Chapitre 54

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Début octobre 2017

Je me demandais ce que je fichais là. J’avais la vague impression de m’être fait avoir, ou d’être sur le point de me faire avoir… A mon corps défendant, j’avais accepté d’accompagner Céline qui allait rendre visite au chien de son grand-père. Une longue histoire, son aïeul avait été placé dans un EHPAD suite à un AVC, et le chien se retrouvait en pension dans un chenil, dans l’attente d’une adoption. Quand elle nous en avait parlé, le jour du mariage de Nico et Meaza, mon premier mouvement avait été de refuser tout net. Mais Clément m’avait persuadée d’aller le voir, au moins, juste pour ne pas regretter plus tard. J’avais accepté pour ne pas faire la gamine bornée que j’avais été pendant si longtemps, mais je regrettais un peu.

Et j’ai beaucoup regretté lorsque j’ai vu cet alignement d’enclos grillagés, entendu les aboiements des chiens excités par notre arrivée ; j’ai encore plus regretté lorsque j’ai vu ce gros chien noir dans sa cellule bétonnée. Je savais que je ne pourrais pas repartir en le laissant dans cette prison, même si c’était une prison trois étoiles.

Après une promenade avec Jaguar – quel nom pour un chien, même noir ! – lorsque nous sommes revenus au chenil, j’ai regardé Céline qui n’osait rien dire, rien demander.

« OK, il est adorable. Et ça a l’air de plutôt coller avec Lenka. » Elle m’a regardée, sans oser y croire. J’ai soupiré. « Comment tu veux que je le laisse ici, maintenant ? » Je faisais la grognon, mais au fond j’étais attendrie par ce bon gros toutou, et je n’arrivais pas à le cacher…

On a regardé les deux chiens à nos pieds, Jaguar couché, la tête posée sur ses pattes, et Lenka face à lui qui tentait d’attirer son attention par tous les moyens. Jaguar était un grand chien, il faisait bien soixante ou soixante-dix centimètres au garrot, il avait un poil noir très dru, pas très long mais épais, et une bonne grosse tête très carrée avec une énorme moustache, des oreilles tombantes et une grande queue qui battait la mesure quand il était content.

Lorsque Céline a annoncé au propriétaire du chenil qu’on partait avec Jaguar, il a affiché un grand sourire. « Enfin ! Il est adorable, ce chien, ça me faisait mal au cœur de le garder là depuis tout ce temps… Certains soirs, je l’emmène à la maison pour ne pas le laisser tout seul… » Du coup, il nous a aidées à réunir les affaires du chien et à les charger dans le fourgon. Le chien a sauté à l’intérieur et s’est couché sur son lit.

Clément travaillait, je l’avais déposé devant le collège en partant en début d’après-midi ; de toute façon, il ne voulait pas venir avec moi, pour éviter de m’influencer. Lorsque j’ai coupé le contact du van dans le garage sous le chalet, il était là pour nous accueillir. Lenka sauta hors du fourgon à peine la portière ouverte, et je descendis plus calmement.

« Salut ma belle, ça s’est bien passé ?

_ Oui. » ai-je souri en l’embrassant. Puis je me dirigeai vers la porte arrière pour l’ouvrir. Le chien se tenait debout dans le van, et nous regardait.

« Clément, je te présente Jaguar.

_ Salut mon pote ! Va falloir faire quelque chose à propos de ton nom, mais t’as une bonne tête, dis-donc… » fit Clément en tendant la main vers lui. Le chien se laissa caresser, quémandant toujours plus de gratouilles et d’attention. Pas farouche, celui-là ! Lenka était un peu jalouse, elle nous tournait autour en battant de la queue, nous sautait après, mais sans se montrer désagréable envers le nouveau venu.

On a installé le lit de Jaguar dans le salon, près de la panière de Lenka, et posé les grosses gamelles dans la cuisine à côté des petites. Les chiens nous suivaient et surveillaient les opérations. Le grand noir calme, et la petite blanche et marron tout excitée.

