Chapitre 33

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Si mon père fut étonné de me voir débarquer, il n’en montra rien. Marité n’était pas là, ils ne vivaient pas ensemble à demeure, préférant se garder des jours seuls, pour mieux profiter des moments ensemble. J’avais emmené de quoi dessiner, et on a travaillé chacun de notre côté une partie de la matinée, avant de se retrouver pour manger.

« Tu es bien silencieuse, ma fille… Des soucis ?

_ Mmm, non, pas vraiment… Des questions, plutôt… »

Pas plus bavard que moi, il me laissait venir à mon rythme.

« Clément… » Je m’arrêtai, ne sachant pas trop comment lui exposer les choses et mes interrogations ; il embraya directement, ayant visiblement mal compris mon hésitation :

« Hum… je ne l’ai jamais aimé, de toute façon, Clément…

_ … » Trop choquée pour répondre, j’en perdis ma mâchoire inférieure.

« Tu mérites mieux, Louise. Paul, au moins…

_ Paul m’a quittée, Papa. Et ça va très bien avec Clément. Mais je suis ravie de savoir à quel point mon bonheur compte à tes yeux. Bordel, je préférais encore quand tu captais que dalle à ma vie, et que tu venais juste nous voir pour signer mon bulletin scolaire ! »

Je quittai la table en renversant ma chaise, sans prendre la peine de la relever, et ramassai mes affaires au passage. Je partis sans un regard en arrière, sourde aux appels de mon père qui tenta mollement de me retenir.

Je bouillais littéralement dans ma voiture en reprenant la route de Clermont. Je ne pouvais pas rentrer chez moi dans cet état, Nico et Meaza s’y trouvaient et ne manqueraient pas de s’étonner de mon retour précipité.

J’hésitai un moment à aller marcher au parc Montjuzet, où j’avais passé tant de bons moments avec Attila. Ou alors, à appeler Gauthier. Mais si je ne voulais pas déranger mes frères et leurs chéries avec mes états d’âme, restons logique, je ne pouvais pas les imposer à Gauthier qui avait bien le droit de manger tranquille avec son mec…

Il était temps de grandir et de faire face. Je pris donc le chemin du studio de Clément.

« Louise ! Mais… t’étais pas chez ton père ? »

Je hochai la tête, pas vraiment loquace, et il m’enlaça rapidement, avant de me proposer de manger avec lui. Tandis qu’il sortait un couvert supplémentaire, je posai mes affaires et donnai une caresse à Lenka qui tentait de sauter dans mes bras.

« Alors ? Qu’est-ce qui se passe ? » demanda tranquillement Clément en me servant une louche de pâtes. Il poussa vers moi le fromage râpé, coupa un morceau de son steak qu’il mit d’office dans mon assiette. Je n’avais même pas envie de protester, pour la viande, ce qui lui confirma que ça n’allait pas.

« Princesse ?

_ … Mon père ne t’aime pas. »

Il pouffa de rire : « C’est pas nouveau ! Allez, mange, ça va refroidir… C’est vrai, tu savais pas ? Ça fait quinze ans que ça dure, et ça m’empêche pas vraiment de dormir, tu sais… »

Moi, je tombais des nues. Et ça me contrariait.

« Allez, ma belle… C’est si important, pour toi ?

_ Je sais pas… peut-être pas, après tout…

_ Y’a pas que ça, hein ? »

Il me connaissait trop bien…

Je chipotais dans mon assiette, coupant le minuscule morceau de viande en quarante au moins, pour un peu ça ferait du steak haché… Et je finis par confier à Clément tous mes doutes et mes interrogations.

« ... et je me sens coincée, tu vois, parce que j’ai dit à Nico que je lui laisserais l’appartement, et…

_ Arrête de te faire des nœuds au cerveau, Louise. » me rassura-t-il tendrement. « Si tu changes d’avis, ton frère comprendra. Il est incapable de t’en vouloir… Et je n’ai pas l’intention de te forcer à vivre avec moi si vraiment tu ne veux pas. »

En entendant ça, je me suis sentie soulagée. Un mélange de soulagement et de déception, en fait… bizarre, comme sensation…

« Tu veux y retourner ? Merde, j’avais pas vu l’heure ! Il faut que j’aille bosser, je vais être à la bourre ! Ecoute… Voilà les clés du chalet. Tu peux y aller, si tu veux. Tu te souviens de la route ? Prends ton temps, et si tu es encore là-bas ce soir, je peux t’y rejoindre, OK ? Ah ! Et si tu veux emmener Lenka, ça lui ferait du bien de prendre l’air… »

Après son départ précipité, je rangeai la cuisine, puis je mis sa laisse à Lenka et sortis en prenant le trousseau qu’il avait laissé sur le coin de la table. Je n’allai pas directement au chalet, mais décidai de m’arrêter au village, avant. Lenka en laisse, je me baladai au hasard des rues, passai devant la mairie, l’école, quelques commerces. Les façades étaient typiques de la région : en grosses pierres noires, de la roche volcanique. C’était calme, la plupart des volets étaient tirés pour garder la fraicheur dans les maisons. Moi, dehors, je me sentais écrasée par le soleil de juin. La Sioule, qui traversait le village, arriva à point nommé pour apporter un peu de fraicheur, et j’ai dû retenir Lenka, sans quoi elle plongeait pour se rafraichir !

