Chapitre 42

7 minutes de lecture

Printemps 2016

Le lendemain, un peu moulue par mes courbatures, j’ai paressé dans ma baignoire jusqu’à ce que l’eau refroidisse. Ensuite, j’ai sorti une feuille blanche et je me suis fait un planning hebdomadaire.

Lundi soir, entrainement de jujitsu. Le mercredi, Virgile m’avait dit que je pouvais compter sur lui pour le cours de judo de 18 à 20h. Et le dojo était aussi ouvert le vendredi en fin d’après-midi. Samedi matin, je faisais souvent mes courses, j’allais au marché. Ou le mercredi. Le reste du temps, je n’avais qu’à travailler. Ça ne me laisserait pas une minute de libre pour penser à déprimer. Avec ça, je devrais tenir le coup…

Je me suis coulée dans ma nouvelle routine, j’ai repris mes automatismes au judo, et les entrainements étaient comme des bouffées d’air dans mes semaines. De plus, il y avait toujours quelqu’un pour proposer d’aller boire un verre, ou faire une activité quelconque – les boutiques pour Corentin avec Julia, de l’escalade avec Hugo et Gauthier… J’ai bien aimé l’escalade, mais pas le fait de grimper sur un mur dans un gymnase. J’aurais préféré une vraie falaise, à ciel ouvert…

Je m’étais rabibochée avec Paul qui était venu s’excuser dès le lendemain de notre dispute, un bouquet de fleurs à la main, mais ce n’était plus comme avant. J’envoyais chier mes frangins quand ils avaient le malheur d’aborder le sujet. Ça me rongeait, cette histoire.

Le mois de février a passé, puis le mois de mars, et avril est arrivé. Il faisait déjà doux, et malgré le dicton on avait envie de se découvrir, et pas qu’un peu !

Ce jour-là, un samedi après-midi, Paul avait suggéré qu’on aille se balader en ville. J’avais enfilé un pantacourt en jean et des ballerines, et une petite veste en cuir sur un pull en coton. Décidée à me déguiser en fille pour de bon, j’avais même troqué mon sac à dos contre mon sac à main, cadeau de sa mère, que je portais en bandoulière.

Main dans la main, on a flâné dans les rues, passant devant les vitrines sans les regarder, on a traversé le jardin Lecoq en admirant les massifs et les arbres en fleurs.

Puis, place de Jaude, on s’est installés dans un café – pas en terrasse, pour échapper aux fumeurs. Lorsque la serveuse est repartie après avoir amené son expresso et ma limonade, Paul a posé sa main sur la mienne, sur la table.

« Louise… J’ai postulé à une offre d’emploi intéressante.

_ Oh, tu veux changer de job ?

_ … A Bordeaux. »

Bordeaux, près de sa famille. J’ai joué avec ma paille, poussant vers le fond de mon verre le glaçon qui remontait toujours.

« Rien n’est fait, je n’ai pas encore de réponse, mais je voulais te prévenir… Si je devais partir, viendrais-tu avec moi ? »

Je me suis mordu les lèvres pour ne pas crier non. D’une part parce qu’on n’était pas seuls, d’autre part parce que ce serait signer la fin de notre relation, quelque chose me le disait. Les doigts de Paul ont serré les miens, j’ai répondu à son étreinte comme on s’accroche à quelque chose qu’on est sur le point de perdre.

« Pourquoi tu fais ça, Paul ? » ai-je murmuré. « Pourquoi tu veux m’obliger à choisir entre ma vie et toi ?

_ Mais ta vie, j’en fais partie, non ?

_ Ma vie, elle est ici, Paul. Dans ma ville, avec mes frères.

_ Tes frères, toujours tes frères… Je les aime bien, mais bon sang il faut grandir un peu ! Nicolas est parti, déjà. Et puis ce n’est pas avec eux que tu vas te marier !

_ Ça risque pas. »

Il m’a dévisagée avec attention, interloqué par mon ton sans appel. J’ai soutenu son regard, et puisqu’il voulait que je grandisse, j’ai résolu de ne pas fuir. Cette fois, j’allais rester jusqu’au bout.

Il a lâché ma main, et s’est mis à tripoter l’emballage en papier du sucre qu’il avait mis dans son café. J’ai bu une gorgée de ma limonade, tout en continuant de jouer avec ma paille.

Soupir : « Je pensais avoir trouvé en toi la femme qui allait partager ma vie, la mère de mes enfants.

_ Eh, eh, eh ! On se calme, là ! Qui a parlé de gosses ? On est ensemble depuis six mois, bordel !

_ Sept mois et demi.

_ Joue pas sur les mots, c’est pas le moment. Au bout de sept mois et demi, tu commences à me parler d’enfants ? Merde, Paul, j’ai mon mot à dire dans cette affaire, peut-être !

_ Vas-y, je t’écoute.

_ Ici ?

