Chapitre 27

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Au bout d’une éternité, je vis du mouvement dans la cour de récréation : ce n’était pas des élèves quittant les cours, mais les adultes qui se rassemblaient devant la grille. Je m’approchai moi aussi, et quelques minutes plus tard un bus vint se ranger le long du trottoir.

La porte s’ouvrit, et des adolescents ont commencé à descendre. Les parents se pressaient contre le bus pour voir leurs enfants, il y avait des cris, des appels et des pleurs de soulagement, des embrassades… Je me tenais un peu à l’écart de toute cette agitation, en retrait, Lenka dans mes bras comme un bébé, elle avait sa tête et ses pattes sur mon épaule.

Enfin, lorsque tous les élèves eurent quitté le bus, je vis sortir Clément. Il portait une minerve, et descendit les marches avec précautions. Le principal se rendit à sa rencontre et je les vis échanger quelques mots, il fit un geste dans ma direction et Clément suivit son bras du regard.

J’étais immobile, incapable de bouger. Je le regardai s’avancer et il s’arrêta enfin devant moi.

« Lou… » dit-il dans un souffle.

J’aurais voulu l’embrasser, lui rouler un patin monstrueux pour compenser la séparation et l’inquiétude, sauter à son cou et enrouler mes jambes autour de sa taille, je voulais ne faire plus qu’un avec lui… Impossible, pas devant les collégiens, pas alors qu’il semblait avoir des difficultés à simplement marcher. Clément a posé ses mains sur mes joues, il ne pouvait même pas baisser la tête pour m’embrasser à cause de la minerve qu’il avait autour du cou. Nos yeux s’étaient accrochés et je ne pouvais plus le quitter du regard. J’avais peur qu’il disparaisse si je clignais des paupières.

« Tu vas bien ? » ai-je finalement demandé. Ma voix a trahi mon inquiétude que je tentais de lui cacher.

« Ça va, ma belle, je te promets que je vais bien. »

Il s’est penché avec précautions et a embrassé mon front avant de reculer un peu pour me regarder à nouveau.

« Je me suis tellement inquiétée, j’ai essayé de t’appeler, depuis ce midi… » Je me détestais de lui reprocher ça, ce n’était même pas vraiment un reproche d’ailleurs, ça sortait tout seul, et pourtant il fallait que je le dise…

« Merde, Lou… » Il l’avait dit dans un murmuré navré, la bouche tordue par une grimace. « Je suis désolé, princesse, tellement désolé… J’étais en train de t’écrire un message quand le bus a quitté la route, et avec le choc j’ai lâché mon portable. Je l’ai perdu, je ne pouvais pas te joindre. Il a dû exploser en tombant dans le bus, sous les sièges… J’ai tenu le coup en me disant que tu ne savais pas, que tu ne t’inquiéterais pas… Comment t’as su ? »

Je lui racontai, la radio, Lenka…

On parlait à mi-voix, toujours accrochés par les yeux, la chienne dans mes bras, entre nous, qui se débattait en tentant de sauter dans ceux de Clément. On était comme dans une bulle, et je n’ai pas vu les regards un peu curieux des collégiens, ni entendu les murmures qui disaient « c’est la copine du prof de sport ! ».

Je ne me souviens plus vraiment comment on est rentrés chez moi. Comme il avait mal aux cervicales – il ne disait rien, mais je le voyais grimacer à chaque mouvement – j’ai appelé Gauthier. Clément ne voulait pas entendre parler de médecin ou de retourner à l’hôpital, alors je ne lui ai pas laissé le choix, j’ai appelé Gauthier. Ce dernier est arrivé dès sa journée de travail achevée, et je me suis sentie rassurée par sa présence. Il n’était que kiné, pas médecin, mais il savait lire une radio, au moins… c’est d’ailleurs la première chose qu’il m’a demandée : les radios de Clément. Avant de me suggérer gentiment de sortir le chien. Une façon diplomate de me mettre à la porte de chez moi…

J’ai trainé un peu dans le quartier, en surveillant mon téléphone. Lenka n’avait qu’une envie : rentrer se coucher, et moi : rentrer voir Clément. Je me suis assise sur le banc qui trônait au milieu de la pelouse bordant le parking de mon immeuble, et j’ai attendu en me rongeant les ongles.

Et finalement, Gauthier est venu d’asseoir près de moi. Il a passé un bras autour de mes épaules.

« Ça va aller, Louloute, t’en fais pas. Il est costaud, ton Clément. Il faut juste qu’il se tienne à carreau, et là je compte sur toi pour le surveiller. Il porte sa minerve pendant les quatre jours prescrits par le médecin, il se repose, et il va direct aux urgences s’il a vraiment mal. S’il est raisonnable, il n’aura pas de séquelles… »

Gauthier me lança un sourire narquois, je savais bien ce qu’il pensait : on était pareils, Clément et moi, incapables de tenir en place, même blessés…

« Je ne déconne pas, Louloute. Déjà pour les oreillons, il a joué au con, mais là c’est sérieux, c’est la colonne qui en a pris un coup !

