Le temple du dieu de la mort : II

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Au grand soulagement de Círdan, Angraema avait réussi à rejoindre la terre ferme sans encombre. Même si son armure lui garantissait une protection maximum, elle n’était pas équipée de ceinture anti-gravité et la chute avait dû être particulièrement rude. Heureusement, Angraema était souple et agile : elle avait absorbé le choc en enchaînant une série de roulades sur cinq cents mètres, et venait juste de se relever, intacte.

Círdan tendit le doigt sur le bouton de son émetteur bricolé.

— Tout va bien ? demanda-t-il.

— RAS, lui répondit la jeune ældienne, utilisant un mot Commun que Rika affectionnait.

Círdan soupira de soulagement. Dès que cette aventure serait terminée, il lui chercherait une ceinture anti-gravité. Ou mieux encore : un astrojet.

— Les petits sont dans le temple, lui apprit Círdan après une petite pause réglementaire, histoire de la laisser reprendre ses esprits. C’est juste devant toi. D’après ce que je vois sur mon écran, les conditions sont plutôt mauvaises, en bas… Tu arrives à voir quelque chose ?

Sur l’image retransmise sur la baie, le temple était à peine visible. Il y avait une chance pour que ce soit la transmission qui soit mauvaise, mais Círdan voulait s’en assurer.

— Il y a une tempête de silice, lui répondit Angraema, sa voix paraissant hachurée dans le micro-émetteur. Mais je vois le temple. Je me dirige dessus.

— Fais attention, lui conseilla Círdan. De notre côté, on va essayer de te donner une estimation du type de résistance que tu rencontreras dedans.

Círdan bascula sur la vision que lui fournissait les yeux de la wyrm, Erryn. Mais étrangement, il n’y avait pas trace des ennemis. Juste les deux flammes rouges émises par les deux petits.

— C’est bizarre, marmonna alors Montolio. J’ai jamais vu une telle signature pour un navire républicain !

Intrigué, Círdan relâcha sa synchronisation avec l’Erryn. Il se leva, et vint se placer derrière le vieux naute.

— Qu’est-ce que vous avez vu ? demanda-t-il sur le moniteur de l’humain, retenant sa chevelure d’une main.

— J’comprends pas, répondit le naute. Regarde : ce sont les images prises par la caméra de mon vaisseau.

Círdan se pencha en avant, sa pupille elliptique prenant une forme encore plus étirée.

Il y avait bien des vaisseaux. Trois, d’après l’image reconstituée, et en sale état. Le jeune ældien fronça les sourcils : vu leur état de dégradation, comment ces astronefs avaient-ils pu voler jusqu’ici ? Comprenant soudain la situation, il se redressa d’une seule détente, et revint d’un même mouvement se rassoir dans le fauteuil du commandant.

— Angraema, appela-t-il. Tu m’entends ? Angraema, réponds-moi. J’ai une nouvelle information importante à te communiquer.

Le craquement indiquant que la communication reprenait résonna dans l’habitacle.

— Je t’entends, Círdan. Qu’est-ce qu’il y a ?

— Angraema, il faut que tu rebrousses chemin tout de suite, fit tranquillement Círdan, le calme dans sa voix dissimulant tout de sa panique. Reviens à bord. Nous devons réfléchir ensemble à une nouvelle stratégie.

Angraema ne répondit pas tout de suite.

— Revenir à bord… Mais comment ? Et pourquoi ?

Círdan posa ses deux mains sur la console.

— J’ai compris. Je me pose. Angraema, ne bouge pas d’ici, je viens te chercher. Je pose le cair.

— Mais…

— Fais ce que je te dis. J’arrive.

Du coin de l’œil, le vieux Montolio l’observa manipuler les glyphes sur la console pour lancer la procédure d’atterrissage. Ses doigts immenses couraient sur les symboles lumineux à une vitesse difficile à suivre.

— Fils…

— Cramponnez-vous. Les vents sont violents, l’atterrissage risque de secouer un peu.

Ce fut le cas. La tempête était si brutale que Círdan comprit que repartir serait très difficile : mais cela, il y penserait après. Pour l’instant, il fallait penser à Angraema.

J’aurais dû m’en rendre compte avant, se fustigea le jeune ældien.

