Chapitre 2

7 minutes de lecture

Juillet 2015

Le lendemain il faisait un temps magnifique, et je décidai d’aller faire un tour loin de la ville. Je me préparai un repas froid à emmener dans mon sac à dos, deux bouteilles d’eau, mon carnet et mes crayons, mon appareil photo, un pull au cas où, et je pris mes clés de voiture. Attila, qui avait repéré mes préparatifs, m’attendait devant la porte. Il ne se fit pas prier pour me suivre dans les escaliers, et monta dans la voiture dès que je lui ouvris la portière. Il se coucha sur la banquette arrière de la 205 qui avait appartenu à ma grand-mère, puis à mes frères, et dont j’avais hérité lorsque j’avais obtenu le permis de conduire.

J’emmenai Attila à la campagne, pour une longue balade. Le parc Montjuzet, pour grand et agréable qu’il soit, restait un parc municipal. Ici, dans les champs et les bois, nous étions seuls ou presque – on croisait parfois des marcheurs ou un tracteur, des cyclistes – et personne ne me reprocherait de détacher mon chien pour le laisser courir à sa guise. Il restait sur le chemin, ceci dit, toujours à portée de voix et de regard.

Lorsque la faim commença à me tirailler l’estomac, je trouvai un arbre sous lequel m’arrêter pour manger ma salade de quinoa au concombre. Attila, couché à mes côtés, fit une petite sieste pendant ce temps. Il aurait sa ration de croquettes le soir, en rentrant. Après avoir mangé, je ne repartis pas tout de suite, mais restai un peu là, à profiter de la vue. Je sortis mon carnet de croquis et mes crayons : j’aimais beaucoup dessiner les paysages, les silhouettes de montagnes à l’horizon, les champs aux couleurs et aux textures différentes selon les cultures…

L’été de mes dix-sept ans, après mon accident, j’avais commencé à dessiner pour passer le temps. Puis j’avais continué : cela me plaisait, et j’avais exploré pas mal de techniques différentes. Pour mon anniversaire à l’automne, et pour Noël, Virgile et Nicolas m’avaient offert des pastels, des fusains et des blocs de papier à dessin. Après le bac, obtenu sans gloire, j’avais fait une prépa arts plastiques puis intégré une école d’art à Lyon.

Faire accepter ça à mon père, mais surtout à mes frères, trois ans seulement après mon retour parmi eux, n’avait pas été simple. De plus, la recherche d’un logement s’était compliquée lorsqu’il avait fallu prendre en compte la présence de mon chien. Hors de question de nous séparer : ni lui ni moi ne l’aurions supporté, et surtout personne n’avait envie de s’occuper à ma place d’un chien-loup ressemblant bien plus au loup qu’au chien…

Bref, une fois tous ces problèmes résolus, j’avais hérité de la 205 et passé quatre ans à Lyon pour mes études. Bien sûr je rentrais chaque semaine, mais mes frères et moi nous étions un peu éloignés, d’autant plus que Nicolas avait trouvé du travail dans une boite qui l’envoyait en missions plus ou moins longues dans la France entière, et que Julia avait définitivement emménagé avec Virgile.

Fraichement diplômée, j’étais rentrée à Clermont-Ferrand où mon père venait de m’acheter un petit appartement, deux pièces dans un quartier calme. Il avait utilisé pour ça l’argent de la pension alimentaire que ma mère avait refusé de percevoir après leur divorce, et qu’il avait mis de côté chaque mois, faisant le virement sur un compte ouvert à mon nom. A ma majorité, lorsqu’il m’avait donné l’accès à cette épargne, je ne voyais pas quoi faire de tout cet argent et l’avais laissé là où il était.

Le soir, je sortais de la douche quand la lumière de la salle de bain s’éteignit d’un coup : panne de courant. Attila qui m’avait suivie dans la pièce comme souvent se mit à grogner dans la pénombre.

« Ça va, mon loup, c’est rien… » le rassurai-je en ouvrant la porte qui donnait sur la pièce de vie. La lumière qui venait de la baie vitrée suffirait pour voir où j’allais. Heureusement que je n’avais pas à me maquiller, j’aurais eu du mal. Mais pour terminer d’enfiler un pantacourt et un T-shirt, ça ferait l’affaire. J’entendis des portes s’ouvrir sur le palier, les voisins s’interpeler, et j’en déduisis que je n’étais pas la seule à souffrir de la panne. Je sortis à mon tour, et saluai tout le monde. On ne se connaissait pas vraiment, c’était finalement dans des occasions comme celle-ci qu’on se voyait le plus !

Dans l’armoire électrique au bout du couloir, on vérifia les compteurs, qui ne semblaient pas avoir de problème. Tout le monde rentrait chez soi, et j’allais en faire autant quand la porte d’à côté s’ouvrit.

