Sous un ciel gris, le printemps tardait à remplacer l’hiver. Un vent puissant balayait le parc, raison pour laquelle Juliette avait enfilé un manteau et ce bonnet un rien trop grand. Dissimulée derrière un buisson, elle attendait patiemment que passe le chasseur. Celui-ci se tenait tout près, aux aguets. Le nombre de cachettes le laissait dubitatif. Jonah hésitait à tourner le dos aux arbres. Si un de ses camarades s’y terrait, il pourrait en profiter pour rejoindre le saule où avait démarré le décompte de la partie. Il ignorait qu’il y en avait une à quelques pas de lui.

 Il s’écarta des broussailles. Après quelques mètres, un craquement de branche l’alerta. Il fit volte-face. Juliette venait de surgir de son repaire ! Elle piquait un sprint, droit sur le vieil arbre au centre du jardin public. Jonah n’allait pas abandonner si facilement. Ses ailes s’agitèrent et, tel un frelon, il fila droit sur sa cible. Un coup de vent favorable permit à la fée de réduire drastiquement l’écart entre eux. Alors qu'elle était presque arrivée à sa destination, Juliette sentit qu’on arrachait son bonnet. Ceci libéra sa tignasse, toute en couleuvres qui sifflèrent avec colère. Elle vit Jonah se positionner devant son visage et freina sa course tandis qu’il lui tendait son couvre-chef.

 — Et de une !

 — Ça s’est joué de peu ! commenta Lisa depuis son tableau, posé contre l’arbre.

 Juliette ne répondit rien. Elle cacha sa déception derrière un sourire contrit. La gorgone vint s’asseoir à côté du portrait vivant, à même l’herbe, Pour que se taisent ses reptiles, elle renfila son bonnet. Lisa lui offrit un sourire compatissant, impatiente de pouvoir participer à son tour. La partie n’était pas encore terminée. Il restait encore trois de leurs camarades à retrouver.

 Jonah décida de partir dans un autre coin du parc pour les dénicher. Survolant très vite les premiers mètres, il ralentit en approchant des premières cachettes potentielles. Il devait être prudent. Selon les règles qu’ils avaient définies, ils ne pouvaient quitter leur planque que si le chasseur était passé tout proche d’eux. Négliger un endroit, c’était leur offrir l’occasion de fuir à la manière de Juliette. Il n’avait réussi à la rattraper qu’à un cheveu, ou un serpent dans son cas.

 La gorgone et le tableau n’eurent pas à attendre longtemps avant de voir surgir Romulus. Le loup-garou filait comme un lièvre dans leur direction. Même s’il se rasait tous les matins, l’effort provoquait toujours une poussée de poils. Jonah était à ses trousses. Cette fois-ci, cependant, la brise lui était défavorable.

 Il apparut très vite à Juliette qu’ils se rapprochaient très vite d’elles. Dangereusement vite. Ni une ni deux, la fillette se releva d’un bond et saisit le tableau de son amie à deux mains. Sans se soucier des cris de la pauvre Lisa soudain secouée, elle s’écarta en l’emportant avec elle. Juste à temps. Ivre de sa propre vitesse, Romulus ne freina pas et entra en collision avec le saule, à l’endroit exact où ses copines s’étaient trouvées à l’instant.

 — Préviens-moi, la prochaine fois, bredouilla Lisa en se relevant péniblement dans le décor de sa chambre. C’était comme un tremblement de terre.

 Juliette s’excusa en riant. Elle n’avait pas imaginé qu’elle mettrait son tableau sens dessus dessous. Elle lui promit de l’aider à tout ranger quand ce serait son tour de rentrer à l’intérieur. Ils avaient récemment découvert que Lisa pouvait s’extirper de sa toile à condition que quelqu’un prenne sa place. Depuis, en bons amis, tous se relayaient pour lui offrir quelques minutes de liberté.

 Alors que Jonah et Romulus peinaient à reprendre leur souffle, une autre enfant se dirigea vers eux. D’un pas tranquille, Agatha ne se pressait pas pour atteindre le saule. Son chapeau pointu, surmonté d’un pompon verdâtre, et sa robe sombre ne laissait planer aucun doute quant à ses origines de sorcière. Jonah l’avait déjà dénichée, la faute à une plante carnivore qui lui avait demandé de choisir entre son genou et la partie de cache-cache. C’était d’ailleurs à ce moment-là que Romulus en avait profité pour détaler de sa propre planque.