— Qu’est-ce qui se passe, fils ? lui demanda Montolio. Je te vois inquiet !

Círdan lui jeta un regard rapide. Et au moment où il s’apprêtait à lui répondre, le cri guttural d’Angraema résonna : c’était son hurlement de bataille.

Sur l’écran, une silhouette désarticulée surgit de la tempête de sable. La tête bizarrement penchée sur le côté, les bras ballants, le pas sporadique.

— Les Marcheurs-de-Mort, répondit alors Círdan. Les contaminés par l’Abîme, comme vous dites en Commun. Visiblement, cette planète en est infestée. Il faut récupérer Angraema et décrocher.

Les yeux ronds comme des billes, Montolio regarda le jeune ældien ajuster son masque.

— Tu vas à terre, toi aussi ?

— Oui. Je ne peux pas laisser Angraema seule sur ce coup-là. Sans arme de longue portée, on a aucune chance contre un ennemi non-mort, qui se relève sans cesse. Vous pourrez communiquer avec moi par le biais de l’émetteur, comme je l’ai fait avec elle tout à l’heure.

Le collisionneur CERG aurait constitué une solution. Mais il nécessitait la présence d’Angraema à bord pour opérer la configuration. En outre, son utilisation aurait signé l’arrêt de mort des deux petits perædhil.

Déjà, si on arrive à décoller de là en un seul morceau, ce sera pas mal, se résolut Círdan en passant dans le sas.

Au passage, il décrocha un fusil à plasma qui pendait là, donné par Rika lors de leur départ. Angraema trouvait ce procédé peu prestigieux, mais après tout, Círdan n’était pas un sidhe.

Dehors, les bourrasques de sable faillirent envoyer Círdan au diable. Utilisant le circuit énergétique de son armure pour concentrer la gravité dans ses pieds, le jeune ældien s’enfonça dans le sol de graphite, un pas après l’autre. La progression était lente et laborieuse. Et on n’y voyait rien. Un cri de Montolio dans son émetteur portatif l’avertit à temps qu’un ennemi arrivait à sa droite : faisant appel à tout son sang froid, il ajusta son tir et pressa la détente. Il profita de ce que la silhouette disparaisse pour avancer : le non-mort allait sûrement se relever.

Círdan fit de son mieux pour gagner au plus vite le temple. Il savait que c’était là qu’Angraema se dirigeait, au moment où il lui avait dit de rebrousser chemin. Et comme elle savait les petits à l’intérieur, Círdan se doutait bien qu’elle n’allait pas renoncer aussi facilement. Pourtant, il le fallait. Ce temple devait grouiller de Marcheurs : il en était certain, désormais.

Un bruit de ferraille, entrecoupé de cris féroces, lui indiqua qu’il était sur la voie. Aux portes du temple, véritable personnification d’Amarrigan, Angraema bataillait. À ses pieds s’étendaient les carcasses de ce qui avait été, il y a très longtemps, les corps vivants de diverses races : des humains, des wê, des orcneas, mais aussi des ældiens momifiés. Le problème, c’est qu’ils se relevaient à peine les avait-elle découpés de ses terribles doubles sabres, qui tournoyait férocement et sans répit. Les Marcheurs ne la touchaient pas, mais tout ce qu’elle faisait était vain, et voué à l’échec, comme les efforts de Naeheicnë lui-même lorsqu’il avait affronté le Soleil Noir alors que les ædhel fuyaient Ultar par milliers.

« Huuuuueuh... »

Un râle bas et lourd le poussa à effectuer un bond de côté. Un corps atrocement décomposé — de quelle race antédiluvienne, il n’aurait su le dire – venait d’apparaître sur sa droite, sorti de quelque sombre cavité du temple. La tempête de graphite rendait toute visibilité nulle, et même Montolio, qui s’excusa dans le micro, avait échoué à le voir arriver. Círdan le visa, mais il le manqua. Reculant, il tira encore, et encore. Toujours, le Marcheur se relevait.

— Círdan ! hurla la voix rauque d’Angraema. Au temple ! Dans le temple !

Le jeune ældien abandonna sa cible et courut dans la direction indiquée. Ce faisant, il constata, horrifié, le nombre hallucinant de Marcheurs qui surgissaient de la tempête pour confluer vers le temple. Ils étaient fichus !

