Chapitre 28

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Mi-novembre 2015

Une dizaine de jours plus tard, nous sommes retournés chez les parents de Paul. Avec le pont du 11 novembre, c’était un long week-end, et Christine nous avait proposé cette date-là car une troupe de théâtre se produisait dans le village. C’était l’occasion de passer une bonne soirée.

La voiture de Paul était au garage - il s'était fait rentrer dedans sur un parking - et je ne faisais plus confiance à la mienne pour les grands trajets sur autoroute, aussi avions-nous emprunté le vieux Land Rover de mon père. Paul avait pesté à propos du manque de confort, mais le moteur tournait bien et j’aimais vraiment cette voiture que j’avais toujours connue.

Le samedi soir, en rentrant de la salle des fêtes où avait eu lieu la représentation théâtrale – une comédie sans prétention, nous nous étions bien amusés – je trouvai sur mon portable plusieurs appels en absence de mon père.

« Je sors Attila, et je le rappelle ensuite. » promis-je à Paul qui s’étonnait que je ne le fasse pas immédiatement. Avec mon père on s’éternisait rarement au téléphone, mais au moins Attila aurait eu sa promenade… J’écourtai la balade au maximum, il était tard et Paul, fatigué, était resté à m’attendre au chaud. Je ne voulais pas l’empêcher de dormir. A mon retour, il m’annonça que mon père avait rappelé.

« Il veut que tu le rappelles sans faute, à n’importe quelle heure.

_ Evidemment ! Qu’est-ce qui se passe ?

_ Il ne m’a pas dit. »

J’enfilai rapidement ma tenue de nuit, sourcils froncés, ça commençait à m’inquiéter. Puis je composai son numéro ; il décrocha à la première sonnerie.

« Louise, enfin !

_ Qu’est-ce qui se passe, papa ?

_ J’ai un message pour toi. Ça ne va pas te plaire, je te préviens.

_ Vas-y…

_ Ta mère est hospitalisée, et elle réclame ta présence.

_ C’est une blague ? »

Le silence dans le téléphone pourtant m’assurait qu’il était sérieux.

« C’est mort, papa. J’ai pas l’intention d’y aller. »

Paul me regardait, inquiet. Je lui souris avant de me renfrogner : mon père continuait.

« C’est non ! Arrête d’insister, je te préviens, je vais raccrocher ! Je ne vois pas ce que j’irais faire là-bas, c’est tout. »

Je finis par couper la communication, et résumai le truc à Paul qui était prêt à partir de suite, arguant de l’importance des liens familiaux.

« Arrête, avec ta famille Ricoré ! » rétorquai-je, un peu cassante. « Quand est-ce que tu vas comprendre que la famille c’est pas mon truc ?

_ Rectification : ta mère c’est pas ton truc. Parce que tes frangins, c’est pas le même refrain. Et peut-être que si tu m’en parlais, de ta mère, je comprendrais mieux. »

Prends ça dans les dents… Il avait raison, mais j’en étais incapable. En soupirant, il éteignit la lumière et se blottit dans mon dos, m’entourant de ses bras.

Le dimanche matin, je me réveillai seule, Paul était levé et Attila n’était plus dans la chambre. Au radioréveil, il était pratiquement 9 heures. Jetant un coup d’œil par la fenêtre en écartant les rideaux, je vis mon chien dans le jardin, reniflant sous la haie et marquant les arbres et les poteaux de la clôture. Paul avait dû le faire sortir pour me laisser dormir.

Je gagnai le rez-de-chaussée, la cuisine était vide mais la voix de Paul me guida jusqu’à la pièce où Christine cousait et repassait : « … ne sais pas ce qui s’est passé avec sa mère, pour qu’elle refuse d’aller la voir. Et j’ai peur qu’elle regrette plus tard, si elle n’y va pas !

_ Peut-être aura-t-elle changé d’avis ce matin. » lui répondit Christine. « Mais dans le cas contraire, souviens-toi que c’est son choix, c’est à elle de décider. Tu n’es pas là pour prendre les décisions à sa place, mais pour la soutenir.

_ Je sais… Oh, Louise, tu es réveillée ! »

Après le petit-déjeuner, Guillaume me demanda si je voulais bien dessiner avec lui. J’acceptai, et il alla chercher des feuilles et des crayons. Tandis que je prenais pour modèle la salle à manger avec ses meubles anciens et la plante verte près de la fenêtre, lui dessinait une scène imaginaire avec toute la famille, moi y compris. Il dessinait un peu comme un enfant, et je lui donnai quelques astuces pour s’améliorer, il était aux anges.

Paul se glissa dans mon dos, mon téléphone à la main :

« Louise, c’est ton père.

_ Donne… » soupirai-je.

