Les espoirs déçus de Lathelennil : II

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Je m’éveillai en sursaut en plein milieu de la nuit, à la suite d’un cauchemar épouvantable. Le gazouillement de Niním, qui grimpait sur mon torse nu, me délivra des derniers lambeaux de mon terrible rêve, qui s’accrochait à moi comme une toile d’araignée gluante.

— Maman, piailla-t-il en Commun, il y a un monsieur !

Je me retournai, tapotant le drap en recherche de Cerin.

— Où est ta sœur ?

— Dans les bras du monsieur !

— Quel monsieur ?

— Le monsieur bicolore !

Complètement réveillée cette fois, je me redressai d’un coup, mes yeux cherchant à s’adapter à la pénombre. Oh, comme j’aurais souhaité pouvoir voir dans le noir comme les ældiens à ce moment là ! Devinant mon tourment, le « monsieur bicolore » se leva et sortit de l’ombre, ma fille dans les bras. Cette dernière gazouillait contre son armure couverte, par endroits, de sang séché.

L’ignominieux frère d’Uriel releva ses yeux noirs sur moi, un sourire – affreusement charmeur – flottant sur ses lèvres fines.

— Elle est adorable, ronronna-t-il de sa voix grave. Au moins autant que ces petits mamelons roses que j’ai vus pendant ta rêverie.

Je remontai le drap sur moi, plus effrayée que mortifiée.

— Ça fait combien de temps que tu es là ? demandai-je en tentant de conserver un ton naturel.

— Seulement une heure.

Je déglutis. Une heure… Une heure que ce cinglé me regardait dormir, sans bouger ni faire le moindre bruit.

— Tu me rends ma fille ? tentai-je, comme si cela n’avait aucune espèce d’importance.

— Non.

— Lathelennil… S’il te plaît.

Le susnommé fit le tour du lit, venant se positionner sur le côté. Là, il s’assit, les angles acérés de son armure accrochant un rideau de gaze au passage. Je songeai que je n’avais jamais vu le frère d’Uriel autrement que dans cet appareil. Ce qui, au final, était peut-être une bonne chose.

— Comment es-tu entré ? m’enquis-je encore, histoire de faire diversion.

— Par la porte.

— Elle était fermée à clé.

— Pas pour moi… Je suis le troisième frère de la Maison Royale de Dorśa, de ce qui fut peut-être la toute première Cour d’Ombre. Toutes les portes construites pour notre peuple s’ouvrent pour moi, même dans l’espace.

Mentalement, je notai qu’il faudrait arranger cela, dès demain.

Je n’osai pas lui demander quel était son but en venant ici : cela ne devait guère être réjouissant.

Cerin, ne se doutant de rien, tendit ses petits bras. Je retins mon souffle lorsqu’elle attrapa une mèche des cheveux de Lathelennil, qui pendaient à sa portée. Cependant, à ma grande surprise, ce dernier émit un petit rire sombre, tout en continuant à bercer ma fille.

— Moi aussi, je veux des enfants, m’apprit-il.

Jusqu’ici, tous ceux qui m’avaient dit ça – Tanit, Arawn – s’étaient avérés être des augures funestes.

— Des perædhil, précisa-t-il, comme s’il y avait besoin.

— Mais je croyais que les perædhil étaient inférieurs, pour vous autres dorśari, objectai-je.

— Pas pour moi. Je les trouve supérieurs, au contraire, et même très beaux. Les femelles perædhil sont renommées pour leur beauté. Et elles ont des caractéristiques typiquement humaines, qui font leur renommée. Elles sont petites, saignent tous les cycles lunaires, et leur fourreau est celui d’une dague effilée, étroite et serrée.

Je levai les yeux au ciel. Encore ce fantasme ældien galvaudé sur les humaines !

— Si tu veux rencontrer une humaine, Lathelennil, je peux éventuellement t’en présenter. Mais d’abord, il faudra que je t’explique certaines choses, si tu comptes les séduire.

Son regard croisa le mien, noir et brillant.

— Pas une humaine. L’humaine. La seule de Dorśa. Celle qui parle notre langue et qui est une légende chez les faux-singes.

Pourquoi, pourquoi au juste, cet ældien faisait-il une fixette sur moi de cette manière pathologique ? Bien que complètement tordu et sûrement en très mauvaise santé mentale, Lathelennil était un prince de sang et un grand guerrier. Bref, un mâle ældien dans tout ce qu’il y avait de plus prestigieux. J’étais sûre et certaine que, malgré sa folie congénitale et sa « bichromie », comme le disait son frère, les femelles étaient nombreuses à le convoiter. Après tout, il en fallait beaucoup pour décourager une femelle ældienne ! J’étais en train de me le demander lorsque Cerin me glissa soudain dans les bras.

Lathelennil s’était relevé.

— Mais je ne vais pas te supplier, toi, une ancienne esclave, d’accepter de me prendre pour maître. Je vais chercher Ar-waën Elaig Silivren, et le tuer, afin de supprimer le dernier obstacle qui t’empêche d’être mienne. C’est ça que je suis venu te dire. Je pars ce soir. Je te propose de venir avec moi. Mon frère part en guerre avec Daemana, et il n’aura plus rien en tête que les souhaits de cette dernière. Je doute que ce soit dans cette direction qu’on trouvera le sidhe qui t’a abandonné : il a dû partir vers de plus importantes, mais confidentielles batailles. Les aios ne sont que des machines à tuer : des êtres solitaires obnubilés par la guerre, qui ne sont pas faits pour s'encombrer d'une famille. Si tu veux le revoir – et moi, avoir une chance de te gagner – alors, il faut partir. Cette nuit.

Je le regardai, stupéfaite. Partir avec Lathelennil Niśven, cet ældien déviant et psychopathe… Seule une folle aurait pris cette décision. Mais, au fond de moi, je savais que c’était probablement ma seule chance de retrouver Ren. Cette chance passait, comme cela avait été le cas plus tôt, par Lathelennil.

— Je viens avec toi, décidai-je. Mais j’emmène mes enfants.

Lathelennil hocha la tête d’un air satisfait.

— Demande à un sluagh de préparer tes affaires. Et rejoins-moi sur le pont min. C’est là que mon cair est stationné.

Lathelennil quitta ma chambre, me laissant seule avec mes doutes.

En fait, je n’en avais plus aucun. Combien de fois déjà n’avais-je pas suivi des chemins dangereux pour Ren ? Chaque fois, quelque chose au fond de mon coeur m’avait dit que je prenais la bonne décision. Comme cette fois. Réunissant quelques affaires dans un grand bout de tissu – surtout pour les enfants – et ayant achevé de m’habiller, je quittai ma chambre. Sur le seuil, je me retournai pour laisser un mot à Angraema, Círdan et Mana, en Commun :

Je suis partie chercher Ren avec Lathelennil. Ne nous suivez pas. Allez délivrer Arda et Eren. Si on ne se retrouve pas, rendez-vous dans un an solarien à la porte de Sibalba.

C’était là que tout avait commencé. Et là que tout finirait. C’était également un lieu que tout ældien, et même tout naute, connaissait.

Vers de nouvelles aventures, donc.

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