Chapitre 8

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Le lendemain, nous sommes repartis de bonne heure et de bonne humeur, après un petit déjeuner pris au refuge, pain chaud tout juste cuit au feu de bois, beurre frais et confiture artisanale d’une ferme voisine. J’étais reposée, et je passai une bonne partie de la matinée à marcher en silence, m’imprégnant simplement de la beauté du paysage, des couleurs du ciel et de la pureté de l’air.

Je marchai un moment avec Martin, aussi. Collègue de travail d’Alex, il s’était très vite intégré dans notre petit groupe, deux ans auparavant, mais nous n’avions pas grand-chose en commun, lui et moi. Il ne connaissait pas le détail de ma relation avec Gauthier, il n’avait pas eu affaire à mon caractère de cochon en pleine crise d’adolescence, bref il ne me connaissait pas vraiment. Du coup, c’était reposant de marcher avec lui : il ne parlait pas, et moi non plus. Ca me faisait des vacances par rapport à mes frères et Gauthier, qui n’arrêtaient pas d’essayer de me faire parler.

Au bout d’un moment, j’ai ralenti un peu, jusqu’à me retrouver seule avec Attila contre ma jambe, et j’ai fini l’étape comme ça, m’emplissant les yeux du paysage et les poumons d’oxygène, mais les oreilles fermées à tous les bruits extérieurs.

Le soir, après le repas, je me suis éloignée du bivouac pour brosser Attila qui perdait des poils à longueur de temps. Je le faisais régulièrement, mais jamais à proximité des tentes, sinon on en retrouvait partout… Cherchant un coin sympa, je suis tombée sur Clément, qui m’a invitée à m’installer près de lui. Il me regarda en silence brosser mon chien, et quand Attila, libéré, s’est éloigné en trottinant, Clément sortit de sa poche un petit paquet enveloppé dans du papier brun, et un briquet : « Ça te dit ? »

J’acceptai : ça me ferait peut-être du bien, après tout… Je le regardai rouler son joint, en repensant à la première fois qu’on avait fumé ensemble, et à la réaction de mes frères. J’étais à peine majeure à l’époque, et ils avaient piqué une crise mémorable. Clément, avec son calme habituel, les avait rassurés, leur disant que si je voulais essayer, je trouverais de toute façon le moyen de le faire, et autant que je le fasse avec son herbe à lui – qu’il cultivait pour sa consommation personnelle – plutôt qu’avec de la résine de cannabis coupée à on ne savait quelle merde. Qu’il ne me laisserait pas faire un bad trip.

Il a allumé son joint, et en a tiré une longue bouffée avant de me le passer. Puis, recrachant la fumée, il m’a demandé :

« Tu fumes encore ?

_ La dernière fois, c’était avec toi.

_ Ah ouais ? Vas-y mollo, alors. » Cela remontait à des années… On est restés un long moment, à fumer en silence, allongés sur le dos à regarder le ciel. Je faisais attention, je n’avais pas envie de passer ma soirée à ricaner bêtement, comme ça m’était arrivé une fois… J’aimais bien l’odeur, le goût un peu moins, mais surtout je me sentais flotter doucement, j’étais détendue, vraiment détendue, pour la première fois depuis un certain temps.

Au bout d’un moment, j’ai refusé le joint que Clément me proposait, et je l’ai laissé finir seul. J’étais bien mais pas euphorique, et mon cerveau répondait toujours présent. Quand j’ai commencé à avoir un peu froid et que j’ai frissonné, je me suis levée pour rentrer. Lui est resté sur le dos, les yeux dans les étoiles naissantes, m’assurant que tout allait bien. J’ai regagné le campement, et signalé sa position à Alexandre, qu’ils sachent où le chercher si nécessaire. Puis je me suis glissée sous ma tente et dans mon duvet en fermant les yeux. J’étais bien, plus rien n’avait d’importance, et je ne mis pas longtemps avant de m’endormir.

***

Depuis le début de la semaine, Virgile et Nicolas passaient leur temps ensemble – lorsqu’ils ne me harcelaient pas de questions sur mon état d’esprit, du moins. On aurait dit qu’ils cherchaient à rattraper tous ces moments perdus depuis qu’ils travaillaient, depuis qu’ils ne partageaient plus le même appartement, depuis que Virgile et Julia attendaient leur bébé… Je les laissais entre eux, ils en avaient besoin.

Le dernier soir, au bivouac, Clément attira mon attention sur Attila : « Regarde ses yeux… »

Couverts de croutes noires et jaunes, ils étaient à demi fermés. Je grattai doucement, du bout du doigt, pour dégager le coin d’un œil, et il se débattit.

« Qui a la trousse de secours ? » appela Clément. Un des gars, j’ignore même lequel, nous l’apporta, sans se formaliser quand je répondis « De l’air ! » lorsqu’il demanda si on avait besoin de quelque chose. Armés de compresses stériles et de sérum physiologique, on a nettoyé les yeux d’Attila qui ne se montra pas tellement coopératif. Clément me demanda de lui tenir la tête pendant qu’il regardait sous ses paupières.

