Chapitre 17

7 minutes de lecture

Début septembre 2015

Au petit matin, alors que les garçons dormaient encore, je me glissai hors de la tente avec mon nécessaire de toilette. Attila me suivit jusqu’au torrent où je me débarbouillai. Je passai longuement de l’eau fraiche sur mon visage, insistant sur le contour des yeux. Mon miroir de poche me renvoyait une image peu flatteuse, j’avais vraiment l’air de ne pas avoir dormi... mais au moins, je n’avais pas les yeux rouges et gonflés.

Je restai là, assise au bord du torrent, à gratouiller le cou et la gorge d’Attila, et je fermai les yeux, bercée par le glouglou de l’eau qui rebondissait de galet en rocher. C’était apaisant. J’aurais dû venir là, cette nuit...

« Ça va, Moustique ? Qu’est-ce que tu fais là, toute seule ? On t’attend pour le petit-déj. » me dit Nico en s’approchant.

« T’aurais eu l’air malin si tu m’avais trouvée en train de pisser ! » râlai-je avec un sourire en coin. Je me levai, embrassai mon frère et ramassai mes affaires pour retourner au bivouac. J’avais mes ‘chaussures de grenouille’ et c’était agréable, je sentais l’herbe sous mes pieds, parfois les cailloux quand ils avaient des arrêtes pointues, mais ça ne faisait pas mal. Le temps de retrouver les autres, j’avais collé sur mon visage un air normal, et je m'assis entre Paul et Clément, ma tasse de thé à la main.

On a mangé, remballé les tentes, refait les sacs, et repris la marche. Paul me saisit la main pour m’attirer à lui et laisser passer les autres.

« Ça va ? » murmura-t-il en emboitant le pas à Alex et Martin.

« Oui. » Je souris, pressai sa main avant de dégager gentiment mes doigts : marcher en se tenant la main, c’était casse-gueule. Attila ne me quittait pas, Paul non plus. Je fis bonne figure toute la matinée, mais en début d’après-midi, la fatigue me rattrapa. Je bâillais pour la dixième fois peut-être quand Martin lança les hostilités, sans même le vouloir j’imagine :

« Pas assez dormi, Louise ?

_ T’insinues quoi, mec ? J’ai rien entendu, moi... Et vous ?

_ Oh, tu sais, ça peut se faire en silence... » Ils riaient de bon cœur, taquinaient Paul... qui se sentait mal, je le voyais sur son visage, et moi j’explosai littéralement :

« Putain, mais le concept de discrétion, ça vous parle ? On a le droit à une vie privée, avec vous ? Ou c’est trop demander ? »

Les rires s’étaient tus devant ma fureur. J’en bousculai un ou deux qui se trouvaient sur mon passage en allongeant le pas dans la descente.

« Moustique ! » La voix de Virgile.

Pour toute réponse, je levai bien haut mon majeur droit, sans ralentir. J’avais même gagné un peu de vitesse, mais me trouvai bloquée par Gauthier qui m’attrapa par le bras et me força à m’arrêter.

« Louise ! Un accident, ça ne t’a pas suffi ? Tu veux recommencer ? »

Pour qu’il m’appelle Louise, il fallait vraiment qu’il soit en colère. Et en effet, l’expression de son visage ne mentait pas. Je me contentai de le fusiller du regard en dégageant mon bras, et me détournai pour me remettre en marche, mais plus calmement. Il avait raison : ma chute, six ans plus tôt, avait eu lieu dans des conditions similaires, et je n’avais pas très envie de remettre ça...

« La petite Louise est de retour... » nota un des gars à mi-voix, provoquant des rires étouffés dans le groupe derrière moi. Je serrai les dents, et m’arrêtai sur le bord du chemin pour trouver mon portable dans mon sac. J’ajustais à nouveau les bretelles sur mes épaules et reprenais la marche quand Clément se mit à ma hauteur. D’autres m’avaient doublée, et il y en avait deux ou trois derrière nous.

« Je te préviens, j’ai pas envie de parler. » dis-je, à peine aimable. Il haussa les épaules :

« Ça me va. » C’était le seul, il me semble, qui n’avait pas encore ouvert la bouche.

Je plaçai les écouteurs sur mes oreilles, et le téléphone dans ma poche après avoir lancé la lecture : de la soul, je n’avais que ça dans ma playlist. Je ne desserrai pas les mâchoires de l’après-midi. J’avais besoin de réfléchir. D’analyser la situation, de repenser à ce qui venait de se passer. Je n’en voulais même pas à Martin, qui n’avait vraisemblablement pas d’arrière-pensée déplacée en me demandant si j’avais bien dormi. En fait, en y réfléchissant bien, j’étais à cran depuis la veille au soir et ma dispute avec Paul. Sans cela, je n’aurais sans doute pas apprécié les taquineries, j’aurais fait un peu la tête en répliquant vertement. Gauthier m’aurait appelée Louloute, les autres Moustique, et j’aurais pris la défense de Paul. Et ils seraient passés à autre chose. Au lieu de quoi, la petite Louise était de retour, en effet, avec ses réactions exacerbées, ses nerfs à fleur de peau. Comme à la grande époque.

