Chapitre 35 - Gauthier

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Louise était arrêtée devant un tableau et dessinait dans son carnet, debout. Gauthier la regardait se concentrer, les sourcils un peu froncés, les lèvres pincées. La position ne devait pas être confortable. Mais lui ne se lassait pas de l’admirer. Il avait mal et peu dormi, sa conversation avec Nicolas tournant en boucle dans sa tête. Le passé de Louise, l’appui de Nicolas, Virgile qui ne verrait sans doute pas les choses de la même façon… Cette sortie au musée qui en appellerait peut-être d’autres – il ne tenait qu’à lui de proposer autre chose, après tout. Il devait trouver le moyen de percer les barrières dont Louise s’était entourée pour se protéger.

Ils passèrent tout l’après-midi au musée, allant de salle en salle, d’œuvre en œuvre. Louise était particulièrement attentive aux peintures, notant le titre et le nom de l’artiste de celles qui lui plaisaient le plus, esquissant un croquis de certaines pour se souvenir des mouvements.

Soudain elle releva les yeux, et le prit sur le fait. Elle fronça les sourcils : « Pourquoi tu me regardes comme ça ? »

Il s’interdit de détourner le regard. L’occasion était trop belle : « T’es jolie, quand tu dessines… »

Louise piqua un fard, et se mordilla les lèvres avant de rouvrir son carnet pour ajouter deux ou trois traits de crayon à un croquis qui semblait pourtant terminé une seconde avant.

« On continue ? » proposa Gauthier en désignant la porte qui menait à la salle suivante. Il avait l’impression d’avoir merdé. Elle fut encore plus silencieuse que d’habitude, tout le restant de la visite. Il la raccompagna ensuite, et s’il s’attendait qu’elle le congédie poliment, elle lui proposa de rester, d’aller promener Attila avec elle. Il sauta sur l’occasion, bien sûr, il n’allait pas refuser de passer du temps ensemble.

Louise parut se détendre un peu, à courir avec son chien, et s’amuser beaucoup que Gauthier ait du mal à la suivre : il avait moins d’entrainement qu’elle.

Dans les jours qui suivirent, ils refirent des sorties, des balades avec Attila. Louise était bien plus à son aise à l’extérieur, en mouvement, quand elle marchait. Elle parlait davantage. Ils profitaient des derniers jours d’août, encore beaux et chauds. Ce jour-là, ils avaient pris la voiture de Gauthier pour aller jusqu’au Puy de Dôme, dont ils firent l’ascension par le chemin des Muletiers. Au sommet, ils firent le tour des sentiers aménagés, pour profiter du panorama. Plusieurs fois, Louise sortit carnet et crayon, pour croquer le paysage. Plusieurs fois, elle répéta que c’était beau.

« Tu n’étais jamais venue ? » s’étonna Gauthier.

« Si, quand j’étais petite, je crois. Mais pas depuis mon retour. C’est tellement beau, vu d’ici…

_ Et le puy de Sancy, le lac de Guéry, tu connais ?

_ Sancy, oui. Le lac, je l’ai juste vu de loin.

_ On pourrait y aller un de ces jours, si tu veux. » proposa-t-il. C’était plus loin, il y avait une heure de voiture depuis Clermont-Ferrand, il faudrait partir la journée pour que ça vaille le déplacement, pour en profiter. Mais tant qu’elle était en vacances, c’était facile. Louise accepta avec enthousiasme, et son sourire donna à Gauthier l’envie de sourire aussi.

« Pourquoi tu rigoles ? » demanda-t-elle.

« Je suis heureux, c’est tout.

_ Que j’aie dit oui ? »

Sa question, un peu naïve, amusa Gauthier. « Oui, ça me plait qu’on passe du temps ensemble. Tu me plais, Louloute… » ajouta-t-il pour clarifier les choses. Une fois de plus – ce n’était pas la première fois qu’il glissait dans la conversation ce genre de petites réflexions – Louise esquiva son regard. Elle fixait l’horizon, et sa respiration semblait un peu plus courte qu’un instant avant.

« Loulou ? » demanda doucement Gauthier. Il rêvait de lui caresser la joue, de passer un bras autour de ses épaules, mais se doutait qu’il ne serait pas bien accueilli. Il resta à deux pas d’elle, sans bouger, mais sans la quitter des yeux. Il la dévorait du regard, en fait, guettant un signe – positif ou négatif – qui lui dirait ce que pensait Louise. Elle lui jeta un petit coup d’œil rapide, avant de se pencher pour caresser le chien assis à ses pieds. Gauthier avait l’impression de ramer. Et ce n’était pas seulement une impression, il fallait voir les choses en face : il ramait. Il avait l’impression de nager à contre-courant, sans savoir où il allait. C’était fatigant, et aussi un peu décourageant. Louise soufflait le chaud et le froid, sans même s’en rendre compte. Un instant elle riait, complice et détendue, et une seconde après elle paraissait se retrancher derrière un mur invisible, distante et stressée. Gauthier ne savait pas sur quel pied danser.

