Chapitre 1: Astrid

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Le clocher de l’église résonne dans tout le village et m’avertit que je suis déjà en retard. Je dévale la colline sur laquelle je me suis entraînée jusqu’à l’aube. Le dernier coup cesse et je trébuche sur une pierre, roule en dévalant la pente et, au passage, déchire ma robe, dévoilant le côté gauche de mon sein, qui est entaillé suivant la courbe de ma poitrine, celle-ci maintenant souillée de terre. À vrai dire, je pourrais vous dire que vous m’en voyez désolée, mais l’honnêteté est la première de mes vertus, alors je ne vous en dirai rien. Si vous voulez vous faire une image : je suis rousse, avec quelques cicatrices, des yeux verts perçants et... je suis une guerrière.
— Astrid ! Où étais-tu ?
Ça, c’est ma mère : les cheveux bruns et les yeux bleus. Je me demande parfois comment c’est possible d’avoir si peu de ressemblance... Elle est mince, avec un buste élancé. Je suis petite et vive. Elle ne jure que par les robes, et rien que de devoir penser à en enfiler une, ça me gratte les bras. Elle est l’image de la parfaite duchesse tout craché... Passons.
— Nulle part, Mère... désolée, j’ai un petit peu de retard, m’excusé-je avec un sourire forcé (qu’elle remarque d’ailleurs).
— On en reparlera plus tard, me dit-elle en me détaillant de la tête aux pieds, fronçant légèrement les sourcils au niveau de la tache de boue, là où le blanc de la robe était avant immaculé, et de la déchirure.
Je souris bêtement, entre dans l’église et m’installe au fond. Le maître de cérémonie commence son charabia en frolgh, c’est une langue uniquement utilisée par les maîtres de cérémonie. À peine eut-il ouvert la bouche que je commençai déjà à rêvasser...
Je me rappelle le Nord. Ah, bien sûr ! Je me disais bien que j’avais oublié un point important. J’appartiens à un peuple de Vikings, du moins je l’étais... Dire ce propos à haute voix ici serait un crime dont la pénitence pourrait aller jusqu’à être pendue, voire déshonorée et envoyée en mer sans le collier sacré de perles permettant de passer de l’autre côté... Personnellement, je ne crois pas trop à tout cela. Mes croyances sont celles de mon père : les croyances vikings. J’ai vécu à Northeim pendant les sept premières années de mon existence. J’y étais heureuse, ma mère aussi. Et puis, l’accident est arrivé. Il est parti pour une bataille contre le royaume éloigné de Thichkan... Il n’est jamais revenu. On nous a ramené sur notre palier son casque rouillé, celui qu’il avait conçu lui-même, celui dont il était le plus fier. Voir cet objet qui lui était si cher dans cet état piteux m’avait fait mal au cœur, mais la peine la plus terrible avait été de voir ma mère s’effondrer devant la porte, en larmes, jurant tous les dieux dont elle connaissait le nom.
Mon père était un marin de renom ; il avait navigué sur les flots les plus déchaînés, vu les vagues les plus monstrueuses et navigué dans les nuits les plus noires. Un jour, pour mes cinq ans, il m’avait emmenée naviguer sur les Langskips, avec les vents de l’ouest dans le dos. C’était ma première véritable escapade en mer. Je crois que c’est à cet instant que je suis tombée amoureuse de l’aventure : le vent me gelant le dos, l’air salin emplissant mes narines et l’écume éclaboussant mon visage.
— « Levez-vous, levons-nous, implorons la pitié d’Atyre ! »
— « Mkufi hresta mosfrt ! »
Ça, c’est le maître de cérémonie. Je répète après lui, avec l’assemblée. La cloche sonne et tout le monde s’agenouille pendant les trois premiers coups, puis se lève. Les gens commencent à sortir de la petite église Atruyste. Je me faufile dans la foule et tente d’échapper à l’œil attentif de ma mère.
— Astrid. Reviens ici. Maintenant ! s’écrie-t-elle.
— Oui, j’arrive, j’arrive, lui dis-je en levant les yeux au ciel.
Et nous nous dirigeons donc toutes deux, côte à côte, vers le château, où je devrai prendre une toilette avant de me présenter à la Reine. Elle, le visage haut, la démarche nette, avec un balancement des hanches impeccable, et... moi, sautillant comme un enfant impatient et en manque d’activité, un air insouciant sur le visage. J’observe l’ambiance tranquille du village le samedi matin. Les arbres n’ont déjà plus leurs feuilles, et une brise d’automne calme passe à travers les fissures des constructions, provoquant un sifflement doux. Celui-ci se fait plus aigu au moment où une bourrasque de vent me décoiffe.
— Où étais-tu ?
— Je... je m’entraînais...
— Astrid...
— Mère, s’il vous plaît, je vous en supplie, cela me manque !
— Oui, mais cela ne doit plus faire partie de ta vie. Ici, tu es une duchesse, tu dois te comporter comme telle, en tant que femme responsable. Tu dois obéir et respecter les codes. Une duchesse ne joue pas avec des armes : celles-ci sont réservées aux hommes. Et toute femme qui se respecte doit se présenter dans une tenue acceptable au palais. Tu as de la chance que je ne me fâche pas... Tu es blessée ? me demande-t-elle après son sermon interminable, en pointant du doigt l’écorchure de ce matin.
— Ce n’est rien de grave, dis-je en observant mon sein dont le sang a taché la robe.
Nous arrivons enfin au palais de la reine Eliana. On se présente devant l’immense clôture faisant le tour de toute la demeure. Les gardes procèdent à un contrôle qui, je remarque, se fait de plus en plus pointilleux et, je dirais même, indiscret. Le garde âgé contrôle ma taille et s’y attarde un peu trop longtemps à mon goût. Nous avançons enfin vers la grande et majestueuse entrée. Nous passons, comme habituellement, par l’allée principale. C’est une grande allée de gravier jaune sable dont le craquement est très léger. Cette allée est encadrée par deux rangées de magnifiques rosiers rouge sang. Au-dessus de la porte monumentale se trouve l’insigne du royaume : un loup et un glaive bleu.
Nous pénétrons dans l’entrée imposante et arrivons dans un hall au plafond de cathédrale, avec un lustre de trois yales de rayon. Devant nous se dresse un portrait de la famille royale et deux escaliers arrondis sur les bords. La Reine est là, devant le portrait, radieuse, comme toujours. Je file dans le couloir avant d’être vue dans cet état par la Reine Eliana.
J’entre dans la salle de bains des invités et dénoue ma robe, retenant un petit cri lorsque je bouge le bras gauche. Ma robe glisse sur le carrelage et je me regarde dans le miroir. C’est rare de pouvoir voir son reflet dans un miroir ; effectivement, c’est un objet qui coûte très cher. Je regarde attentivement la courbe de ma poitrine, de mes hanches et de mes cuisses. Je n’ai pas l’habitude de voir mon corps sous cette perspective, alors cela me fait un drôle d’effet. Je m’aperçois que je me trouve plutôt jolie...
Je me décide enfin à faire couler l’eau tiède dans la petite baignoire. Avoir l’eau courante est aussi très rare, alors j’en profite pour prendre mon temps.

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