Chapitre 1: Plus rien
Il y avait beaucoup de monde, ils étaient tous habillés en noir, ils la pleuraient tous. Moi, je n'y arrivais pas, je n'y arrivais plus.
J'avais déversé des torrents de larmes pendant près d'une semaine sans jamais m'arrêter et, aujourd'hui, au moment où j'aurais dû lui montrer que je l'aimais plus que tout au monde, plus rien.
J'avais presque honte... presque.
Quatre hommes prirent son cerceuil pour le placer dans sa tombe. Il était lourd. Le poids du savoir.
Je tentai de m'imaginer le corps d'Agathe à l'interieur : d'abord son visage éteint, puis son cou exquis, ses fines épaules, puis ses seins, le léger arrondi de son ventre, son large bassin, et enfin, ses belles jambes. Elle devait être bien triste là-dedans, sans même assez de place pour replier ses jambes sur sa poitrine.
Ma pauvre Agathe, tu n'avait même pas vingt ans, si seulement j'avais eu le temps de tout te dire.
Quelque chose ce coinça dans mon ventre et, une larme dévala ma joue, puis une deuxième, et encore une autre. Je me mis à trembler, et enfin, des sanglots m'échappèrent. D'abord légers, le temps que le chagrin se dispèrse jusque dans les moindres recoins de mon être puis, des vraies sanglots, violents, inarrêtables, hachant ma respiration entre hoquets et reniflements.
Je me laissai tomber par terre, les mains serrées contre mon ventre, comme si elles pouvaient faire cesser cette douleur continue qui broyait mes organes les uns contre les autres faisant revenir à mon esprit un vieux souvenir dont j'aurais préféré ne pas me rappeller.
Vomir.
Je sentis la bile remonter de mon estomac, puis, envahir ma bouche de son goût âcre avant de se déverser sur le sol.
Une main se posa sur mon épaule droite et, je me mis à tousser, recrachant les dernières gouttes de ce liquide répugnant. Je me relevai et observai le regard empreint de dégoût avec lequel Florentin me regardait sans la moindre gêne. Il retira lentement sa main de mon dos, la frotta légèrement contre sa chemise, comme pour la nettoyer et, vint la ranger le long de son corps.
Je séchai mes larmes d'un revers de manche et lui renvoyai son regard. Il ne broncha pas. Je m'en allai, essayant de ne pas prêter attention à ces regards offusqués, capables de tous. Je pressai mes yeux contre mes paupières pour les oublier complètement, me mis à courir.
Pardon Agathe.
Il commença à pleuvoir, un grondement sourd, de l'orage. Ma course ralentit jusqu'à devenir une démarche presque trop lente. Mes chaussures traînaient par terre à chaque pas, se salissaient de boue et de brins d'herbe devenus collants à cause de l'humidité.
Il faisait froid. J'arrivai de vant chez moi, entrai. Il faisait toujours froid.
Je me découvris et restai plantée devant l'entrée. Il n'y avait pas un bruit. Je fis un pas, m'arrêtai. Si Agathe avait été là, ça aurait été moins silencieux, moins vide, plus joyeux. J'avançais dans le couloir, effleurant le mur du bout de mes doigts, poussai la porte.
Elle était là, posée sur le lit, tel le vieux jouet d'un enfant qui s'en serait lassée. Rectangulaire,à peine plus longue qu'un avant-bras, pas très large, pas très haute non plus, elle n'attendait plus qu'une chose, qu'on l'ouvre...
La boîte à chaussures.
Je m'approchai doucement d'elle, posai une main légère dessus, la déplaçai sur un des rebords du couvercle, retenai mon souffle et...
Non.
Jeme relevai, sortis de la chambre et, refermai la porteà clef derrière moi, abandonnant tout ce qu'il me restait de ma bien-aimée. C'était fini, il fallait y renoncer, plus d'Agathe, plus de boîte à chaussure, plus rien.
Un dernier regard en arrière...
Non, plus rien.
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