Ensuite, j’ai repris ma voiture, et j’ai cherché la route prise par Clément la veille. Sans trop de mal – j’avais dû être plus attentive que je ne le pensais – je retrouvai le chemin forestier, et la barrière vermoulue devant laquelle je me stationnai. Dans le sous-bois, la chaleur était bien plus supportable. Une légère brise agitait les feuilles au-dessus de nous et transportait des odeurs agréables. Ça sentait l’été, la forêt.

Je pris mon temps pour visiter le chalet, m’asseyant dans un fauteuil après en avoir ôté la housse, m’imprégnant de l’ambiance et des couleurs, de la lumière dans les différentes pièces… Lenka elle aussi furetait dans la maison. Puis je sortis dans le parc. Clément ne m’avait pas montré les extérieurs.

Il y avait, un peu en contrebas, dans une sorte de petite cuvette un peu plus fraiche, un potager en friche. Un rang de framboisiers croulant sous les fruits, des fraisiers disparaissant sous les mauvaises herbes, çà et là quelques plants de légumes retournés à l’état sauvage.

Je flânai dans le bois qui entourait le jardin, jusqu’à une clôture faite de poteaux vermoulus et de barbelé rouillé : la limite de la propriété. Je la suivis un petit moment, marchant dans l’humus, surveillant Lenka qui bondissait dans tous les sens et entortillait sa laisse autour des arbres. Puis je regagnai le soleil. Sortant du couvert des arbres, je me trouvai comme éblouie par la lumière, et frappée par la beauté sauvage des lieux. De mon sac à dos, je sortis mon appareil photo pour faire quelques clichés. Le chalet, un arbre biscornu en lisière de forêt. Lenka, sautant après mes jambes…

Au milieu de la prairie, quelques arbres, vestiges d’un verger. L’un d’eux ressemblait assez à un parasol, et en m’approchant pour étaler dessous ma couverture, je vis qu’il s’agissait d’un pommier. Je m’installai à l’ombre pour dessiner, Lenka attachée au tronc. Elle commença par s’agiter dans tous les sens, puis finit par se calmer et se coucher près de moi pour une petite sieste. Elle m’épuisait, parfois...

Jamais je n’avais été obligée d’attacher Attila, il se couchait près de moi et ne bougeait plus. Et lorsqu’il avait des fourmis dans les pattes, il ne se sauvait pas sans demander son reste, comme elle, mais me faisait comprendre qu’il avait besoin de bouger. J’évitais ordinairement de comparer Lenka à Attila, mais là, la différence était frappante. Et ça m’agaçait. Comment travailler en paix, avec un machin monté sur ressorts à mes côtés, qui n’arrêtait pas de sauter partout ? Quand on allait marcher avec Clément on était obligés de la tenir en laisse, sinon elle disparaissait en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, et on pouvait bien se casser la voix à la rappeler, elle s’en fichait comme de sa première croquette…

En soupirant, je me remis à mon dessin. Puis j’ai pris d’autres photos, et somnolé parfois, tout le reste de l’après-midi. J’étais bien. Vraiment bien. L’endroit était paisible. On entendait parfois au loin passer une voiture sur la route, mais ça n’avait rien à voir avec la circulation de Clermont, le trafic sous ma fenêtre même si je vivais dans un quartier calme.

Vers 18 heures, j’entendis une voiture, toute proche. Lenka se mit à l’arrêt, et tira sur sa laisse au point de s’étrangler. Je la pris par la peau du cou pour la garder près de moi, et quelque instant plus tard je vis sur le sentier près du chalet la silhouette de Clément. Aussitôt que je lâchai la chienne, elle fila vers lui ventre à terre. De loin, je la vis lui sauter autour, réclamant son attention, puis l’escorter jusqu’à moi.

« Salut princesse. Tu n’as pas eu de mal à trouver ? » demanda-t-il en s’asseyant près de moi. Je me suis coulée dans ses bras le temps d'un linglong baiser, puis il a demandé à voir mes dessins. Je lui montrai aussi mes photos, et comme j’avais l’appareil en mains je fis quelques clichés supplémentaires. Lui, principalement. Lui, les yeux dans le vague, perdu dans la contemplation du ciel. Lui, qui jouait avec Lenka. Lui, me regardant avec tant d’amour que d’un coup mon cœur battit plus fort dans ma poitrine. Cette intensité dans son regard me touchait plus que je ne voulais bien avouer, et je me perdis dans les réglages de mon réflex, pour cacher mon trouble…

Le soleil avait tourné, nous n’étions plus à l’ombre depuis un petit bout de temps, mais la chaleur était moins forte. Nous sommes restés là un long moment, nous avons même mangé : Clément avait amené le pique-nique. Après le repas, on a secoué la couverture et Clément m’a demandé les clés du chalet.

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