Chapitre 27

8 minutes de lecture

Début novembre 2015

Il pleuvait toujours de façon désagréable et le quartier ne présentait que peu d’intérêt le soir après 20 heures, aussi je pris ma voiture et roulai droit devant. Je tournai un peu dans la ville, sans but. Les essuie-glaces couinaient sur le pare-brise mouillé. Il faisait nuit mais au détour d’une rue je vis se découper à l’horizon la silhouette du puy de Dôme. Attirée comme une mouche par la lumière, je me dirigeai dans cette direction et roulai dans la campagne jusqu’à m’arrêter à quelques kilomètres du puy. Là, je me garai au bord d’une route déserte, pour le regarder. Je l’aimais, cette montagne ! Qu’elle m’avait manquée, pendant toutes ces années passées loin de Clermont-Ferrand !

Sur la banquette arrière, Attila poussa un petit gémissement plaintif. Je me penchai entre les deux sièges pour le caresser, et c’est la sonnerie de mon portable qui m’interrompit : la sonnerie dédiée à mon frère. Bien sûr, le temps que je retrouve mon téléphone dans mon sac, j’avais manqué l’appel, mais je savais que Nico allait rappeler aussitôt. Il faisait toujours ça, quand il tombait sur la messagerie : raccrocher, et rappeler dans la foulée.

« Louise, c’est moi. Est-ce que tu vas bien ?

_ Oui.

_ Où es-tu ?

_ Dans ma voiture.

_ Viens à la maison, Lou. » me demanda-t-il presque timidement. Je hochai la tête, comme s’il pouvait me voir, et soupirai : « D’accord. J’arrive. »

Nicolas m’attendait sur le pas de la porte quand je garai ma voiture dans la cour à côté de celle de Virgile, qui la lui prêtait le week-end. Sans un reproche, sans une question, il se contenta de m’ouvrir ses bras, et me serra contre lui un long moment, avant de m’envoyer sous la douche pour me réchauffer : j’étais mouillée, j’avais froid, et d’avoir passé tant de temps dans ma voiture n’avait pas arrangé les choses. L’eau chaude me fit du bien, et je me sentais un peu mieux en sortant de la salle de bain, enveloppée dans un drap de bain tiède et moelleux. J’avais une culotte de rechange dans mon sac à dos, et je trouvai un jean un peu élimé et un T-shirt dans le placard de ma chambre d’ado. Mon frère sourit en me voyant arriver :

« Ça fait des années que tu n’avais pas mis ce truc ! »

Je regardai en soupirant ce T-shirt « I love l’Auvergne », que j’avais toujours détesté. Me voyant frissonner, Nicolas me donna un pull à lui, et me fit asseoir dans le canapé, j’étais pieds nus sur le carrelage. Sur la table basse, un plateau avec deux tasses de chocolat chaud et un paquet de madeleines.

« Bois ça. »

Le chocolat acheva de me réchauffer, les madeleines me remplirent l’estomac.

« J’ai nourri Attila, il restait des croquettes dans le cellier.

_ Merci. »

Alors que mon frère semblait vouloir parler, son portable se mit à sonner.

« Salut mec !... Oui, elle est là. Ne t’inquiète pas, elle va bien... oui, elle a mangé. »

Paul.

J’étais debout, prête à quitter le salon, mais Nicolas m’arrêta d’un regard, pointant du doigt le canapé que je venais de quitter, tout en disant dans le téléphone : « Je vais te laisser, Paul ! » Et à moi aussitôt, en raccrochant : « Arrête ça, Louise. Il s’inquiète pour toi.

_ C’est lui qui t’a prévenu ? C’est pour ça que tu m’as appelée ?

_ Oui. Il n’a pas compris pourquoi tu es partie tout à l’heure. Personne n’a compris, à vrai dire. Tu veux bien m’expliquer ?

_ Non. Y’a rien à expliquer.

_ Louise…

_ C’est non ! » répétai-je fermement.

« Et bien laisse-moi te dire que tu t’es comportée comme une garce, ma grande. »

J’encaissai sans répliquer, trop étonnée de son reproche pour répondre.

