Chapitre 22

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A mesure que nous approchions du village où nous avions garé ma voiture la veille, je sentais Paul ralentir le pas.

« Tu ne veux pas qu’on s’arrête un peu ? » proposa-t-il.

« On est presque à la voiture, regarde.

_ Justement… Je veux te parler… »

Je manquai d’air, tout d’un coup.

Ses mots. Je veux te parler. Il n’avait pas ouvert la bouche depuis des heures.

Le sentiment d’étouffer.

Chaud. Froid.

Et ses yeux lorsqu’il se plaça soudain devant moi, ses mains sur mes épaules.

« Louise, qu’est-ce qui se passe ? Chérie ? »

Il ouvrit l’attache ventrale de mon sac.

« Mais…

_ J’ai pas l’intention de faire un câlin à ton sac à dos… »

Il m’en débarrassa, posa le sien aussi, et je me retrouvai juchée sur le bord du chemin tandis que lui restait dans l’ornière creusée par le passage répété des tracteurs, mes yeux à la hauteur des siens pour une fois.

« Louise, je ne sais pas ce qui se passe dans ta petite tête en ce moment, mais il faut que tu arrêtes de paniquer comme ça… Louise ! »

Il tenait mon visage entre ses mains, son regard inquiet plongé dans le mien. Je m'accrochai à sa voix, à ses yeux, et me forçai à respirer calmement.

« Là, c’est rien… Tout va bien… » Il lâcha mon visage pour m’entourer de ses bras et me serrer contre lui, sans cesser de me parler. Je n’écoutais pas les mots, il y avait seulement sa voix douce, à l’intonation familière, qui me berçait.

« Louise ?

_ Oui ?

_ Rassure ton chien, tu le stresses, là… »

Je m’écartai un peu de Paul pour trouver, en effet, Attila nerveux et inquiet. Je m’accroupis et le caressai longuement. Paul nous laissait faire, il avait compris que je puisais dans ce contact force et sérénité. Quand mon chien se coucha finalement à mes pieds, Paul s’assit près de moi et tendit la main pour tourner mon menton vers lui.

« Viens là. »

Je m’empressai de m’asseoir dans ses bras, entre ses jambes écartées, dos à lui.

« Tu voulais me dire quelque chose ? » osai-je timidement, à mi-voix.

« Non, c’est rien. Je te dirai plus tard. Mais, Lou… je ne comprends pas, pourquoi tu… ? »

Je soupirai : « … Je sais pas, Paul, j’ai paniqué…

_ Ça oui, j’avais remarqué ! » sourit-il en embrassant mon crâne.

« Je ne sais pas, tu m’as dit ‘il faut qu’on parle’, et tu n’as pas lâché un mot de toute la journée, tu avais l’air tellement bizarre… » murmurai-je, me sentant misérable et à deux doigts de fondre en larmes. Un petit rire me chatouilla l’oreille.

« Et quoi, Louise ? Je veux te parler, ça ne veut pas dire je veux te quitter.

_ Oui…

_ Je t’aime. Tu ne vas pas te débarrasser de moi aussi facilement, chérie. »

Là, je fis juste un minuscule hochement de tête. Paul resserra ses bras autour de moi.

« Qu’est-ce que je dois faire pour que tu me croies, Louise ? »

Il y avait de la détresse dans sa voix, je crois, et cela me fit monter les larmes aux yeux. Il me colla contre lui, son nez dans mon cou, près de mon oreille.

« Ecoute-moi. On a passé un week-end formidable, hier soir c’était génial, et ce matin aussi c’était magique. Et là, tout de suite, je n’ai qu’une seule envie : monter la tente, ici, et te faire l’amour toute la nuit. Louise, qu’est-ce que c’est que ce sentiment d’insécurité qui te colle à la peau comme ça ? Aie confiance en toi, et fais confiance aux autres. On t’aime. Moi, tes frères, tes amis. Ton père. Il faut que tu arrêtes d’avoir toujours peur qu’on te repousse ou qu’on t’abandonne, Louise : ça te fait trop souffrir. »

Après un baiser dans mes cheveux, une seconde de silence, il repria : « En tout cas, j’ai bien l’intention de te prouver que je t’aime. Je vais te le dire, te le répéter, te le montrer, tous les jours, à tel point que tu finiras par me croire. D’accord ?

_ D’accord. » murmurai-je en pressant ses avant-bras toujours enroulés autour de moi.

On écouta longuement le silence de la montagne, puis Paul se remit à parler.

« C’est un week-end merveilleux. Je voudrais qu’il ne finisse jamais, qu’on puisse rester comme ça, tous les deux, vivre rien que nous deux, à notre rythme et au rythme de la nature. Je sais bien que c’est illusoire, et qu’on peut juste faire ça le week-end, qu’on doit travailler, tout ça. Mais c’est ce genre de moments qu’on doit se rappeler, capitaliser, garder dans un coin pour les jours où on n’a pas le moral. Tu vois ce que je veux dire ?

_ Oh, oui… Garder des bons souvenirs pour les jours gris. Ça fait longtemps que je connais la recette.