Paul était derrière moi, avec Gauthier et Virgile. Et je ne pouvais même pas me retourner pour m’assurer qu’ils n’étaient pas en train de l’ensevelir sous les conseils et les recommandations - voire de l’enterrer purement et simplement derrière un rocher - j’avais décidé que je boudais. Le pire, c’est que j’avais totalement conscience que c’était puéril.

J’en profitai donc pour repenser à notre dispute de la nuit. Il avait l’air vraiment mal, depuis le matin, mais je n’avais pas pris le temps de m’appesantir sur la question, trop tournée vers ma colère. Et d’ailleurs, c’était idiot, non, d’être dans une telle rage pour si peu... Ça ressemblait à mes colères d’adolescente, à l’époque où j’en voulais à Virgile et Nicolas, à mon père, et à la Terre entière, à l’époque où je pensais qu’ils m’avaient oubliée, abandonnée, que je ne comptais pas pour eux...

Une fois arrivés aux voitures, j’arrêtai la musique pour dire au revoir à tout le monde, et je m'installai à l’arrière de la voiture, avec Attila. Paul et mes frères montèrent à leur tour, et on rentra à Clermont-Ferrand. Nicolas se gara n’importe comment sur le trottoir, mit les warnings, et monta récupérer les affaires qu’il avait laissées chez moi.

« Mais tu peux rester dormir, tu sais, ça ne me dérange pas !

_ Non, je vais chez Virgile. Chacun son tour, Moustique ! Et toi, tu dois parler avec Paul. Sérieusement, Lou. Vous devez parler.

_ Je sais. » Mon frère me serra dans ses bras et m'embrassa sur le front.

« Je t’aime, p’tit bouchon. A bientôt, je te déposerai ta voiture demain matin en partant à la gare, je mettrai les clés dans ta boîte aux lettres »

Je m'écartai de lui à regret, et il se tourna vers Paul qui attendait dans le couloir qu’on ait fini nos messes basses : « Salut, Paulo ! Prends soin de ma sœur : elle est chiante, mais je l’aime. Ah ! et si tu as besoin du mode d’emploi avec elle, n’hésite pas à m’appeler, mec. » Il lui mit une tape sur l’épaule, et je le regardai s’éloigner dans l’escalier, sa valise à la main. Il repartait le lendemain à la première heure, pour Grenoble, Metz ou Nantes. Ou ailleurs.

Dans le couloir, il ne restait plus que Paul et moi. On se regarda un instant, incertains, et je rompis le silence en lui proposant de manger avec moi.

« J’arrive dès que j’ai pris une douche.

_ J’ai une baignoire... » lui rappelai-je, et je vis sur son visage la bataille intérieure, avant son sourire : « OK. Je prends mes affaires. » Le temps qu'il arrive, j’avais commencé à faire couler l’eau.

« Paul, je suis désolée pour hier soir et pour aujourd’hui. » commençai-je - autant ne pas tergiverser. Il posa sa serviette de toilette et ses vêtements propres sur le lavabo, et m’enlaça, sans rien dire. Je m'accrochai à lui, à ses habits, le nez dans son T-shirt qui sentait le mâle qui a transpiré, et on resta comme ça en écoutant couler le bain. La baignoire remplie, on se plongea avec délectation dans l’eau chaude. Paul s’était installé derrière moi, et on est restés comme ça, sans rien dire, sans bouger, un long moment. Je m'assoupis même, la tête dans son cou, et il me réveilla doucement. Il me fit asseoir et me savonna le dos, tout en me prévenant : « On se lave, on mange, et dodo. Tu es trop fatiguée pour les galipettes, ce soir. »

C’était vrai.

Ses caresses, à travers le gant de toilette, étaient douces et sensuelles, apaisantes, je sentais fourmiller ma peau, mais je n’avais pas vraiment envie de faire l’amour. On sortit rapidement de la douche pour se sécher, puis manger et se coucher.

J’avais agi par automatismes jusque-là, mais le repas m’avait un peu requinqué, et j’insistai pour parler avant de dormir. Je lui dis franchement ce que j’avais ressenti, il m’expliqua que la présence de mes frères à côté l’avait stressé. Je lui reprochai de ne pas me l’avoir dit, simplement… j’aurais compris, je pense, et sans doute mieux réagi… Quant à lui, il avait été surpris, et n’avait pas su comment se comporter face à moi, si entreprenante alors qu’il ne s’y attendait pas. On a parlé longtemps, puis Paul me dit : « Il est temps de dormir, ma Louise. » Il posa un baiser sur ma joue, je me pelotonnai contre lui, et cessai de lutter contre le sommeil.

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