_ Ici.

_ Bon… » Il l’aurait voulu. « Je n’ai jamais parlé d’enfants. Je n’ai pas accepté qu’on vive ensemble, et je t’ai prévenu dès le début.

_ Bien sûr, Louise… J’ai vu que tu n’étais pas à l’aise avec Corentin, je sais bien que tu ne te sens pas prête, je ne suis pas pressé moi non plus, on n’a que vingt-cinq ans… Je sais que tu as besoin d’espace, et je fais tout ce que je peux pour ne pas t’étouffer…

_ Paul, s’il te plait, arrête... » J’ai respiré calmement pour ne pas me mettre en colère. « On n’est pas sur la même longueur d’ondes, ça ne peut pas aller. Tu en es déjà à quand, alors que moi j’en suis toujours à me demander si… et que je penche pour le non…

_ En effet, on n’est pas sur la même longueur d’ondes… » a-t-il lâché en se levant, me plantant là avec mon verre encore à moitié plein. Je l’ai regardé s’éloigner, ébahie. Puis je me suis enfoncée dans ma banquette, me donnant l’air bien plus à l’aise que je ne l’étais en réalité, et j’ai siroté tranquillement ma limonade.

Quand j’ai demandé la note, la serveuse m’a dit qu’elle avait été réglée. C’était bien lui, ça : même en colère, il ne m’aurait pas laissée payer… Je ne savais pas bien si je devais m’attendrir ou m’énerver.

J’ai marché pour me calmer, regardé les ados s’amusers'amuser sur la place dans les jets d’eau qui changeaient de hauteur, s’éclabousser en criant de joie… avant de continuer ma déambulation sans but dans les rues de la ville.

Mon portable a vibré dans ma poche : Virgile.

« Alors Moustique, qu’est-ce que tu fabriques ? On t’attend ! »

J’ai regardé l’heure sur mon téléphone : 19 heures passées. Et j’avais oublié que j’étais censée diner chez lui avec Nicolas.

« Ecoute Virgile… je préfère annuler pour ce soir. Je suis désolée…

_ Qu’est-ce qui ne va pas ?

_ Je viens de m’engueuler avec Paul. » Autant jouer carte sur table, c’était surement le meilleur moyen de m’en sortir.

« Oh… Tu es sûre que tu ne veux pas te changer les idées ?

_ Certaine.

_ Bon… Mais demain ?

_ Je viens, bien sûr. »

Je suis rentrée en trainant les pieds, et j’ai sonné chez Paul.

« On n’est pas sur la même longueur d’ondes ? C’est tout ce que tu as trouvé à me dire ? Et c’est une raison pour me planter comme une malpropre ?

_ Non, je te prie de m’excuser. »

J’ai refusé de m’asseoir, me suis appuyée au mur d’une épaule, et je l’ai regardé faire les cent pas dans son séjour pendant qu’on s’expliquait. Ça a pris du temps, des cris et des larmes. Et quand je suis rentrée chez moi, j’ai tourné en rond, grignoté un morceau de pain et du fromage, regardé des vidéos débiles sur Internet. Puis, n’y tenant plus, j’ai fourré quelques affaires dans mon sac à dos, et j’ai retraversé la moitié de la ville à pied, pour aller sonner chez Virgile. Comme prévu, il s’est inquiété et j’ai dû couper court à ses questions, puis il s’est excusé : ils avaient déjà fini de manger. En fait, il était tellement tard que Julia était même déjà couchée. Lui discutait encore un peu avec Nico avant d’aller la rejoindre.

« Je peux dormir ici, ce soir ?

_ Bien sûr. Je vais te préparer le canapé.

_ Pas la peine, V. » est intervenu Nicolas. « Il y a un grand lit dans ma chambre. »

J’ai souri, et je les ai embrassés tous les deux, avant de suivre Nico.

« Alors, Moustique ? » me demanda-t-il une fois la lumière éteinte, attirant ma tête sur son épaule.

« Pour la faire courte, il postule pour un job à Bordeaux, pour se rapprocher de sa famille, mais il me reproche de ne pas vouloir quitter la mienne. » ai-je résumé. Mon frère a tenté de temporiser : « S’il a seulement postulé, rien n’est fait encore…

_ Ah, et il a dit aussi qu’il voulait des enfants, et qu’il en aurait, avec moi ou avec une autre.

_ Aïe… » a grimacé Nico. « Ses mots ont peut-être dépassé ses pensées ?

_ Je suis pas sure, non.

_ Hm hm... Et tu as répondu quoi ?

_ Je lui ai dit ‘A ta place j’éviterais les ultimatums, c’est dangereux’. »

Mon frère a explosé de rire, avant de s’excuser.

« C’est fini, tu sais, Nico… »

Il n’a rien dit cette fois, seulement serré un peu plus fort ses bras autour de moi, en soupirant doucement.

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