Chapitre 3

6 minutes de lecture

Juillet 2015

Quelques jours plus tard, alors que je jouais avec Attila dans notre coin préféré du parc Montjuzet, lui lançant sa balle qu’il allait chercher pour me la rapporter inlassablement, j’entendis prononcer mon prénom. Me retournant, je reconnus un copain de mes frères que je n’avais pas vu depuis des années.

« Clément ! Comment tu vas ?

_ Bien, et toi depuis le temps ? Attila est toujours en forme, on dirait ! » remarqua-t-il en le voyant accourir dans notre direction. « Salut mon pote ! » Il se baissa pour le caresser, et mon chien se laissa faire : Clément connaissait ses points sensibles.

« Winnie n’est pas là ? »

Son sourire s’évanouit, et il gratta la gorge d’Attila avec plus d’application, pour me répondre sans me regarder : « Non… Elle n’est plus là depuis un an. »

Je m’agenouillai à mon tour devant Attila : « Oh… Je suis désolée… J’ai peur du jour où Til va…

_ Ne pense pas à ça ! » me dit-il en se levant. Ramassant la balle, il la lança et Attila courut la chercher. Nous avons joué tous les trois un moment, jusqu’à ce que mon chien se désintéresse du jeu. Alors, Clément me regarda et je vis dans ses yeux que l’émotion était passée. Plus détendu, il sourit : « Ça fait combien de temps qu’on ne s’est pas vus ? Trois ans ? Quatre ?

_ Quelque chose comme ça, oui…

_ Tu as changé. » Il reprit, après un moment de réflexion : « Tu es plus posée, moins écorchée vive. Tu as l’air épanouie. »

Je me contentai de sourire.

« Tu te souviens ? On ne pouvait rien te dire, tu partais en furie, tu fuyais. Ou tu montrais les dents… »

Cette fois, je ris franchement, tant la description était juste. Nous marchions tranquillement, côte à côte, tout en parlant.

« Et ce pauvre Attila qui te collait aux basques, on aurait dit des siamois, jamais l’un sans l’autre. Dire que tu le faisais dormir sous la tente avec toi ! »

Tandis qu’il me rappelait ces vieux souvenirs, je mesurais la portée du changement. Que de chemin parcouru, en effet, depuis que mon père et Nicolas étaient venus me chercher dans le foyer où j’avais atterri après l’arrestation de ma mère…

Clément me parla de son travail – prof de sport - qui l’avait tenu éloigné de la région ces dernières années, puis m’annonça : « Mais je suis de retour, j’ai enfin obtenu ma mutation !

_ Chouette ! Virgile et Nico savent que tu es là ? Tu fais la rando du week-end prochain avec nous ? Avec le 14 juillet, on se fait un truc sur trois jours, en partant dimanche. »

Nous nous séparâmes en fin d’après-midi et je rentrai au petit trot, Attila sur mes talons, tout en repensant à Clément. Physiquement, il n’avait pas changé : grand, carré, cheveux bruns ni courts ni longs qui poussaient n’importe comment, et des piercings un peu partout : arcade sourcilière, oreilles, nuque… Son caractère calme et tranquille, sa façon de prendre la vie comme elle vient sans se poser de questions inutilement, me l’avait rendu sympathique à l’époque où j’étais ‘écorchée vive’, comme il disait. Contrairement à certains autres, dont mes frères, il ne me taquinait pas, ne me poussait pas dans mes retranchements. Il n’avait jamais, non plus, essayé de me draguer. Et il avait souvent été de bon conseil au sujet d’Attila, m’incitant à lui laisser un peu plus d’autonomie par exemple.

Aussi, c’est avec plaisir que le matin du 12 juillet, je le vis sortir de sa voiture, au point de rendez-vous. Alexandre et Martin l’accompagnaient, et moi j’étais venue avec mes frères. Je passai une bonne partie des trois jours de marche avec Clément, à discuter, à tel point que les autres nous ont charriés. Lui se contentait de hausser les épaules en attendant que ça passe, moi je sortais les dents, comme il disait.

« Alors Moustique, ça va ? » me demanda Virgile le deuxième soir, alors que nous nous installions pour la nuit dans notre tente.

« Oui, pourquoi ?

_ Oh, comme ça, pour rien… » Son sourire en coin me narguait ; je lui décochai un coup de coude dans les côtes, pour le plaisir, et il répliqua en me chatouillant. On dut se calmer quand Attila commença à grogner, dehors, et que j’ouvris la tente pour le caresser et le rassurer.

« Sérieux, il se passe quoi, avec Clément ? » me demanda mon frère une fois que j’eus réintégré mon duvet.

