"Il finit par chercher un refuge , où Dame Justice règne céans"

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"Il finit par chercher un refuge , où Dame Justice règne céans"

Quartier du Bronx - Décembre

« Nathan ! »

Nathanaël s'arrête dans l'ascension de l'escalier de l'immeuble et balaie du regard le couloir décati en plissant les yeux. Il n'a pas rêvé, on l'a bien appelé. Il met un peu de temps à identifier, sa vue ayant du mal à faire les ajustements, la porte entrouverte de madame Siota. Il dépose son sac en papier de course au pied de l'escalier et approche, la vieille dame est sa voisine du dessous et ils sont en excellent terme. C'est une vraie commère, mais son thé est délicieux et elle se relève être une excellente interlocutrice quand il a des interrogations culinaires. Ajouté à cela qu'elle lui donne de manière régulière des plats cuisinés par ses soins ce qui permet des économies non négligeables, notamment en fin de mois, cela fait d'elle une voisine parfaite et une relation à conserver, dont il faut prendre soin. Aussi, lorsqu'elle lui fait signe d'approcher avec des airs de conspiratrices, Nath' hausse un sourcil, puis l'autre et, attiré par la présence du Tupperware qu'elle tient à la main, s'approche. On est le dix-huit décembre, notez bien. Elle lui tend la boite en plastique probablement aussi vieille qu'elle. Tout du moins, elle en a l'air

« Ce sont des tamales. Je les avais faits pour ce midi mais ma fille est passée et elle a apporté le repas. »

Pieu mensonge de la mamie, au vu des quantités contenues dans la boite. Nathanaël hoche la tête, intrigué qu'elle ne l'ait attiré que pour lui donner à manger. Mais a-t-il pensé trop vite ? Madame Siota se contente –t-elle de ferrer le poisson pour pouvoir mieux le garder à bavasser pendant une heure ?

« Ah ! Autre chose. J'ai discuté avec Madame Bayle, tout à l'heure. Tu sais, cette énorme dame avec son abominable roquet qui aboit tout le temps. Quelle horrible bestiole. Tu sais qu'elle a gagné 100 $ en bon d'achat ? Madame Bayle, hein, pas son cabot … »

Et allez, on est parti. Madame Siota est installée depuis les années cinquante dans cet immeuble, elle connait tout le monde, est au courant de presque tout et a tendance à le raconter à qui veut l'entendre. Une commère, je vous dis. D'ailleurs, la charité chrétienne est visiblement mise de côté dans ces moments-là. Au moins, ça fait des choses à confesser. Nathanaël a depuis longtemps signé son contrat de résignation avec une quelconque entité divine, il peut bien faire preuve de sarcasme là-dessus

-          « ...Elle s'est donc remise aux mots croisés, pour les jeux concours, elle qui avait abandonné parce qu'elle ne gagnait jamais rien. Bref, tout ça pour dire qu'elle m'a dit qu'il y avait un type bizarre qui attendait sur ton palier.

-          …. Bizarre ?

-          Blond, très pâle, les cheveux mal peignés. Il avait un chat dans un sac à dos, tu sais, ces beaux chats aux très longs poils. Pas un persan, une autre race. Cela a fait aboyer le cabot de madame Bayle, c'est pour ça qu'elle me l'a dit, pour se plaindre, elle adore se plaindre. D'ailleurs … »

Nathanaël ne l'écoute plus, tant sa surprise est grande. Si grande qu'il se permet de couper la conversation monologue de son interlocutrice.

« Je vais aller voir si ça ne vous dérange pas. »


Alors, madame Siota s'arrête de babiller et lui offre un regard compréhensif. Ce n'est que partie remise, Nathanaël en est conscient, mais il préfère remettre ça à plus tard. Le jeune homme met la boite dans son sac de course qu'il reprend dans ses bras et, après avoir salué respectueusement  l'aïeule, grimpe lentement les escaliers jusqu'à l'étage supérieur. C'est bien lui. Eian. Accroupi contre le mur. Dans ses nuages. Le jeune homme plisse les yeux, encore, il cherche. Il manque quelqu'un, quelqu'un qui suit Eian dans toutes ses folies, dans toutes ses bêtises. Quelqu'un dont l'absence n'est pas normale.

« Ça fait longtemps, Eian »

Le blond sursaute, comme surpris. Brusquement,Nathanaël se demande  s'il a entendu sa conversation avec la voisine. Il en a les capacités et il est plutôt indiscret, comme personnage. Nath' soupire, finit par lui poser la question qui lui brule les lèvres-          « Qu'est-ce que tu as fait de Parvati ?

-          Bonjour à toi aussi, Nathanaël. On peut rentrer ? Pas qu'il fasse froid, mais je pense que tes voisins vont finir par appeler les flics.