« On a tous été surpris. Il y avait de quoi, je te l’accorde, parce que Gauthier avec un mec… on ne l’aurait jamais imaginé. Mais ce n’était pas une raison pour te sauver comme ça, Louise. Grandis, un peu ! Tu ne peux pas continuer à t’enfuir dès que quelque chose te contrarie, bordel ! Tu n’as plus seize ans ! »

Il attendait que je réagisse, mais je n’allais pas lui faire ce plaisir.

Attila, sa gamelle une fois vide, vint s’installer contre moi, et je le caressai doucement, plongeant les doigts loin dans sa fourrure, jusqu’à sentir la chaleur de sa peau entre les poils.

« Ça va mieux, mon Tilou ?

_ Il allait très bien tout à l’heure, au bar. C’est toi qui étais nerveuse, c’est toi qui l’as rendu nerveux. »

Je relevai les yeux pour dévisager mon frère, sans un mot. Il soupira : « Allez, au lit, il est tard… »

Je m’endormis rapidement, mais mon sommeil était troublé de mouvais rêves et je me réveillai plusieurs fois, en nage et en sursaut, surveillant le cœur battant les bruits de la maison.

Un hangar désaffecté, glauque, la nuit. Une présence menaçante, des gens autour de moi qui me voulaient du mal, qui m’attrapaient, une pression mouillée, visqueuse sur mon poignet, le tentacule gluant du monstre qui cherchait à me tuer. Je me mis à hurler.

« Louise, Louise, calme-toi, c’est moi ! C’est Nico ! Moustique, tout va bien, je suis là. » Il psalmodiait des paroles réconfortantes en me berçant, et je mis un petit moment à reprendre mes esprits. La chose visqueuse était toujours sur ma main, je me débattais en gémissant, en pleurant.

« Tout doux, Louise, tout doux, là… »

Nicolas finit par se lever et me porta hors de la chambre. Le truc mouillé m’avait lâchée, je m’accrochais à mon frère et il m’emmena dans le salon, alluma la lumière et s’assit dans le canapé sans me lâcher. Me berçant toujours, Nico me demanda de lui raconter mes cauchemars, et il se mit à rire quand j’évoquai le monstre visqueux qui avait essayé de me manger le bras et qui semblait tellement réel.

« C’était Attila, Louise. C’était juste Attila, qui te léchait la main. Tout va bien, Lou… »

Pourtant, je n’arrivais pas à arrêter de trembler et de pleurer, je refusais de lâcher mon frère et de m’écarter de lui. Il resta donc dans le canapé, une couverture sur nous, et me berça, encore et encore.

Je finis par m’assoupir, mais mon sommeil était agité, et je me réveillai fréquemment, toujours désorientée. Attila finit par monter lui aussi sur le canapé, s’installant à moitié sur moi, et alors seulement je parvins à me calmer et à me reposer vraiment.

Le dimanche je me réveillai tard, la matinée déjà bien entamée. J’étais seule dans le canapé, toujours enveloppée dans la couverture, et Paul était assis sur le fauteuil en face de moi.

« Paul ? »

Est-ce que je rêvais ? Il me regardait, l’air contrarié, inquiet. Il soupira, et vint s’asseoir au bord du canapé, tout contre moi. « Nuit difficile, alors ? »

Je hochai la tête en me blottissant contre lui. « Ton frère m’a raconté. » me dit-il en arrangeant la couverture autour de moi pour dégager mon visage et me caresser la joue.

« Tu veux qu’on parle ? » demandai-je, la mort dans l’âme.

« Ça me parait indispensable, non ?

_ Ouais… » soupirai-je. « Où est Attila ? » Je scannai le salon du regard : il n’était nulle part.

« Ton frère l’a fait sortir. » Attila dehors, Nico en train de s’occuper de son linge – j’entendais du bruit dans la buanderie, le pssssshh caractéristique du fer à repasser crachant sa vapeur – et mon père parti pour le week-end, nous étions sûrs de ne pas être dérangés.

Je me redressai pour m’asseoir, ne pas rester allongée en laissant Paul me dominer de sa hauteur.