Céline m’avait donné une enveloppe contenant les papiers de Jaguar, et Clément m’annonça qu’il allait les ranger avec ceux de Lenka. Il s’éloigna en direction du bureau tout en feuilletant le carnet de santé pour s’assurer que les vaccins étaient à jour, Céline m’avait dit que oui mais je n’avais pas vérifié. De toute façon, on l’emmènerait voir le docteur Ducroc en même temps que Lenka, à la première occasion.

« Eh, mais c’est pas Jaguar, en fait, son nom ! Regarde. » me dit Clément en revenant. En effet, sur la carte d’identification, il était nommé Jagger. Et il était de race Schnauzer géant. Je n’avais jamais entendu parler de ces chiens…

« Jagger ! eh mon pote ! Jagger ! » Le chien leva la tête à l’écoute de son nom, mais guère plus que quand on l’appelait Jaguar.

« J’ai invité Céline et Martin à manger vendredi, histoire qu’on fasse les papiers et qu’elle voit qu’il va bien. On lui demandera à ce moment-là… » suggérai-je. Je n’avais pas prévu de ramener le chien aujourd’hui, à la base on devait « aller le voir », et puis… voilà, j’avais craqué ! Je n’avais pas eu le cœur de faire attendre le chien deux ou trois jours de plus au chenil, alors que ma décision était prise. Mais rien n’était prêt, et elle devait nous donner une attestation de cession qu’elle n’avait pas sur elle.

En attendant la fin de la semaine, on a appris à vivre tous les quatre. Jaguar-Jagger, on l’appelait indifféremment d’une façon ou de l’autre, s’est révélé être le bon gros toutou qu’il semblait être. Lenka avait clairement le dessus sur lui, et heureusement car vue leur différence de taille, s’il avait été dominant ç’aurait été un carnage ! Il la laissait faire la loi, sauf pour la gamelle, faut pas déconner quand même. C’est la seule fois où je l’entendis grogner en trois jour : quand le microbe tenta de lui piquer ses croquettes.

Le vendredi soir, comme convenu, Martin et Céline sont venus manger chez nous.

Jagger les a accueillis d’un gros aboiement rauque, ce qui a fait rire Céline : « Ça y est, il s’est adapté on dirait, il garde déjà la maison ! »

On s’est occupées des papiers tout de suite, pendant que les gars servaient l’apéro, et quand on les a rejoints dans le salon où nos verres nous attendaient, Clément lui a demandé des éclaircissements pour le nom du chien. Elle a pouffé de rire : « Oui, mon grand-père et le rock, c’est pas trop ça… Il n’a jamais su prononcer Jagger correctement, et il l’a francisé en Jaguar, mais je suis d’accord avec toi c’est nul !

_ On peut l’appeler Jagger, alors ?

_ Oui oui, pas de problème, je ne t’en voudrai pas ! Comment ça se passe, alors ?

_ Super bien. » a répondu Clément, avant de se tourner vers moi : « Mais c’est surtout à Louise qu’il faut demander, c’est elle qui est là toute la journée, moi je ne l’ai vu que le soir pour le moment…

_ Ben oui, ça se passe bien. » Ils me regardaient tous. En même temps, on avait signé les papiers pour l’adoption du chien, c’est qu’il n’y avait pas de problème ! « Il est gentil comme tout, il s’entend bien avec Lenka, et ils n’ont même pas essayé de labourer le potager. Ni de se sauver. Lenka toute seule, on ne pouvait pas la laisser cinq minutes sans surveillance dans le jardin, mais les deux ensemble, pas de soucis. »

En attendant, ils étaient tous les deux assis à nos pieds, dans l’espoir qu’on ferait malencontreusement tomber un ou deux biscuits salés ou une rondelle de saucisson sec…

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