Une poigne ferme le tira en arrière. C’était Angraema, qui poussait déjà les portes de l’immense bâtiment.

— Allez ! hurla-t-elle en le poussant dedans. On y est !

Les lourdes portes d’airain se refermèrent derrière eux. Le vacarme de la tempête et les vagissements des morts-vivants se turent, pour laisser place à un silence vide et inquiétant.

— Restons sur nos gardes, lui conseilla Círdan. Il peut y en avoir aussi à l’intérieur.

Sans lui répondre, Angraema appuya sur la commande derrière son oreille, déverrouillant son masque. Il se rétracta, libérant son visage, et elle secoua ses cheveux poisseux de sueur et de fluides divers.

— Tu n’aurais pas dû poser le cair, lui reprocha-t-elle, ses yeux noirs flamboyant de colère. Tu sais qu’on aura du mal à décoller, avec cette tempête !

Círdan la regarda, le visage affichant une expression tranquille.

— On y arrivera. Je ne pouvais pas te laisser seule affronter ces monstres, Angraema.

La jeune sidhe soupira.

— Mais à présent…

— Puisqu’on est là, la coupa Círdan, allons chercher les petits. Ils sont quelque part, dans ce temple.

Angraema secoua la tête, se rangeant à son avis. Puis elle releva les yeux pour regarder autour d’elle.

— Círdan… murmura-t-elle. Regarde...

Le jeune ældien se retourna. Devant eux, culminant à plusieurs centaines de mètres, Arawn-le-Terrible les fixait de ses yeux blancs. Brandissant la Buveuse d’âmes, sa lame à triple configuration, le Dieu de la Mort s’apprêtait à affronter le démiurge, au jour du Combat Final. Ses interminables cheveux couleur d’os étaient déployés vers le ciel, tandis que les âmes des ædhil morts depuis l’aube des temps tournoyaient autour de lui en une vague vengeresse, prêtes à lui prêter leur force et leur rage pour faire disparaître à jamais l’Abîme de la galaxie. Sur son front, son troisième œil s’ouvrait, terrifiant, figuré par un rubis rouge qui devait au moins faire la taille d’un œuf de wyrm.

— Arawn, murmura Círdan en désignant la statue. Le tout dernier sældar à se tenir devant la Ténèbre à la Fin des Temps. Qui n’apparaîtra que lorsque le dernier membre du Peuple sera mort… Et nous conduira à Tyrn-an-nnagh, après avoir anéanti l’Ennemi.

Angraema se tourna vers lui.

— Avec mon père, on a cherché Tyrn-an-nnagh, en vain. Tu le sais, puisque c’est ce faisant qu’on vous a trouvé.

— Tyrn-an-nnagh ne sera trouvable qu’à l’avènement d’Arawn, justement, lui répondit Círdan. C’est ce que dit la prophétie de la Voie Cachée.

Le visage d’Angraema se ferma.

— Je ne crois pas aux prophéties. Mais je crois en la Justice, au Mal et au Bien !

La jeune sidhe s’avança jusqu’aux pieds de la statue.

— Il y a un tunnel qui s’enfonce vers le fond du temple, fit-elle remarquer à Círdan. Il faut y aller. C’est sûrement là que se trouvent mes frères et sœurs.

Círdan vint la rejoindre, tout en pensant que, si Marcheurs il y avait dans ce temple, alors c’est là, précisément, qu’ils seraient. Mais comment reprocher à Angraema de tout risquer pour trouver Niním et Cerin ?

Le tunnel s’enfonçait – comme par hasard – dans le noir complet. L’infravision des jeunes ældiens s’ajusta bien vite, mais elle n’empêchait pas les ennemis de surgir à l’improviste. Círdan espérait juste que cela n’arriverait pas.

Au terme d’un périple souterrain qui parut interminable au jeune ældien, ils débouchèrent sur une salle circulaire qui avait tout l’air d’être une crypte, ou quelque mausolée. Dans de sombres alcôves tout le long des murs, on pouvait voir les statues, hautes de quelques cinq mètres, de guerriers encapuchonnés, leur visage hiératique légèrement baissé, tenant entre leurs mains croisées ce qui ressemblait à la même épée que celle de la statue. Círdan les identifia tout de suite.