_ Alors j’espère que ce week-end va rester dans ton top dix des bons souvenirs… En tout cas, il est déjà dans le mien. »

On est restés longtemps comme ça, assis au bord du chemin, jusqu’à ce que des bruits de pas nous séparent. Et on vit passer un couple de personnes âgées, qui se promenait. Ils eurent l’air étonné de nous trouver là, et après leur passage on se secoua pour aller retrouver la voiture.

« Laisse-moi conduire. » demanda Paul, et je lui ai confié les clés.

De retour à Clermont-Ferrand, après notre désormais traditionnel bain ensemble, Paul est resté manger, puis il est resté dormir.

En fait de dormir, on laissa juste une petite lampe allumée près du lit, et Paul me fit un massage. C’était très différent des massages de Gauthier, il ne mettait pas la même force dans ses mains, comme s’il avait peur de me faire mal. Mais ses effleurements me détendaient, et je me sentais glisser petit à petit dans une sorte de somnolence agréable. Je me laissais faire en silence, et lui ne disait rien non plus.

« Je t’aime, Louise. » murmura-t-il en se lovant contre moi, rabattant la couette sur nos deux corps nus. « Je t’aime, et je ne veux jamais que tu en doutes.

_ Je t’aime aussi. »

Il glissa son bras droit sous ma tête, et passa le gauche autour de moi.

« Au fait, qu’est-ce que tu voulais me dire, Paul ? Avant ma crise d’angoisse ?

_ Je te l’ai dit. Je te l’ai dit tout à l’heure. Tu vois, rien qui justifie une telle panique…

_ Oui, mais c’était quoi, alors ?

_ Mes réflexions sur le bonheur d’être rien que nous deux, tout ça…

_ Oh… »

Je restai un moment silencieuse, repensant simplement à ses paroles qui m’avaient touchée.

« Paul » murmurai-je en me tournant vers lui, « je sais que tu voudrais qu’on vive ensemble, enfin qu’on passe la nuit ensemble plus souvent, enfin, tu vois… Mais j’ai besoin de mon indépendance… Je suis bien avec toi, mais j’ai aussi besoin de me retrouver seule.

_ Je sais. Tu aurais préféré que je rentre chez moi ?

_ Non, non !

_ Demain soir, je dormirai chez moi, promis. » dit-il en embrassant mon front.

Je pris une grande inspiration pour me donner le courage de lui dire : « Tu sais, Paul, vivre ensemble, vraiment, je sais pas si j’en serai capable. Je sais pas si je pourrai le faire un jour.

_ Rien ne presse, Lou, ça fait un mois qu’on sort ensemble…

_ Tu ne comprends pas. Je… je préfère que tu le saches tout de suite : la vie de couple, je sais pas si j’en suis capable. »

Il soupira : « Chaque chose en son temps, d’accord ? Ne commence pas à t’angoisser maintenant. On verra ça en temps voulu... Merde, je commence à parler comme Clément ! »

Je pouffai de rire, qu’il était bête ! Et pourtant, ce n’était pas tout à fait faux…

« En attendant… Dans trois semaines, c’est mon anniversaire.

_ Tu vas chez tes parents ?

_ Oui. Et j’aimerais que tu m’accompagnes. Attends ! Attends, laisse-moi finir : j’ai envie de te présenter à mes parents, je voudrais fêter mon anniversaire avec ma famille et avec toi. Mais je ne vais pas te forcer. Si tu n’es pas prête, ce n’est pas grave, d’accord ? »

Je déglutis avec difficultés.

« Je crois que je ne serai jamais prête, Paul…

_ Comment ça ?

_ Je… la notion de famille, c’est juste un truc inconnu, pour moi.

_ N’exagère pas…

_ Non ! Tu ne comprends pas… Ma famille, elle a éclaté il y a tellement longtemps que je ne sais même plus comment c’était. La vie de famille, c’est quelque chose que je ne connais pas.

_ Mais tu dis ça comme s’il y avait une seule façon de vivre en famille ! C’est faux, Louise… Il ne faut pas croire que dans chaque maison c’est la famille Ricoré…

_ Paul. J’ai vécu sept ans avec juste ma mère, et j’appelle pas ça une famille. Même pas monoparentale. On vivait dans le même appartement, c’est tout. Et ensuite, quand je suis revenue à Clermont, mon père était trop occupé par ses romans pour me prendre avec lui. Coloc avec mes frères. Je me suis élevée toute seule, Paul ! Y’a juste eu Nico et Virgile pour rectifier le tir sur la fin, mais sinon j’ai pas l’impression d’avoir eu des parents.

_ Et avant ? Quand tu étais petite ?

_ Je sais plus. J’ai presque pas de souvenirs de cette époque-là. C’est effacé. Comme les années avec ma mère en banlieue parisienne. Restent que les mauvais souvenirs, ceux qui font mal. Tu comprends, Paul, que ça me terrifie de voir une famille unie et heureuse ? Que ça me claque dans les dents que moi j’ai pas eu tout ça ?

_ Ouais… je comprends. Je ne te force pas, Louise. Prends le temps de réfléchir avant de me donner ta réponse, d’accord ? Rien ne presse. » Puis, après plusieurs minutes de silence, alors que je pensais qu’il dormait, il demanda timidement : « Est-ce que tu voudras bien me raconter ton enfance, ta mère, tout ça ? Un jour ? »

Trop peu sure de ma voix, je hochai seulement la tête. Un jour…

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