Chapitre 4

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Eté 2015

Le samedi suivant au petit matin, nous sommes donc partis dans ma 205, malgré les protestations de Paul qui voulait prendre sa voiture, pourvue de la climatisation.

« Ouvre la fenêtre, c’est pareil. » lui dis-je en souriant. Je préférais laisser mon épave dégueu au milieu de nulle part pendant deux jours, plutôt que sa jolie voiture récente… Il me servit de copilote pour rejoindre le point de rendez-vous, lisant les instructions que Clément m’avait envoyées par mail. Après une grosse demi-heure de route, je me garai sur un petit parking, dans un village minuscule.

« Tu es sûre que c’est là ? Il n’y a personne…

_ On est les premiers, c’est tout. » le rassurai-je. En les attendant, je vérifiai le chargement des sacs, leur équilibrage, et le réglage des bretelles. J’avais prêté à Paul mon premier sac à dos, hérité de mon frère. Un ‘petit’ sac de trente litres. Depuis quelques années, j’avais mon sac à dos de grande, quarante-cinq litres, et adapté à la morphologie féminine, même si je n’avais pas beaucoup de poitrine c’était bien plus confortable lorsque je le portais plusieurs jours.

Nicolas arriva peu après avec Alex, Martin et Clément, et après les présentations nous nous sommes mis en route en discutant. Paul, un peu réservé, ne disait pas grand-chose, se contentant de répondre aux questions que mon frère lui posait. Quant à moi je retrouvais avec plaisir cette sensation si particulière qui me prenait à chaque fois qu’on partait en randonnée. Un mélange d’effort physique – le souffle à maitriser, le rythme de la marche à maintenir – et de plénitude, cette impression de monter vers le toit du monde, même si on était bien loin de l’Himalaya ! Nous marchions à une allure régulière, en groupe indiscipliné, tantôt en file indienne, tantôt en troupeau quand le sentier le permettait. Paul semblait bien suivre le rythme, mais en fin de matinée il commença à fatiguer un peu, et je lui proposai de ralentir la cadence pendant que les autres partaient devant pour retrouver Gauthier qui marchait depuis la veille en solitaire, et se joignait à nous pour la suite du weekend.

« Tu ne regrettes pas d’être venu, au moins ? Il est encore temps de redescendre, si tu préfères.

_ Non, non, c’est le temps que je m’habitue au rythme, c’est tout… » me dit-il, un peu essoufflé.

« Courage, on est presque arrivés, et le repas nous attend. »

Il me sourit à nouveau, et cette perspective sembla le motiver. Les gars n’étaient pas si loin devant nous, et avaient à peine eu le temps de saluer Gauthier quand nous sommes arrivés près d’eux. Je me délestai de mon sac à dos que je posai avec les autres. Gauthier fit deux grandes enjambées dans ma direction, je le vis ouvrir les bras avec un immense sourire, et m’attraper pour me faire voltiger autour de lui en criant :

« Ma Louloute ! »

Je détestais ce surnom débile. Il le savait, et il en rajoutait des tonnes à chaque fois. D’un coup, il s’arrêta et me dit – pas discrètement du tout : « Ne te retourne surtout pas, Loulou, tu as été suivie par un touriste.

_ Imbécile !

_ Tu crois que tu fais mal, avec tes petits poings en mousse ? » Je lui martelais le torse et les épaules, et il riait. Attila se coucha en soupirant, le museau sur ses pattes, l’air blasé, et Gauthier finit par me lâcher. Je pus enfin faire les présentations, et il échangea une franche poignée de mains avec Paul qui vint ensuite s’asseoir près de moi. Nous avons mangé, et avant de repartir je m’assurai que Paul se sentait vraiment capable de continuer. Il me certifia que oui.

« Prends des bâtons, alors. » lui conseillai-je en les détachant de mon sac à dos. Je les réglai à sa taille, et lui expliquai comment s’en servir : « Tu dois faire aller tes bras et tirer sur les bâtons pour t’aider à avancer, ça parait un peu fatiguant pour les bras, mais à la longue tu économises ton dos et tes jambes. »

Le soir, lorsque nous avons trouvé, avec bien du mal, un endroit où planter quatre tentes, Paul était cuit. Il avait pourtant refusé de suivre Martin, deux heures plus tôt, lorsque ce dernier avait bifurqué pour aller retrouver sa voiture et rentrer à Clermont-Ferrand. Paul se laissa tomber au sol, détacha de ses épaules les bretelles du sac à dos, et il resta là. Pendant ce temps, j’ouvris mon sac pour en sortir ma tente et commençai à la monter. Ayant repris son souffle, il se traina jusqu’à moi pour m’aider à planter les sardines et à fixer les tendeurs, mais il n’était pas très efficace. Une fois la tente montée, je mis dedans nos sacs à dos, et pris dans le mien quelques affaires que je fourrai dans une pochette en tissu.

« Je vais voir la source ! » lançai-je à la cantonade. Autrement dit, « je vais me laver et faire pipi, restez sagement ici jusqu’à mon retour ». Je ne marchai pas longtemps sur le sentier désert avant de rencontrer le petit ruisseau que nous avions traversé en venant, et j’en remontai le cours sur une vingtaine de mètres, histoire de m’éloigner du chemin. Mon nécessaire de survie contenait mon un gant de toilette et une petite serviette en microfibre, juste de quoi faire une toilette de chat. En pleine nature, sous le soleil de début de soirée, je mouillai mon gant de toilette dans l’eau du ruisseau pour me débarbouiller et me rafraichir. Je changeai de sous-vêtements et enfilai un T-shirt propre, puis pris le chemin du retour.