« On continue ? » proposa-t-il en montrant le chemin d’un geste un peu vague. Louise acquiesça en silence, et Attila la précéda sur le sentier, sage au bout de sa laisse. De retour au temple de Mercure qu’ils avaient à peine regardé en arrivant au sommet du puy, ils passèrent un moment à examiner les ruines, Louise lisant avec attention le panneau explicatif.

« Si le sujet t’intéresse, il y a le musée Bargoin, avec les résultats des fouilles dans la région.

_ On pourrait y aller ? » suggéra Louise.

« Bien sûr. » Les vieilleries sorties de terre, ce n’était pas trop son truc à Gauthier, mais pour passer deux heures avec elle, il était prêt à tout ! En attendant, elle allait le rendre dingue : elle était toute fermée, comme retranchée dans sa coquille, et d’un coup elle proposait d’aller au musée ensemble. C’était à n’y rien comprendre…

Dans la voiture, Louise resta plutôt silencieuse, un peu songeuse, et il se dit qu’elle avait sans doute envie d’être seule. Mais lorsqu’il s’arrêta devant l’immeuble sans couper le moteur pour la déposer, elle parut déçue qu’il ne monte pas avec elle.

« Tu voudrais que je reste ? » demanda Gauthier qui cherchait à décrypter son comportement, ses réactions.

« Tu as peut-être autre chose de prévu…

_ Loulou, réponds juste : tu as envie que je reste ? »

Elle répondit d’un petit hochement de tête timide, et il descendit du trottoir où il était monté n’importe comment, pour aller chercher une vraie place de stationnement un peu plus loin. Lorsqu’il coupa le contact après avoir manœuvré pour se garer, Louise détacha sa ceinture et il la retint alors qu’elle allait ouvrir sa portière. Elle esquissa un mouvement de recul en sentant la main de Gauthier sur son avant-bras.

« Désolé, Loulou, je ne voulais pas te surprendre. » s’excusa-t-il.

« C’est bon, ça va… » éluda-t-elle sans oser le regarder.

« Louise ? » Il ne l’appelait jamais par son prénom entier, il avait toujours utilisé ces diminutifs qu’elle affectionnait moyennement, pour la faire réagir. Mais s’il voulait attirer son attention, il devait employer les grands moyens. Elle releva effectivement les yeux vers lui, étonnée. « Tu sais, parfois j’ai l’impression de te torturer, je n’arrive pas à savoir si ça te plait qu’on passe du temps ensemble, ou si tu te forces…

_ Je… Non !

_ Non quoi, Loulou ? » demanda-t-il doucement en se tournant vers elle. La douleur dans ses yeux, sur son visage, lui serra le cœur : Louise semblait se débattre contre quelque chose, à l’intérieur d’elle.

« Je… je me force pas. C’est… » Elle soupira en appuyant sa tête en arrière contre le siège de la voiture. Derrière elle, sur la banquette, Attila poussa un petit gémissement plaintif, tout bas. « J’ai besoin de temps, Gauthier. » chuchota l’adolescente.

« OK. Je comprends. Je peux te laisser du temps, Loulou, pas de problème. » assura-t-il. Elle le remercia d’un sourire un peu crispé, et sortit de l’habitacle pour ouvrir la portière arrière et libérer le chien. Le temps que Gauthier fasse le tour de la voiture, Louise avait enlacé Attila. Le visage et les doigts enfouis dans la fourrure du chien, elle ne bougeait plus. Gauthier leur laissa de l’espace, et attendit en silence qu’elle s’écarte d’Attila et se relève.

« Louloute, t’es sure que tu veux que je monte avec toi ? » s’assura-t-il alors qu’elle sortait ses clés de son sac à dos pour ouvrir la porte de l’immeuble. Elle le regarda, le visage grave et sérieux, avant de hocher la tête de haut en bas, sans un mot. Il la suivit dans les escaliers, comme cette fois où elle était malade, où il l’avait raccompagnée. Mais l’appartement n’était pas vide et obscur ce soir-là : le soleil entrait par les fenêtres du séjour orienté plein sud, et il y avait de la musique à plein volume dans la salle de bain, où Nicolas prenait une douche après sa journée de travail.

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