— Les Aonaranan des temps passés, expliqua-t-il à Angraema. Je suppose que c’est là qu’on dépose leur corps, ou leur cristal-cœur, après leur mort. En sachant que, de toute façon, leur âme va droit au néant, sans le moindre espoir de réincarnation.

À l’instar de tous les ædhil, le terrible destin des Aonaranan l’horrifiait. La relation entre l’Aonaran et Arawn n’était pas encore très claire à ses yeux, mais elle existait, c’était certain. Círdan regrettait de plus en plus d’avoir rallié cette planète : si elle avait été effacée des cartes, c’était bien pour une raison. Ce n’était pas un endroit pour les vivants, quels qu’ils soient. C’était un endroit pour les morts et les damnés.

— Cerin ! Niním ! s’écria Angraema. Ils sont là !

Surpris, Círdan releva la tête, sortant de ses rêveries morbides. Enfin une bonne nouvelle !

— Comment vont-ils ? demanda-t-il en se précipitant pour rejoindre sa compagne, agenouillée près d’une alcôve.

Les larmes aux yeux, la jeune sidhe pressait les deux petits perædhil contre sa terrible armure.

— Attention à ne pas leur faire mal, fit Círdan en s’approchant.

Les deux petits gazouillaient, peu rassurés, mais heureux de retrouver leur sœur. Círdan remarqua qu’ils portaient une tenue humaine, qu’il identifia, au vu de ce qu’il avait appris dans les archives, à celle des cobayes des expériences scientifiques.

On a bien fait de tout faire pour les retrouver, se résolut-il en voyant sa compagne, en larmes sur les deux petits. Même si on meurt ici, c’était la seule chose à faire. On ne pouvait les abandonner ici, à leur triste sort.

— Angraema, dit-il enfin. Allons-nous-en. Je crois que nous avons assez traîné ici.

Angraema se retourna.

— Et Caëlurín ? demanda-t-elle, les crocs presque dégainés.

— Caëlurín n’est pas ici. Je n’ai pas senti son empreinte une seule fois. Je ne sais pas ce qui s’est passé, ni ce qui a conduit Niním et Cerin à se retrouver ici, sur cette planète morte… Mais en tout cas, cela ne vaut pas pour Caëlurín.

Angraema resta silencieuse, les deux petits toujours serrés contre elle. Puis elle se releva.

— Tu as raison, admit-elle. Sortons d’ici.

C’était une sage décision. Après avoir chargé les petits dans un sac à dos blindé – un chacun, soigneusement fermé – les deux ældiens s’empressèrent de quitter cette crypte sinistre, abritant les pauvres restes de ceux qui s’étaient sacrifiés pour porter le masque de l’Aonaran. Inutile de déranger leur repos plus longtemps : eux, contrairement à tous les cadavres animés qui s’entassaient dehors, ne reviendraient jamais.

— Montolio, se décida à appeler Círdan, revigoré. Comment la situation se présente-t-elle, dehors ?

— Mal, admit le vieux naute. Et je ne vous entends vraiment pas bien. Vous êtes dans le temple ?

— On a trouvé les deux petits. On va tenter une sortie, mais nous aurons besoin de votre aide. Pouvez-vous nous donner un itinéraire ?

Un petit silence se fit.

— Un itinéraire ? Y a plein de morts, dehors. Des morts qui marchent, de toutes les races ayant foulé l’univers. Si vous aviez une arme de longue portée, sur ce beau navire, je dis pas, mais là, ça me paraît difficile de vous ouvrir la voie, mes petiots.

— On va se débrouiller, le rassura Círdan, confiant. On va trouver un moyen. Tenez-vous prêt à nous ouvrir la porte, c’est tout. Vous vous souvenez du glyphe ?

— Je crois, oui, maugréa le vieux naute. Faites attention !

Arrivés devant la porte du temple, les deux ældiens se regardèrent.

— On va y arriver, tenta de se convaincre Angraema.

— Je le sais, lui mentit Círdan.

La jeune sidhe rabattit son masque sur son visage.

— Alors on y va. Prêt ?

Círdan fit de même.

— On y va.

Et, les deux mains dessus, ils poussèrent la porte.

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