 Lorsqu’Agatha arriva, à pas tranquilles, elle trouva les deux garçons épuisés par leur course. Ils peinaient à reprendre haleine. Elle réprima l’envie de pouffer de rire face à leur teint rougi. Calmement, elle rejoignit Lisa et Juliette, qui s’étaient écartées de justesse pour éviter la collision avec Romulus.

 Quand il eut récupéré contenance, Jonah se remit en quête de leur dernier ami. Mais il savait d’avance que la tâche serait plus compliquée. Cléo avait un don pour se faufiler dans les cachettes les plus improbables. Le souci, c’est qu’il refusait d’en bouger, même lorsque le chasseur criait sa défaite.

 Au bout d’un bon quart d’heure, Jonah restait bredouille. Il revint vers ses amis, tout penaud. Romulus et Agatha lui proposèrent leur aide et Juliette envoya aussitôt trois serpents en reconnaissance. Le loup-garou renifla bruyamment, se servant de son flair hors du commun comme d’un radar. Quant à Agatha, elle se saisit de sa baguette en forme de loupe et démarra son plaisir coupable : la recherche d’indices.

 En effet, la petite sorcière n’était pas n’importe quelle petite sorcière. De lectrice de romans policiers, elle s’était faite détective. Malgré le refus des adultes, elle avait su tirer son épingle du jeu. Deux assassins avaient été mis sous les barreaux suite à ses déductions. Même le commissaire avait fini par reconnaitre qu’elle était plutôt perspicace pour son âge. Aussi en allait-il de son honneur de retrouver la cachette de leur ami.

 Aussi imaginatif soit Cléo, il n’en restait pas moins un incorrigible tête en l’air. Elle suivit d’abord le loup-garou et laissa sa loupe trainer ça et là. Tout à coup, un bout de tissu attira son attention. Il s’était accroché à une branche ! Un rapide examen lui confirma qu’il s’agissait d’un morceau des bandelettes. Regardant plus loin, la sorcière en remarqua un autre. Avec un sourire satisfait, elle appela les deux garçons à l’aide.

 Ils suivirent ensemble la piste qui s'arrêtait brusquement près d’une entrée du parc. Là, ils cherchèrent du regard une cachette potentielle. Romulus renifla trois coups puis parut circonspect. Agatha et Jonah n’y prêtèrent pas attention. Dans la rue, bien d’autres monstres passaient sans faire attention à eux. Sans doute leurs odeurs venaient-elles parasiter les sens du loup-garou. De leur côté, la sorcière proposa de vérifier le toit des toilettes publiques.

 — Bingo ! cria Jonah une fois au-dessus. Il dort, l’andouille !

 — Quoi, qui que ?

 Agatha explosa de rire. C’était du Cléo tout craché. Elle regarda la momie encore mal réveillée essayer de descendre de là. Il paraissait si gauche, c’était à se demander comment il avait réussi à grimper là-haut. Tout au spectacle, elle ne remarqua pas tout de suite la mine inquiète de Romulus qui s’était rapproché d’elle.

 — Agatha ? Tu m’écoutes ?

 — Oh pardon ! Qu’est-ce qu’il y a, un problème ?

 — Jette discrètement un coup d’œil derrière nous…

 Circonspecte, la petite sorcière fronça d’abord les sourcils. Comme son ami l’encourageait du regard, elle tourna lentement la tête. Il ne lui fallut pas longtemps avant de voir ce qui intriguait tant son ami. Une jeune femme les épiait depuis le grillage du parc. Son teint blanc contrastait avec sa robe, noire comme une nuit sans lune. L’inconnue se protégeait du soleil avec une ombrelle. Exactement comme un de leurs camarades, Jérémy, le vampire.

 Or, même les habitants d’Halloween se méfiaient des vampires. Romulus le premier.

 — Elle était déjà là quand on est arrivés. Elle n’a pas arrêté de nous regarder.