-          Les flics ne viennent jamais ici. »


Réponse à sa question deux, il a entendu. Reste la première, la plus importante que le loup des éclipses vient de savamment éluder. Tant pis, le russe ne relève pas et approche pour ouvrir la porte, invitant son hôte improvisé à entrer avant de vite refermer. C'est lui qui libère la chatte d'Eian, Freja, de son sac. Cette dernière reconnait bien vite le jeune homme, se frotte contre lui avant d'aller gambader dans le minuscule appartement dont l'ordre et la propreté étonne Eian. Le bazar est en fait fait de chiffres et de nombres, inscrits pèle mêle au feutre effaçable sur un tableau blanc accroché au mur. Il est séparé en deux parties équitables par un trait vert et montre le foisonnement de deux esprits logiques, peut-être un peu trop. Il est vrai qu'à part ce tableau, l'appartement est vide de décorations ou de photos, le mobilier réduit au strict minimum. Dénuement. Nathanaël l'ignore, Nathanaël, après avoir donné de l'eau au chat s'est empressé de ranger ses courses. Eian cligne de l'œil.

-          « Dis-moi …. L'entreprise de ta mère a toujours un chiffre d'affaire qui dépasse le milliard de dollar.
-          Oui.
-          Et le cabinet d'avocat des parents de ta copine est l'un des plus côté de Los Angeles.
-          Oui.
-          Mais toi et elle vivez dans un des quartiers les plus pauvres de New York et vous êtes dans le rouge au quinze du mois.
-          … Merci d'être passé Eian. Bon retour chez toi. »

Toujours pas de regard adressé, mais ça a été des plus glaciales, à en faire frissonner un islandais. Platitude de sa voix mais mots qui s'expriment à eux seuls. Nathanaël ne l'a jamais épargné, surtout quand il se mêle de choses qui ne le regardent pas. Eian le sait pourtant, la raison de ce dénuement. La raison de la rupture entre Nathanaël et sa famille, depuis le décès et l'enterrement de son frère. Au point de ne jamais leur demander un centime même dans un cas d'extrême urgence. Plutôt mourir, lui avait dit un jour Nath après une énième dispute avec ses géniteurs au téléphone. Autant lui avouer la raison de sa venue ou il va vraiment se retrouver dehors, son ami n'a aucun sens de l'humour.

« Je me suis fait jeter, Nath. J'ai besoin de réconfort. Et de réfléchir. »

Nathanaël lui adresse un regard d'un bleu acier transperçant. Ça, c'est quand il réfléchit, de mémoire. L'islandais, lui, n'a jamais été aussi raide. Ce qui contrebalance le trémolo dans sa voix. Jugement sans appel.

-          « Donc, tu as réussi à la pousser à bout. Tu fouines trop, en permanence, sans te modérer, cela aura donc fini par te conduire à ta perte. Tu n'as ce que tu mérites au fond
-          Je te rappelle que c'est pour nous tous que je fais ça. Que si un jour, tu pourras reprendre ton nom de famille et vivre normalement avec ta copine, ce sera en partie grâce à moi. Elle n'a rien à voir avec nos histoires.
-          Tu laisses Louane en dehors de tout ça alors et tu reviens à ton problème. Un mot de trop et je te jure que je te fous dehors. Je garde Freja par contre, elle n'a pas à subir elle aussi les conséquences de tes conneries.
-          Qu'est-ce qui te dicte tes mots, crétin de griffon ?! Ta raison ou ton sens de justice trop obtus ? Ta réflexion en tant qu'être humain pensant ou la loi du Talion qui est maître de tes actes ?
-          Espèce de … »

Un bruit de clé dans la panne de la porte l'arrête brusquement, il se renfrogne, retourne en cuisine tandis qu'Eian lâche un grognement rauque, animal. Mais rien de plus. Il le sait. La présence de Louane, de cette rouquine à la santé si fragile, agit en atténuant les mauvais penchants du russe. Il l'a toujours écoutée, lui fait une confiance absolue, aveugle. Emmitouflée dans un manteau blanc, elle fait son entrée tout sourire, saluant maladroitement Eian tandis que Nathanaël a pris la fuite dans la chambre. Si ça ne suffit pas pour le calmer, il grimpera  avec agilité passant de la fenêtre le toit.

 « Montre lui sur une carte où se situent les restaurants qui font à emporter », finit-il par dire à travers de la porte fermée, « Aussi longtemps qu'il occupera le canapé, il prendra en charge la nourriture. Et comme il ne sait pas cuisiner…»

Haussement de sourcil peu convaincu d'Eian, confusion d'excuse pour Lou qui avance en crabe jusqu'à la porte de la chambre et qui réussit à se faire ouvrir après quelques petits coups insistants à la porte. Le loup s'y conformera, de toute façon. Le griffon est gardien de ses lieux et en détermine les règles.


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