans l’herbe tandis que le chien furetait aux alentours. Louise tendait son visage au soleil couchant, fermant les yeux sous la caresse chaude qui lui faisait oublier son sandwich. Gauthier la regardait, incapable de détourner les yeux de ce joli spectacle, et se fit griller par Nico. Il ramena vite son attention sur son propre repas, mais il était trop tard. Il savait que son ami avait compris. Et il s’attendait à une réflexion, une mise en garde. Elle arriverait tôt ou tard, il en était persuadé. Mais c’était Nico, et pas Virgile : le cadet était plus subtil que l’aîné, moins cash. Il attendrait sans doute qu’ils soient seuls, pour aborder le sujet. Le sandwich avait moins de goût, après ça. Et il n’osait plus regarder Louise.

« Ce qu’on est bien… » soupirait-elle justement, inconsciente de ce qui se passait autour d’elle.

« Ouais, c’était une bonne idée. » acquiesça Nicolas. « J’en peux plus, de passer mes journées au magasin, sans voir la lumière du soleil ! » Puis il regarda sa sœur : « Tu fais quoi demain, Lou ?

_ Je sais pas encore.

_ Tu ne voulais pas aller au musée ?

_ Mmmmmm… » Gauthier dut tendre l’oreille pour comprendre ce qu’elle marmonnait : elle n’avait pas envie d’y aller seule.

« Tu ne veux pas l’accompagner, Gauthier ? » suggéra alors Nicolas, à sa grande surprise. Il s’attendait à tout, sauf à ça !

« Euh… je sais pas… c’est quel musée ?

_ Roger Quilliot.

_ Le musée d’art ? Je crois que j’y suis jamais allé… Pourquoi pas, oui. »

Dans quoi s’était-il engagé ? se demandait-il alors qu’ils rentraient tranquillement, après la fermeture du parc. Nicolas agissait comme si tout était normal, qu’il ne venait pas de surprendre son meilleur ami à mater sa petite sœur. Et Louise n’avait rien remarqué. En arrivant à l’appartement, alors qu’il allait continuer sa route, Nico le retint : « Tu montes un moment ? »

Ce n’était pas vraiment une question, Gauthier le sentait bien, et il suivit son ami. Louise fila dans le salon avec Attila, mais Nicolas continua jusqu’à sa chambre et ferma la porte derrière eux :

« Je t’ai vu regarder Louise, tout à l’heure. » Le ton était calme et amical, pas le moins du monde en colère ou accusateur. « Ça fait longtemps ?

_ Euh…

_ Que t’es amoureux d’elle ?

_ Je…

_ Détends-toi, mec, je vais pas te casser la gueule ! » sourit Nicolas. « Virgile, par contre, je te promets rien… » C’était censé être rassurant ? « Ecoute, Louise est une grande fille, et si elle a envie de passer du temps avec toi, je ne vais pas l’en empêcher. En revanche… » Il semblait chercher ses mots. « Bon elle fait du judo, tu te souviens ? Alors fait gaffe à toi, mon pote ! »

Gauthier hocha la tête, sérieux : « Je sais bien, Nico. J’ai pas l’intention de lui faire du mal, tu sais ? Je ne sais même pas si… si elle… envisage… » Il ne parvenait pas à expliquer clairement sa pensée. « Pfff… je sais pas, j’ai l’impression qu’elle me calcule même pas.

_ Ouais, t’as pas l’habitude d’être transparent pour les filles, hein ? » se moqua son ami.

« Vas-y, fous-toi de moi ! C’est pas ça, Nico… je ne sais pas si elle est prête, dans sa tête, à… » Sa phrase mourut sur ses lèvres, et Nicolas lui tapota l’épaule : « Je ne sais pas non plus, Gauthier. Ce sera à toi de le découvrir.

_ Et tu me donnes ta bénédiction, c’est ça ? »

Gauthier n’en revenait pas : il sentait que Louise avait vécu quelque chose de traumatisant. Une agression, peut-être ? Un viol ? Depuis qu’il avait rencontré Louise pour la première fois, il sentait que quelque chose n’allait pas. Sa façon de fuir les contacts, de se cacher derrière son chien, ses frères, et ces deux-là - trois avec Attila ! - qui la protégeaient à outrance… Gauthier se décida à poser la question franchement :

« Qu’est-ce qui lui est arrivé, Nico ? Pourquoi elle est aussi sauvage ?

_ … Ce sera à elle de t’en parler. Quand elle sera prête à le faire.

_ Ouais… t’as raison. Mais… il s’est bien passé quelque chose ?

_ Oui… » souffla Nicolas.

« Quelqu’un lui a fait du mal ? »

Son ami hocha la tête en silence, et Gauthier serra les poings : « Dis-moi juste que ce mec a eu son compte. »

Nicolas hocha la tête à nouveau, et Gauthier se força à expirer lentement, pour évacuer la tension qui l’habitait tout à coup.

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