La voix de mon père dans le combiné, les yeux de Paul qui me scrutaient, et le souvenir de Christine, quelques semaines plus tôt, son « elle devait t’aimer énormément pour faire une chose pareille », m’ont fait capituler.

« OK, OK, vous avez gagné. Je vais y aller. »

Le temps de boucler nos sacs et de prendre congé des parents et des frères de Paul, nous sommes partis vers 11 heures. Je conduisais, renfrognée. Je tentais de le cacher à Paul, qui aurait sans doute culpabilisé de me forcer la main, mais le fait est que j’y allais à reculons.

Après quasiment six heures de route et deux arrêts, pour manger et laisser Attila se défouler, je trouvai une place sur le parking de l’hôpital. Le Rover était tellement énorme qu’il prenait tout l’emplacement, et on toucha les véhicules voisins en ouvrant les portières pour sortir. Foutus parigots, avec leurs demi-places de parking...

Attila resta dans la voiture, et Paul prit ma main en marchant. Nous nous sommes dirigés vers l’accueil. Papa lui avait donné toutes les informations nécessaires, mais pas le numéro de chambre. Et la réceptionniste ne trouvait pas dans son ordinateur :

« Non, mademoiselle, je vous assure que cette personne n’est pas chez nous.

_ Madame. » répondis-je, d’un calme olympien qui frôlait la rage blanche « Une de vos collègues a appelé hier. J’ai traversé la France pour voir ma mère, je n’ai pas l’intention de partir sans l’avoir vue. Alors, si vous ne me trouvez pas le numéro de sa chambre, je vais chercher moi-même, en ouvrant toutes les portes s’il le faut. Mais ça risque de faire désordre.

_ Mais, mais… »

Panique à bord. Je devais avoir l’air suffisamment sérieuse pour qu’elle s’agite un peu. Et après lui avoir redonné le nom de jeune de fille de ma mère, et le nom de mon père au cas où elle ait repris son nom d’épouse pour une raison x ou y, il s’avéra qu’une Héléna Marie séjournait effectivement ici. Quant à savoir comment « une erreur sur l’orthographe » avait pu occasionner « ce petit malentendu », ça c’était autre chose… Franchement, où était le problème dans l’orthographe de Marie ? Je préférai ne rien répondre, et remerciai poliment la jeune femme avant d’avancer dans le couloir qu’elle me désignait, vers les ascenseurs. Paul appuya sur le bouton, et m’attira contre lui. Je restai blottie dans sa chaleur le temps que dura la montée, et ne m’écartai, à regret, que lorsque les portes s’ouvrirent et que les autres personnes commencèrent à sortir de la cabine. Nous avons marché dans le couloir, à la recherche de la chambre. Paul me serra fort la main au moment de frapper, pour me donner du courage. Et me dit à mi-voix : « Je vais t’attendre en face, dans le petit salon. C’est mieux. »

Je hochai la tête, et lâchai sa main. Les deux petits coups frappés à la porte étant restés sans réponse, j’entrai doucement. Je reconnus à peine la femme couchée dans le lit blanc. Sa peau était grise, les beaux cheveux crépus s’étaient raréfiés, avaient grisonné. Et si ce n’était les yeux, semblables aux miens que je voyais chaque jour dans le miroir, le visage me semblait quasiment inconnu, ridé, les traits tirés, les joues creuses. Pourtant, c’était bien ma mère.

« Louise ?

_ Maman… » Ce nom avait eu du mal à franchir mes lèvres. Ses yeux se remplirent de larmes, et elle tendit vers moi une main décharnée qui décolla à peine du drap blanc.

« Comme tu es belle, Louise… » Sa voix était faible, je m’approchai pour l’entendre mieux, et lui pris la main. Elle n’avait pas de forces.

« Tu es venue… »

Elle semblait vraiment heureuse de ma présence, et je me dis que ça valait la peine de m’être déplacée, mais je ne partageais pas son émotion. Je me sentais froide, comme détachée de mon corps, agissant par automatisme.

Elle me posa des questions sur moi et ma vie, je lui parlai de mes études, de mon métier, et même de Paul. Elle m’écoutait en souriant. Je lui donnai des nouvelles de Papa, de mes frères, annonçai la naissance du petit Corentin.

« Je suis contente. Tu as une belle vie… Louise, je regrette… tellement de choses, tu sais… » Je devinais ses murmures plus qu’autre chose, mais je n’arrivais pas à m’attendrir.

« Tu es la plus belle chose qui me soit arrivée, Louise… » me dit-elle encore.

Je soupirai : « Eh bien, tu ne me l’as pas vraiment montré... »

Je ne voulais pas me venger ou la faire culpabiliser, juste lui faire savoir que tout n’était pas oublié et pardonné juste par le fait qu’elle soit mourante et ait fait amende honorable…

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