Chapitre 55

4 minutes de lecture

Les deux chiens faisaient vraiment bon ménage, et au bout de quelques jours on a mis à la poubelle le panier de Lenka, qui n’aurait pas duré trois mois : elle dormait systématiquement avec Jagger, garder ce panier en osier tout abimé n’avait aucun sens. Ils étaient mignons, tous les deux, blottis l’un contre l’autre. Lorsque je dessinais dans mon atelier, ils se couchaient ou s’asseyaient sur le pas de la porte pour me regarder faire, comme Attila l’avait fait si souvent. Quand je cuisinais, ils étaient tout le temps dans mes jambes, à attendre que je fasse tomber quelque chose de comestible, et si j’allais dans le jardin ils me suivaient et en profitaient pour se défouler. Le soir, on allait souvent tous les trois chercher Clément au collège. On rentrait à pied, tenant chacun un chien en laisse, en discutant. Ça me faisait du bien de marcher, et aux chiens aussi.

« Lou ? Je suis rentré ! Princesse, t’es où ? »

L’appel de Clément me fit relever le nez de mon bloc à dessin. J’avais totalement perdu la notion du temps.

« Ici ! Dans le bois ! »

Je le voyais déjà avancer dans ma direction, guidé par Lenka qui était allée à sa rencontre et revenait ventre à terre. Jagger, lui, n’avait pas quitté le pied de l’arbre dans lequel j’étais montée. Le temps que je range mon carnet et mes crayons dans mon sac à dos, Clément était assis près de moi sur la plateforme de bois fixée sur la fourche du grand frêne.

« Elle est chouette, hein, ma cabane ? C’est le premier truc que j’ai réparé quand je suis revenu dans la région. » dit-il en posant un baiser sur mes lèvres. « Je ne savais pas que tu y venais.

_ Parfois, l’après-midi… On est bien, pour lire ou dessiner.

_ Ouep. Mon oncle m’a aidé à la construire quand j’avais douze ou treize ans. Au début, c’était juste un moyen d’occuper mes vacances, ce projet de cabane. Et puis au final, j’ai adoré passer du temps ici… Quand j’étais ado, j’y restais des heures, avec de la poésie… Le nez dans un bouquin, la tête dans les nuages… »

Le regard perdu au loin, dans le vert du feuillage des arbres environnants, il revivait son passé. Pas longtemps, quelques instants.

Le terme de cabane était un peu grandiloquent, pour cette simple plateforme fixée dans les branches de l’arbre, sans toit, sans échelle ni rien de confortable ou de sécurisant, mais c’était encore plus agréable comme ça. La première fois que j’y étais montée, intriguée par ces planches que je devinais depuis le sol, quatre mètres plus bas, j’avais eu l’impression de survoler la forêt, un peu comme sur un tapis volant. La brise agitait les branches et les feuilles tout autour, et j’étais seule au monde là-haut. L’ascension n’était pas évidente, il fallait se servir des branches et des nœuds dans le tronc, et si Clément y arrivait les doigts dans le nez, mes bras et mes jambes n’avaient pas la longueur des siens… Mais au bout de quelques fois, j’ai fini par trouver mes marques, et j’apportais maintenant dans un sac un coussin pour m’installer confortablement, une bouteille d’eau, quelques fruits à grignoter, et de quoi dessiner. Les chiens attendaient sagement, au pied de l’arbre, que je décide de redescendre. Je ne pourrais plus le faire très longuement, pourtant : c'était déjà le mois d'octobre, et s’il y avait encore de belles journées il faisait moins chaud, même en plein après-midi.

Niveau boulot, j’étais toujours sur l’illustration des documentaires de Stéphanie, notre éditeur était content des ventes, on continuait donc sur notre lancée. Et en parallèle, je bossais sur mes propres projets. Sans compter qu’il m’avait demandé de réfléchir à un calendrier, ou des cartes de vœux, pour la nouvelle année. Je devais lui proposer un projet, il me dirait ce qu’il en pensait. La difficulté étant de piocher dans tous les livres édités par la maison, pas seulement les miens : le but était de valoriser le plus de titres possible. J’avais des idées pour la mise en page, je bossais activement pour lui présenter ça à la prochaine réunion.

Au sol, Lenka a commencé à aboyer, elle s’impatientait.

« Lenka, silence ! » Elle se tut et Clément me regarda, étonné.

« Ben quoi ? Tu crois qu’ils n’ont jamais essayé de me faire descendre ? Je ne peux pas travailler s’ils font le bazar en bas, moi ! » Les premières fois, je passais mon temps à les faire taire – elle surtout, Jagger était plus calme – mais au final, elle avait compris que ça ne servait à rien de s’énerver, que je descendrais quand j’en aurais envie.

On a fini par quitter la plateforme, après un dernier regard sur la canopée verte et mouvante, et sur les puys qu’on voyait au loin. Les chiens nous ont fait la fête, et on a regagné la maison tous les quatre.

« Au fait, Lou, tu pourras t’occuper des cartons qui restent dans le bureau ? C’est des trucs à toi dedans.

_ Ah bon ? Il me reste des choses à déballer ? J’avais l’impression d’avoir tout récupéré, pourtant… »

Si ça ne m’avait pas manqué depuis trois mois, ça ne devait pas être bien important… mais j’ai promis de m’en occuper.

Annotations

Vous aimez lire Miss Marple ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0