Chapitre 57

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Octobre 2017

Quand je rentrai à la maison en fin d’après-midi, après avoir passé la journée avec mon père, j’étais apaisée. On avait longuement parlé de ma mère, chose qu’on n’avait jamais faite avant. Adolescente, j’étais trop sauvage, trop en colère contre tout le monde, et contre lui en particulier qui m’avait abandonnée avec ma mère - du moins l’avais-je vécu ainsi - trop en colère contre elle que je trouvais immature, irresponsable, en un mot indigne, pour vouloir ne serait-ce que parler d’elle.

On avait davantage parlé, en quelques heures, que pendant toute ma vie.

Il était comme ça, mon père, il fallait une urgence ou une catastrophe pour qu’il se décide à lâcher son stylo et ses héros de papier, pour parler avec les humains. Peut-être que je lui ressemblais, en fait…

Contre toute attente, j’étais heureuse de savoir comment mes parents s’étaient rencontrés, comment ma mère s’était occupée de Virgile et Nicolas, les deux mômes orphelins de mère, comment eux l’avaient acceptée, comment j’étais née. Et comment mes parents avaient divorcé, aussi. J’avais enfin abordé avec mon père cet épisode douloureux, que j’avais vécu comme un abandon alors que lui pleurait ma perte tout en remuant ciel et terre pour tenter de me retrouver, harcelé par Mathie qui s’inquiétait pour moi restée aux mains d’une mère déséquilibrée, par mes frères qui réclamaient leur petite sœur.

Ça m’avait fait du bien, d’en parler avec mon père.

Lorsque je garai le fourgon sous le chalet, Clément était déjà rentré, et sans doute depuis un moment. Il vint à ma rencontre, précédé par les chiens. Lenka me sauta dessus, tentant de grimper dans mes bras, tandis que Jagger se collait à ma jambe, manifestant sa joie de me retrouver en balayant l’air de la queue, la gueule en l’air, ouverte, langue pendante. Je leur donnai une caresse à tous les deux, avant de me blottir dans les bras de Clément. Son étreinte se resserra sur moi, et je fermai les yeux, le front posé contre son torse.

« Ça va ?

_ Oui. » Je souris en levant le visage vers lui.

Et ce n’était pas juste pour le rassurer : ça allait, vraiment. J’avais retrouvé des racines que j’ignorais, qui étaient là mais dont je n’avais jamais eu connaissance. Savoir, entendre, que mes parents s’étaient aimés, ça n’avait pas de prix.

Ma décision était prise : cette histoire, j’allais en faire un livre. Je ne savais pas encore comment, ni ce que j’allais raconter exactement, mais je savais que je voulais en parler. Je prendrais le temps d’y réfléchir, je ne voulais pas me précipiter et sortir un truc tout moisi juste pour aborder le sujet, non, je voulais faire ça bien.

Dans les semaines qui suivirent, je continuai à me documenter, lisant des livres sur le sujet, des articles de journaux, des témoignages. Relisant parfois celui de ma mère. Plus qu’un journal, c’était cela : un témoignage, qu’elle m’avait laissé. Comme si elle savait que j’aurais envie, besoin, de le relayer… Puis la solution m’apparut, si simple : j’allais simplement reprendre des extraits de ce qu’elle avait écrit, et les illustrer.

Clément, à qui j’en parlais à longueur de temps, se montrait d’une patience d’ange sur ce sujet. Pourtant, qu’est-ce que j’ai pu le saouler avec cette histoire ! Il accepta de lire le cahier de ma mère, et de m’aider à choisir les extraits les plus intéressants. Puis j’en fis autant avec mon père. En parlant de lui, nos relations s’étaient bien améliorées, et il avait enfin accepté que ma vie et mon bonheur ne sauraient être entiers sans Clément à mes côtés. Je ne me faisais pas d’illusions, ils ne seraient jamais copains comme cochons, mais il le supportait le temps d’un repas en famille, c’était tout ce que je demandais.

Bref, une fois le choix des extraits effectués, je m’attelai à l’illustration, après un lourd travail de documentation. J’y passais des heures, encore plus que d’habitude, travaillant jusque tard dans la nuit, m’arrêtant parfois à peine pour manger.

Lorsqu’enfin je fus contente de moi, et eus récolté les avis favorables de Clément et de mon père, je présentai mon manuscrit à Pierre-Luc. Je revivais le jour où je lui avais montré mon tout premier album, Un loup ! Mais cette fois, le trac était d’un autre genre. Il feuilleta longuement les pages illustrées en noir et blanc, au fusain. J’avais choisi exprès cette technique monochrome pour le côté sombre et triste, tragique.

Relevant enfin les yeux, Pierre-Luc me regarda enfin, en soupirant : « C’est… fort. Mais ça ne va pas se vendre comme les autres, ça…

_ C’est pas une histoire pour les enfants, Pierre-Luc. C’est un témoignage. Si tu n’en veux pas, je le montrerai à quelqu’un d’autre, pas de soucis.

_ Est-ce que j’ai dit une chose pareille ? » Je lui faisais le coup à chaque fois, proposer d’aller voir la concurrence, et ce n’était même pas du chantage, mais lui le prenait comme tel, et à chaque fois il acceptait au bout du compte de me publier. « Bon, je le garde, on en parle en réunion la semaine prochaine, et je te rappelle. »

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