_ Je sais Gauthier. Je l’attacherai au lit, s’il refuse de m’écouter.

_ Oh, à ce propos : pas de sexe, hein. »

La relation entre sexe et être attaché au lit me fit marrer, mais il était sérieux ! Zut…

Clément n’était pas un malade facile, il ronchonnait pour un rien, me reprochait de l’étouffer, mais si je m’enfermais dans mon bureau pour travailler ou que je sortais Lenka, il trouvait le temps long et s’ennuyait. Et pour couronner le tout, je n’avais même pas la télé… Au bout de deux jours déjà, j’étais à deux doigts de l’attacher pour de bon, comme j’en avais parlé à Gauthier…

J’ai dû respirer profondément pour ne pas me mettre à hurler, en lui répétant pour la cinquantième fois les consignes du médecin - et du kiné. Et on voudrait que je fasse des gosses ? Au secours…

Au bout du compte, après des négociations dignes d’un souk égyptien, il a accepté de se tenir tranquille, à condition que je l’emmène chez lui récupérer des affaires. J’y étais allée rapidement le soir de son arrivée, lui prendre quelques fringues puisque son sac à dos était resté dans la soute du bus accidenté. La compagnie de transport devait rapatrier les effets personnels des voyageurs dans quelques jours, une fois que le car aurait été remonté sur la terre ferme.

Chez lui, Clément a entassé dans un sac de sport quelques habits supplémentaires et de quoi s’occuper pendant les deux jours de repos forcé qui lui restaient à tirer.

De retour chez moi, il s’est assis à la table de la cuisine et a commencé par se rouler un joint. OK, c’est donc ça qui était rangé au fond du placard… M’asseyant face à lui, je l’ai regardé faire. J’aimais bien, il était précis et appliqué. C’est débile, mais je trouvais ça émouvant, aussi, lorsque le bout de sa langue sortait juste un peu, pour mouiller le papier avant de former le pétard.

Il l’a allumé aussitôt, et a tiré dessus une longue bouffée qu’il a gardée longtemps avant de recracher la fumée, les yeux fermés. On a partagé le joint, comme souvent, et après on était beaucoup plus zen. Plus question de s’engueuler…

J’ai dû tout de même avoir un drôle de regard, parce que Clément a souri en coin : « T’inquiète pas, princesse, j’suis pas accro. J’aime bien l’effet, et là j’avais besoin de me détendre, c’est tout… »

Je le savais. Il n’avait pas emmené son herbe pour le voyage scolaire, il pouvait très bien s’en passer. Et heureusement, le bus allait sans doute être fouillé par la police pour trouver le pourquoi du comment de l’accident, retrouver des feuilles de cannabis séchées dans le sac du prof, ça la fout mal ! D’ailleurs, Clément ne fumait jamais avant de conduire, ni la semaine en général.

***

« Merde, Lou, tu veux ma mort, ou quoi ? » gémit Clément. Je m’arrêtai au milieu de la pièce, nue. Je sortais juste de la douche, et j’allais chercher mes vêtements dans le placard. Un coup d’œil à son entrejambe me fit comprendre l’étendue du problème : il bandait sévèrement.

« J’ai grave envie de toi, princesse… » murmura-t-il en tendant le bras pour m’attirer près de lui.

« Clément, tu sais ce que…

_ J’m’en fous, de Gauthier ! On voit bien que c’est pas lui qui dort sur la béquille… Lou, s’te plait… je m’allonge et je bouge pas, c’est toi qui fais tout ? »

J’ai capitulé en souriant, et me suis assise sur ses genoux, collant mon intimité sur son boxer déformé par l’érection, me dandinant un peu sur lui, embrassant ses épaules, sa mâchoire. Entravé par sa minerve, il ne pouvait pas plier la nuque pour m’embrasser. J’ai dû me redresser pour pouvoir poser mes lèvres sur les siennes, mêler nos souffles et nos langues.

Allongé sur le dos, bien au milieu du lit, avec interdiction formelle de bouger, Clément m’a laissée m’asseoir sur lui, et je l’ai regardé : « Interdiction de bouger, hein ? »

Il a promis, les yeux suppliants, et tenu parole. Il m’a laissée lui faire l’amour comme je l’entendais, je l’ai parfois fait languir, ralentissant mes mouvements au point de m’arrêter, pour mieux accélérer après…

« T’es belle Louise… t’es tellement belle, quand tu prends ton pied… Mmmmhh… » La fin de sa phrase s’est perdue dans sa jouissance, yeux fermés, ses doigts serrés sur mes hanches qu’il maintenait contre lui. Son corps était parcouru de soubresauts, et il n’avait pas fini de jouir que c’était mon tour. Puis je suis retombée sur lui, nos corps toujours liés. J’ai fait attention de ne pas lui faire mal, mais il ne fallait pas m’en demander plus…

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