« Oh, bonsoir Louise.

_ Salut, Paul. » Il avait les cheveux mouillés, la coupure l’avait sans doute surpris sous la douche lui aussi. Grand et mince, il devait frôler le mètre quatre-vingts à vue d’œil, Paul avait un joli visage, doux, et des yeux vairons. Le droit était d’un bleu profond, avec des traces dorées au centre, près de la pupille. Mais son œil gauche, lui, était moitié bleu, moitié noisette, une coupure presque nette, en diagonale. Etranges, mais beaux… Ses cheveux châtain étaient coupés courts, et il était toujours bien habillé : costume quand il partait travailler, pantalon de toile et polo repassés de frais le week-end ou le soir.

« Qu’est-ce qui se passe ?

_ Panne de secteur…

_ Oh… tu crois que ça va durer longtemps ? » Il m’amusait avec ses questions naïves… comme si j’en savais quelque chose !

Notre rencontre avait été étrange, elle aussi. Il avait emménagé quelques jours après moi, et ce soir-là son frère était venu frapper chez moi, en panique : Paul venait de prendre un meuble sur le coin de la figure, il saignait du nez, et leur trousse à pharmacie était introuvable au milieu des cartons pas encore déballés. Le temps qu’on arrive à endiguer le saignement, il avait refait la déco de ma cuisine…

Le lendemain, Paul avait sonné à ma porte avec un bouquet de fleurs et m’avait invitée au restaurant, pour s’excuser et me remercier. Nous avions passé une agréable soirée, et depuis il nous arrivait de discuter quelques minutes, lorsqu’on se croisait dans les escaliers ; je l’avais rencardé sur les commerces du quartier, sur les choses à voir dans la région…

Attila passa la tête par la porte restée entrouverte, et me regarda.

« Oui mon chien, j’arrive ! Il a faim, c’est l’heure. » expliquai-je à Paul.

« Mais comment on va faire pour manger si ça ne revient pas ? » s’inquiéta-t-il alors.

« Allez, viens, je t’invite ! » lui dis-je en riant.

Après avoir servi à Attila des croquettes et de la viande fraiche, je tendis ma lampe torche à Paul en lui demandant de m’éclairer tandis que je fouillais dans le grand placard de l’entrée. Il me regarda, interloqué, sortir mon matériel de randonnée, la lampe à gaz et le réchaud.

Je préparai du riz et un concassé de tomates aux herbes de Provence, dans ma petite casserole de rando, et servis deux belles assiettes que je posai sur la table.

« Il n’y a pas de viande ? » osa-t-il timidement.

Ah oui, c’est vrai, les gars ça mangeait de la viande à tous les repas… moi, une fois de temps en temps ça me suffisait.

« Tsss… je suis moins bien traité que le chien, j’y crois pas… » plaisanta-t-il.

Je lui proposai une omelette, qu’il accepta avec une pointe de soulagement dans la voix.

Après la vaisselle, on grignota des biscuits au chocolat tout en discutant, confortablement installés sur mon lit, qui servait de canapé la journée. Paul était intrigué par mon matériel de randonnée, et je lui expliquai donc que je partais souvent marcher dans la montagne avec mes frères, pour plusieurs jours parfois, et que j’avais donc tout le nécessaire pour manger et dormir au milieu de nulle part. L’électricité revint finalement, la lumière s’alluma dans la salle de bain et la radio se remit à jouer de la musique.

« Je vais y aller, il est tard et je dois avoir des choses allumées chez moi... Merci pour l’invitation. » me dit-il, l’air emprunté, en se levant. Je le suivis, et arrivés à la porte il sembla hésiter un peu, puis se pencha pour me faire la bise. Attila, dans mon dos, se mit à grogner et je me retournai d’un bloc : « Sage ! Couché ! » Puis je me retournai vers Paul en m’excusant : « Désolée. Il est un peu protecteur… » Je dus me hausser sur la pointe des pieds, il se pencha pour m’embrasser sur la joue, puis il disparut dans le couloir. Je refermai la porte dans un état second : ce mec sentait vraiment bon. Et sa timidité était attendrissante.

Je repensai à notre rencontre, à ses vêtements pleins de sang. Comme sa machine à laver n’était pas encore installée et qu’il semblait bien embêté, j’avais proposé de laver son T-shirt taché et celui de son frère. En me remerciant, ils les avaient ôtés, sans façon, et je m’étais retrouvée avec deux gars torse-nu dans mon appartement. Heureusement que leurs pantalons n’avaient pas souffert… Je riais encore en y repensant… Par contre, il n’avait pas l’air très à l’aise avec Attila, le beau gosse…

Annotations

Vous aimez lire Miss Marple ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0