Prologue : Celui en qui scintille une lumière au pouvoir mystérieux

5 minutes de lecture

Les étoiles brillaient comme des pierres précieuses jetées par une main fière et négligente sur un drap de velours. La couronne d’Anwë, dont la gemme la plus éloignée, l’astre Silevril, « gloire de la foule des étoiles », scintillait « d’une lumière au pouvoir mystérieux ». C’était là la signification de son nom, au départ : « celui en qui scintille une lumière au pouvoir mystérieux », la « forme cristalline brillant à l’intérieur d’une nova ».

Silivren s’arracha à la contemplation du ciel et balaya du regard la scène apocalyptique autour de lui. Comme toujours après un massacre, il avait peine à croire que cette boucherie soit de son fait. Mais c’était le cas, pourtant. Telle était sa Voie, et il y avait peu d’espoir pour que ça change.

S’accroupissant auprès d’un corps, il entreprit de fouiller l’équipement du soldat, dans l’espoir d’y trouver quelque chose pour se sustenter. Il aurait pu manger le corps encore chaud de cet humain, mais il lui répugnait de se nourrir des adversaires qu’il avait tué sur le champ de bataille. Même si son myocarde, rouge et à nu dans la cage thoracique, semblait fort appétissant, il sut résister à la tentation. À la place, il récupéra des barres de rations qu’il glissa dans son shynawil. Puis, toujours accroupi, il décrocha le bas de son masque – l’atmosphère était respirable – et commença à en manger une. Le goût était satisfaisant : examinant l’emballage entre ses longs doigts pointus, Silivren discerna l’image d’un fruit jaune en forme de croissant, qui ressemblait plus ou moins au symbole héraldique de la cour de Dorśa. L’association d’idées l’amusa, amenant un petit sourire sur ses lèvres. Nul doute que ceux de Dorśa, qui se croyaient même supérieurs à tous les autres ædhil, détesteraient être associés aux humains, et plus encore à ce fruit jaune.

« Ba-na-ne », déchiffra-t-il, puisant dans sa mémoire pour retrouver les caractères humains qu’il avait appris de Myrddyn. La graphie avait un peu évolué depuis, mais pas tant que ça. Les systèmes graphiques humains, quels qu’ils soient, restaient toujours infiniment plus unidimensionnels que les glyphes ultari, lesquels nécessitaient toujours une action et un contexte pour être lus.

Son panache, plaqué entre son armure et son shynawil, le démangeait : il le déplia donc et la secoua plusieurs fois. Il le fit onduler légèrement, satisfait, tandis qu’il entamait une deuxième barre. La nuit dernière, il avait rêvé qu’il ne l’avait plus : ce rêve l’avait grandement perturbé, et il avait dû en sortir pour vérifier que son appendice caudal qui était à la fois sa fierté et son fardeau, se trouvait toujours bien enroulé autour de lui.

Machinalement, son regard se posa sur l’un des agglomérats de guerriers humains. Un mouvement avait attiré son œil sur ce tas de cadavres et en effet, l’un des soldats qu’il avait neutralisé s’était relevé. Pour une raison inconnue, ce dernier avait échappé au massacre. Lourdaud et malhabile dans sa grosse armure, il le menaçait, pointant l’une de ces armes humaines peu prestigieuses sur lui. Silivren continua à le regarder en silence, mais il s’était arrêté de manger. Peut-être que ce guerrier allait s’enfuir. Peut-être qu’il allait le laisser s’enfuir. Peut-être pas.

Une charge de plasma conséquente vint crépiter contre son orbe, produisant une myriade de couleurs passant par tous les spectres de l’arc-en-ciel. Silivren abaissa de nouveau son masque sur son visage et marcha vers l’homme.

— Pourquoi vous autres humains vous obstinez-vous à m’attaquer ? demanda-t-il en se plantant devant lui, sa voix spectrale parvenant au pitoyable soldat par les lèvres closes du masque. « Vous avez peut-être obtenu de nouvelles armes depuis la dernière fois, mais vous n’êtes toujours pas à la hauteur d’un guerrier de ma race. Avant que vous ne m’attaquiez, je n’avais rien contre vous. Maintenant, mon opinion sur votre espèce est en train de changer : je vous trouve moins sympathiques.

C’était rare qu’il parle sur le champ de bataille, et encore plus rare qu’il le fasse en portant son masque de guerre, représentant le visage basalte et cornu, au sourire fantômatique, d'un ældien androgyne à la beauté aussi classique que glaciale. La dernière fois qu’il l’avait fait, celui à qui il avait parlé s’était bouché les oreilles, avant de se jeter sur son sabre.

Mais les humains, en plus d’ignorer parfaitement son identité et ce qu’elle représentait, étaient des créatures qui avaient besoin d’être éduquées : il fallait bien que quelqu’un les confronte à la réalité. Il avait parlé en gallois, la langue de Myrddyn, elle-même dérivée de l’ældarin, comme beaucoup de langues humaines anciennes : l’humain allait peut-être comprendre.

Ce ne fut pas le cas. Au lieu de s’excuser ou de tenter de négocier une trêve, l’humain recula et partit en courant dans la direction opposée. Contrarié, Silivren s’interrogea un moment : devait-il le tuer ou le laisser vivre ?

Le tuer, évidemment. Toute sa phalange y était passé : pourquoi lui, parmi tous les autres, serait-il épargné ? De toute façon, il ne devait laisser personne derrière lui.

Il fut sur l’infortuné soldat immédiatement. Alors qu’il s’apprêtait à lui donner le coup de grâce, il aperçut le regard de l’homme derrière le miroir bizarre qui lui servait de masque. Ses yeux noirs et ronds – des yeux de faux-singe – lui évoquaient le regard de cette humaine étrange qui lui avait parlé en ældarin dans la base humaine, où il s’était réveillé après avoir perdu connaissance sur LVX. Cette jeune femelle humaine l’avait intrigué. Même si elle lui avait raconté des contes à dormir debout, elle connaissait son véritable nom et avait manifesté des velléités de coopération en lui apprenant ce que les humains comptaient faire de lui. Il aurait voulu en savoir plus, mais trainer de force une femelle humaine sur son bord n’était pas son genre. D’autant plus qu’elle sentait le lait : c’était une femelle allaitante, qui nourrissait des petits. Est-ce que quelqu’un qui suivait la Voie de la Destruction comme lui devait entraîner des jeunes et leur mère dans son sillage sanglant ? Sûrement pas.

Cependant, en guise de remerciement pour cette femelle humaine qui l’avait aidé (et qui avait fait l’effort d’apprendre sa langue), Silivren décida d’épargner l’un des représentants de sa race. Tous les humains n’étaient pas irrécupérables : certains semblaient même être porteurs d’espoir.

Sûr de sa résolution, Silivren abandonna sa proie terrifiée et regagna son astronef. Il lui fallait désormais récupérer Elbereth. Il ne pouvait pas se présenter à la Haute Reine, ni à Mana, dans un vaisseau humain.

Annotations

Vous aimez lire Maxence Sardane ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0