« Ne va pas t’imaginer des trucs, hein ! » grognai-je. « Il ne se passe rien, on parle c’est tout.

_ Bon, bon. Et sinon, tu as quelqu’un en vue, en ce moment ?

_ Oh, comme c’est subtil ! » raillai-je en gigotant dans mon sac de couchage pour arriver à lui mettre un coup de pied, qu’il esquiva sans mal.

« Allez, Petit Bouchon… Y’as pas eu un mec en quatre ans ? Tu me feras pas croire ça !

_ Si, tu sais bien qu’il y a eu un mec à Lyon. » bougonnai-je. Je n’avais pas envie de parler de lui, il ne s’était au final pas passé grand-chose. Il n’aimait pas Attila et le sentiment était réciproque. Il m’avait quasiment demandé de choisir entre mon chien et lui. Devinez qui avait gagné ?

Mes frères le savaient bien, je leur en avais parlé à l’époque : ils avaient remarqué que j’avais le moral dans les chaussettes, et n’avaient pas eu à insister beaucoup pour que je me confie à eux…

Le mardi soir Virgile me déposa devant chez moi avec chien et sac à dos, et je croisai Paul dans le couloir alors que j’allais rentrer dans mon appartement.

« Bonjour Louise, tu vas bien ? J’ai vu que ta voiture n’avais pas bougé depuis trois jours, je me demandais si tu avais un souci, et comme tu ne répondais pas…

_ Ne t’inquiète pas, j’ai passé le week-end en montagne avec mes frères… » expliquai-je, touchée par sa sollicitude.

« Ah, d’accord. Euh… j’allais me chercher une pizza, ça te dit de la partager avec moi ?

_ Si tu me laisses une demi-heure pour ranger mes affaires et nourrir le monstre, avec plaisir.

_ Bon… à tout à l’heure, alors. Viens quand tu es prête ! Et… tu la veux à quoi, la pizza ?

_ A ce que tu veux, je mange de tout. Même de la viande. » lui répondis-je en sortant mes clés de ma poche. Je le regardai descendre les escaliers, et me dépêchai d’ouvrir la porte. Je commençai par nourrir Attila, puis vidai mon sac en faisant deux tas : le matériel à ranger d’un côté, et les affaires à laver de l’autre. Je préparai une machine, et passai sous la douche avec délice. L’eau chaude faisait du bien à mes muscles endoloris par la marche et les sangles du sac à dos. Puis je me séchai rapidement, enfilai des sous-vêtements propres, un pantacourt en jeans et un joli T-shirt vert pomme qui ressortait bien sur ma peau couleur caramel.

Comme je frappais chez Paul, j’entendis Attila glapir et pleurer, de l’autre côté de ma porte. Je lui ouvris donc, et il se précipita sur moi comme s’il ne m’avait pas vu depuis une semaine.

« Entre, Louise.

_ Excuse-moi, Attila ne veut pas me laisser sortir seule le soir. » lui dis-je en riant. « Ça t’ennuie, s’il vient ? Si tu préfères, on peut manger chez moi.

_ Oh non, pas de problème. Il est sage, de toute façon. »

Je regardai mon chien faire le tour de l’appartement, en tous points identique au mien. Ils se composaient d’une grande pièce à vivre avec un coin cuisine, d’une salle de bain en face de l’entrée, et d’une chambre. Je rappelai Attila quand il fit mine d’y entrer, la porte étant restée ouverte. Il vint se coucher à mes pieds, et n’en bougea plus de la soirée.

« Il a l’air crevé, ton garde du corps. » nota Paul entre deux parts de pizza.

« Oui, trois jours dehors à marcher, ça lui fait du bien. C’est dur pour lui, de rester enfermé toute la semaine. Pour moi aussi, d’ailleurs… »

Il me posa des questions sur nos randonnées, si bien que je finis par lui proposer : « Tu es libre, le weekend prochain ? Si tu veux, je t’emmène. »

Restait juste à m’assurer que l’itinéraire était accessible à un débutant. Virgile, quand je l’appelai le lendemain, me dit : « Louisou, j’ai une femme enceinte à la maison, maintenant, alors les rando toutes les semaines, tu sais… je dois faire des compromis. Vois avec Nico, pour le tracé. »

Ce dernier me dit : « Ah non, c’est Clément qui gère ! »

Au bout du compte, tout le monde était au courant que j’amenais quelqu’un le week-end suivant. Quant au tracé, pas d’inquiétude : si l’itinéraire était un peu technique, il y aurait une voiture à mi-parcours puisque Martin n’était pas libre le dimanche et rentrait en ville samedi soir. Paul pourrait en profiter s’il était fatigué…

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