« Alors, qu’est-ce qui s’est passé hier ? Pourquoi tu t’es sauvée ?

_ Attila… »

Il me coupa la parole : « Non Louise. Toi. Pourquoi tu as réagi comme ça ? L’homosexualité, ça te dérange ?

_ Non ! » Je m’insurgeai, pour qui me prenait-il ?

« Alors, c’est parce que Gauthier a rencontré quelqu’un ?

_ Mais non !

_ Tu es certaine ? C’est pas de la jalousie ?

_ Gauthier peut bien faire ce qu’il veut. » crachai-je. « C’est pas le problème.

_ Alors, c’est quoi, le problème ?

_ C’est entre lui et moi.

_ Dans la mesure où c’est ton ex, tu comprendras que je me pose des questions, Louise. »

Je m’adossai aux coussins du canapé en fermant les yeux.

« Paul, je te jure que c’est pas une histoire de jalousie. Gauthier, c’est mon frère. Il est comme mon frère, maintenant.

_ Mais alors… pourquoi ? Tu n’es pas heureuse pour lui ?

_ Je… c’est confus, Paul, d’accord ? J’ai besoin de réfléchir, de… Hier, je ne savais pas comment gérer la situation. Et dans ces cas-là, je vais courir. C’est la seule solution que j’aie trouvée…

_ T’as vraiment un gros problème, toi, hein ? »

Je pris sur moi pour ne pas me renfrogner. Ce n’était pas un reproche, ni une moquerie. Il l’avait dit avec tellement de tendresse, une pointe de tristesse, et il avait sans doute raison, au fond…

Nicolas passa discrètement, une pile de linge sur les bras, et disparut dans le couloir menant aux chambres. Trois minutes plus tard, il était de retour.

« Ça va, les jeunes ? » Rassuré par notre sourire, il proposa un petit-déjeuner, et je les laissai me nourrir. Avec eux, je ne risquais pas de mourir de faim ! On discuta de tout et rien en mangeant, mais Nicolas ne remit pas sur le tapis ma réaction de la veille, ni ma nuit agitée. Considérait-il que le sujet était clos ? Avait-il simplement passé le relais à Paul ? A vrai dire, peu importe.

Il pleuvait, et nous n’avons pas mis le nez dehors. Attila passa la journée dans le jardin, et je le soupçonnais toujours de traverser la haie, quand je le laissais longtemps seul dehors, pour aller faire un tour dans les environs.

Vers 18 heures, Paul et moi reprîmes chacun notre voiture pour rentrer à Clermont, laissant Nico préparer sa valise pour le lendemain : il prenait le train dans la matinée, direction Nantes.

Je garai ma voiture sur le parking derrière notre immeuble, et Paul trouva une place pas très loin. Attila fit un petit tour derrière les garages, et on courut jusqu’à la porte du hall.

« Tu manges avec moi, ce soir ? » proposa Paul. J’acceptai, et passai seulement chez moi pour remplir la gamelle de mon chien. Après le repas, Paul m’attira dans sa chambre, et m’enlaça, cherchant ma bouche de la sienne. Il se montrait plus entreprenant que d’habitude, et ce n’était pas pour me déplaire. Il me retira rapidement mon T-shirt moche, sous lequel je ne portais rien, et mon jean ainsi que ma culotte de secours, une vieille aux élastiques abimés. Pas très sexy, aujourd’hui… Il ne sembla même pas s’en apercevoir, tandis qu’il me poussait vers le lit, ses mains parcourant mon corps.

Lui était toujours habillé, et je tentai de le débarrasser de son T-shirt, de son pantalon, mais il repoussa mes doigts : « Chht, laisse-moi prendre soin de toi, Louise. » Il se déshabilla prestement, et reprit ses caresses. J’étais encore un peu tendue, et ses mains semblaient dénouer les muscles et les tensions sous ma peau. Fermant les yeux, je me laissais aller, suivant le chemin du plaisir qu’il allumait en moi. L’orgasme me faisait toujours l’effet d’un somnifère, et je m’endormis sans m’en rendre compte, glissant dans le sommeil pendant le câlin. Paul n’avait même pas eu à me demander de rester.

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