« J’en connais un qui est allé s’amuser dans les graminées, et qui nous fait une belle allergie… Winnie m’avait fait ça, une fois… » Il le caressait tout en l’examinant avec douceur.

« Là… » a-t-il dit en se redressant. « Ça devrait aller mieux, déjà. Il faudra surveiller, et continuer à nettoyer les yeux régulièrement. Et ne pas le laisser trainer n’importe où…

_ Je vais le garder avec moi cette nuit. »

Attila levait vers moi ses yeux dorés qui coulaient, et je le caressai en lui parlant comme je le faisais toujours, bêtifiant un peu, lui disant qu’il était beau et que je l’aimais, jusqu’à l’extinction des feux. Alors, il me suivit jusqu’à ma tente où je le fis entrer à ma suite.

Virgile vint s’agenouiller devant l’entrée.

« Ça va, Moustique ? »

Je fis oui de la tête, tout en poussant mon sac pour faire de la place à mon chien.

« Et lui, comment il va ?

_ Comme quelqu’un qui fait une grosse allergie…

_ Tu t’inquiètes, hein ? »

Mon pauvre sourire crispé répondit pour moi, et mon frère se coucha aussi. Sortant ses grands bras de son sac de couchage, il m’a entourée et serrée contre lui. Alors seulement, dans l’étreinte rassurante de mon grand frère, j’ai craqué. J’ai tout lâché, et je me suis mise à pleurer doucement tandis qu’il me parlait tout bas et me caressait les cheveux pour me réconforter. J’étais inquiète pour Attila, mais surtout je me sentais coupable. Je n’avais rien vu, je n’avais pas été suffisamment attentive. Je n’avais pas été assez vigilante pour empêcher Attila d’aller se fourrer n’importe où, et par-dessus le marché ce n’est même pas moi qui avais remarqué que ça n’allait pas, c’était Clément !

« Arrête, Louise, tu te fais du mal inutilement. Et puis, il n’a pas l’air malheureux, tu sais. Il va bien. Il vit sa vie, et toi la tienne, c’est normal. C’est bien plus sain… »

Bien plus sain que la relation exclusive que nous avions longtemps eue.

Cela faisait du bien de pleurer, je me suis calmée peu à peu. Et j’ai fini par m’endormir. Attila m’a réveillée plusieurs fois durant la nuit, en gémissant ou en remuant, et je me suis détachée de mon frère pour serrer mon chien contre moi. Je fredonnais doucement une berceuse créole, héritage de ma mère. Je ne comprenais pas la moitié des paroles, mais elle avait bercé mon enfance, et je l’avais toujours chantée à Attila, depuis qu’il était tout petit.

Notre dernière étape nous conduisit dans un gros bourg, où nous devions déjeuner en attendant nos chauffeurs. Lorsque j’ai vu l’enseigne d’un vétérinaire, je n’ai pas réfléchi, ni laissé le choix aux gars, et je suis entrée. La secrétaire m’a demandé d’attendre un moment, et le docteur est finalement venu nous chercher, faisant des heures supplémentaires pour nous.

Il a examiné Attila, et confirmé le diagnostic de Clément : c’était bien une allergie, contre laquelle il prescrivit un traitement. Je donnai à Attila le premier cachet avant même de sortir du cabinet, et sortis retrouver Nicolas qui m’attendait sur le trottoir.

« Les autres sont allés chercher un resto, ils nous attendent. »

Ils s’étaient installés en terrasse, près d’un monceau de sacs à dos sur lesquels on a ajouté les nôtres, et examinaient déjà la carte avec attention. Attila s’est couché sous mon siège. Mon père nous a rejoints peu après, commandant le plat du jour pour manger rapidement et nous rattraper. Lorsque le cousin de Martin est arrivé, nous étions prêts à partir.

J’étais fatiguée par la semaine de marche et la mauvaise nuit passée avec Attila. Sur la banquette arrière du Land Rover de mon père, mon chien couché à mes pieds, j’ai fini par m’endormir sur l’épaule de Virgile. Je n’ai ouvert les yeux qu’une fois arrivés au centre de Clermont-Ferrand, à cause des arrêts et redémarrages fréquents dus à la conduite citadine.

Mon père a déposé Virgile chez lui, puis s’est arrêté devant mon immeuble pour nous laisser descendre, Nico et moi : « A tout à l’heure, les enfants ?

_ A plus, P’pa ! On te rejoint à la maison ! » lui répondit mon frère.

On avait décidé d’aller passer quelques jours chez notre père : Nico était en congés jusqu’à la fin de la semaine, et moi je pouvais travailler d’où je voulais tant que j’avais internet. On serait mieux là-bas que dans mon petit appartement.

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