Les gars avaient fini de s’installer, et le repas réchauffait sous la surveillance d’Alexandre et Nicolas.

« Ça va, Paul ? » demandai-je en m’installant près de lui.

« Ouais… » soupira-t-il. « Je suis mort…

_ Tiens, mange, ça va te ressusciter ! » Alex lui tendit une assiette, et la mienne me parvint aussitôt après. Tous aussi affamés les uns que les autres, on se jeta sur notre pitance et pendant un moment on n’a plus rien entendu que le choc des couverts sur le fond des gamelles en inox.

Après le repas, que nous avons terminé en faisant un sort au gâteau aux pommes préparé par la copine de Martin, je vis mon frère et Gauthier se lever et prendre Paul par les épaules.

« Viens, on a des trucs à te dire. »

Il me jeta un tel regard de détresse que je ne pus m’empêcher de râler : « Soyez cool, les gars… et ramenez de l’eau pour la vaisselle ! » Gauthier fit demi-tour pour prendre le seau pliant en toile.

« Paul ! » appelai-je encore : « Surtout, ne crois pas tout ce qu’ils vont te raconter ! » Les connaissant, ils allaient en faire des caisses sur mon caractère de cochon, alors que je m’étais beaucoup améliorée depuis quelques années… ou bien le menacer des pires châtiments s’il me faisait du mal. Encore heureux que Virgile n’était pas là, des trois c’était bien lui le pire… Tout le monde rit, même Paul, et je ramassai la vaisselle que je posai sur un rocher un peu plus loin, avant de servir à Attila une ration de croquettes.

Je me demandais tout de même si j’avais bien fait de les laisser partir… Clément dut voir mes regards vers le ruisseau, car il vint me rejoindre. Sans un mot, juste une présence près de moi. Je lui souris, remerciements silencieux. Bientôt, on vit arriver Gauthier avec le seau d’eau pour la vaisselle. Puis Paul et Nico, qui discutaient comme de vieux copains : ça me rassura un peu.

On s’installa pour la veillée. Il était encore un peu tôt pour se coucher, mais on ne tarderait pas : le matin arriverait vite et il nous faudrait être en forme pour affronter la journée de marche qui nous attendait. Je cherchais comment demander à Paul ce que Nicolas et Gauthier lui avaient dit : « Toujours en vie, on dirait ?

_ Oui. J’en menais pas large… mais ils voulaient juste me parler des dix commandements du randonneur. »

Les enfoirés ! Je fusillai Gauthier du regard – Nicolas s’était absenté – et il me répondit d’un sourire que je connaissais bien, ce grand sourire railleur, moqueur, qui prenait tantôt un air condescendant, tantôt une tournure plus tendre. Chacun à son tour, les gars s’éclipsèrent pour aller se laver. Je m’étais allongée dans l’herbe encore tiède, regardant le ciel sans nuage, Attila couché contre moi. Quand nous avons commencé à bâiller les uns après les autres, Clément donna le signal du coucher : « Allez, tout le monde au lit ! »

« Moustique, tu dors où ? » me demanda mon frère alors que chacun se levait et vérifiait que rien ne trainait.

« Dans ma tente, évidemment.

_ Avec qui ?

_ Bon sang, Nico, tu me fais quoi, là ? Je suis une grande fille, d’accord ? Je dors avec qui je veux. » Les dents serrées, je tentais de ne pas élever la voix. D’un brusque mouvement du bras, je me dégageai de sa main posée sur mon coude, et m’éloignai en direction de ma tente, où Paul m’attendait.

« Ça va ?

_ Ouais… » soupirai-je. Je me sentais tendue, tout à coup, à cause de mon frère. Trop tendue pour dormir.

« Tu as toujours mal aux pieds ? » demandai-je à Paul. « Viens. »

Je l’entrainai vers le ruisseau, à la lumière de ma lampe frontale. Nous nous sommes assis sur un rocher, et avons trempé nos pieds dans le courant. C’était froid, vraiment froid, mais tellement agréable… La douleur de la marche était complètement anesthésiée. J’avais éteint ma lampe, et nous sommes restés un moment dans la nuit, sans parler, avant de prendre le chemin du retour. Le campement était plongé dans le noir.

« Moustique ? »

Je soupirai et me dirigeai vers mon frère qui m’appelait à mi-voix. Nicolas tendit la main et je m’assis près de lui sur le rocher où il était installé.

« Ne le prends pas mal, Lou, s’il te plait…

_ Mais comment tu veux que je le prenne ? Je suis une adulte, Nicolas, depuis longtemps. Je suis capable de prendre soin de moi, et de prendre des décisions qui me concernent, sans que tu sois systématiquement sur mon dos. Ou Virgile.

_ Je sais. » acquiesça-t-il en passant son bras autour de mes épaules. « Ecoute… c’était juste une question, d’accord ? Je ne veux pas que tu te sentes obligée de partager ta tente avec Paul si tu n’as pas envie.

_ Je comprends. Mais je vais le faire, parce que c’est mon ami. »

Je n’avais pas envie de me disputer avec mon frère et il dut le sentir, car il ne dit plus rien et se contenta de poser un baiser dans mes cheveux.

« Bonne nuit, Lou. » murmura-t-il avant d’aller se coucher.

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