Chapitre 48

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Fin août 2017

Clément a lutté quelques jours contre son vague à l’âme avant de prendre les choses en main, et un soir il m’a dit : « J’ai trouvé des billets d’avion pas trop cher pour l’Islande, ça te dit une randonnée sous le soleil de minuit ? »

Je n’avais jamais pris l’avion, et je n’avais qu’une vague conscience de la situation géographique de l’Islande – quelque part très loin du côté du cercle polaire – mais j’ai dit oui. Après m’être assurée de certains détails, pour lesquels il avait tout prévu : Nico et Meaza étaient d’accord pour garder Lenka et nous emmener à l’aéroport de Lyon. On a préparé nos affaires en quatrième vitesse et donné les consignes à mon frère pour la chienne et le jardin.

Assise près du hublot, je gigotais dans mon siège, un peu nerveuse. Le décollage m’avait surprise par la force qui me collait au dossier de mon siège, et maintenant je me sentais vraiment toute petite dans cette boite en fer qui volait au-dessus de l’océan. A côté de moi, Clément au contraire était très calme. Serein. Et ça n’était pas un masque pour me rassurer, comme ces derniers jours. Il allait bien.

Il me regardait en souriant tendrement, et lorsqu’il prit ma main dans la sienne, je me rendis compte que j’agrippais l’accoudoir entre nous avec tellement de force que j’allais finir par y imprimer la trace de mes doigts.

« Chhht, détends-toi, Lou… » murmura-t-il « Tout va bien. »

Je fermai les yeux en appuyant ma tête contre mon dossier, et lui donnai mes mains comme il me demandait. A moitié tourné vers moi, il caressait mes doigts, massait mes paumes, et je me décontractai petit à petit.

Le vol était rapide, un peu plus de trois heures, et nous avons atterri en début d’après-midi.

On a récupéré nos sacs à dos sur des tapis roulants, et j’ai suivi Clément jusqu’à la sortie. Sur le parking, j’ai été frappée par une sculpture, je suis restée à la regarder un bon moment, intriguée par sa signification. Un œuf de dinosaure sur un tas de cailloux ? J’ai fait part de mon interprétation à Clément, qui s’est bidonné.

« Non, je crois que c’est une graine en train de germer.

_ Ah, c’est pas la griffe du bébé dinosaure, alors, le truc pointu là… »

J’aimais le faire rire, surtout ces jours-ci, et là j’avais réussi mon coup. Il m’a attirée contre lui d’un geste de son grand bras, et embrassée avant de m’entrainer vers un bus qui nous a fait traverser pendant une grosse demi-heure une étendue désertique, absolument inhabitée. Les seules traces de vie, en-dehors des autres véhicules sur la route, étaient des moutons et quelques chevaux, dans de rares prés bien verts. Le reste du paysage était noir, gris, triste. Déprimant. Si c’était ça, l’Islande…

Je n’ai rien dit, laissant Clément à son bonheur, et le bus nous a finalement déposés au centre-ville de Reykjavik, la capitale.

Clément était très assuré, comme s’il savait exactement où on allait. Comme toujours, en fait ; Clément avait un GPS à la place du cerveau. Mais quand même…

« Tu es déjà venu ?

_ Ouais, avec mon ex. Tout ce qui l’intéressait, c’était de voir le geyser, les cascades, et de se baigner au Blue Lagoon. Même pas pu faire une balade sympa… »

Du peu que je savais d'elle, j’imaginais une sorte de sosie de Julia : vraiment pas la fille qui serait partie à l’aventure avec un sac à dos, plutôt le genre valise à roulettes et talons hauts…

« J’ai toujours eu envie de revenir, et d’en profiter vraiment. Et je suis heureux de partager ça avec toi.

_ Moi aussi. Oh, regarde ! » Je pointai du doigt un bâtiment qui apparaissait au loin : une sorte de haute tour grise, qui dominait la ville.

« Oui, c’est là qu’on va : Hallgrimskírkja, c’est une église. J’espère qu’on pourra la visiter. »

L’édifice était impressionnant, en béton gris pâle, son architecture imitant d’après Clément les orgues basaltiques qui faisaient la fierté des Islandais. Moi, ce terme me rappelait surtout les cours de géologie au lycée…

Le clocher était encadré par deux ailes bien plus basses, sur les côtés, qui lui donnaient un peu l’air d’une fusée prête à décoller. A l’intérieur, c’était très clair, les murs et la voûte étaient blancs, nus, les vitraux également, qui apportaient une grande luminosité. Les Islandais étant majoritairement protestants, l’église était dépourvue des statues, sculptures, peintures et autres dorures qui encombrent nos églises catholiques. Au contraire, tout était sobre et très simple, presque austère. Reposant. Je me suis assise sur le banc du fond, et j’ai sorti mon carnet à dessin, un tout neuf que j’avais emmené exprès. Quelques croquis rapides, des esquisses pour garder en mémoire la forme monumentale du bâtiment, sa force.

Clément m’a regardée faire, puis on est montés en haut du clocher. De là, la vue était magnifique, la mer, les montagnes au loin, et à nos pieds la ville avec ses petites maisons très colorées : rouges, jaunes, bleues, blanches, et même certaines vert fluo !

Une fois redescendus sur la terre ferme, on s’est baladés dans les rues, on a fait les touristes jusqu’à l’heure du diner, pris dans un petit restaurant de cuisine traditionnelle islandaise. On a choisi la spécialité de la maison : une assiette découverte, avec de l’agneau, du poisson, du haggis… Clément m’avait prévenue : je ne pourrais pas trop jouer la fille végétarienne ici, au pays du hareng et du mouton… Je dois dire que je mangeais assez peu de poisson en règle générale, donc ça changeait, et il faut bien admettre que jamais je ne m’étais autant régalée avec de l’agneau. Et même le haggis, la panse de brebis farcie, que je m’attendais à ne pas aimer… en fait c’était plutôt bon ! Le tout était accompagné de crudités : salade, tomates, et des poivrons doux et sucrés, mûrs comme j’en avais rarement mangé. Mais, comme partout ailleurs en Islande, pas d’assaisonnement dans les légumes.

En sortant du restaurant on a longé le bord de mer, observé une sculpture d’aluminium représentant un drakkar, et finalement on est arrivés à l’hôtel où Clément avait réservé une chambre pour cette nuit.

« Ouais… c’est pour les nains célibataires, ici, ou quoi ? » a-t-il dit en entrant dans la chambre. De fait, elle n’était pas bien grande, et meublée de… deux lits une personne. Il n’avait pas eu l’embarras du choix pour l’hôtel, je le savais. Mais là quand même… On s’est regardés, un peu dépités, et on a fini par se coucher… à deux dans le même lit. On avait bien pensé rapprocher les deux, mais il n’y avait pas la place de les manœuvrer, entre l’armoire et le meuble de chevet qui les séparait. On a donc fait contre mauvaise fortune bon cœur, et on s’est serrés l’un contre l’autre dans le petit lit prévu pour une seule personne.

Au réveil, on était d’accord : « Vivement ce soir, la tente et nos duvets c’est plus confortable ! »

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