Chapitre 3
- Tu es née ici ?
- Oui. C’est quoi le problème ?
- Il n’y en a pas. Mais qu’est-ce qu’on fait dans un village abandonné ?
- Il n’est pas abandonné. C’est un village d’assassins.
Je la regarde attentivement. Elle aussi est l’enfant d’un criminel.
- J’espère que mon père est toujours en vie. C’est de lui dont j’ai besoin. Allez, viens !
Sunhee recommence à marcher, s’extasiant devant chaque maison délabrée. Elle se met à raconter plusieurs anecdotes datant de son enfance. Elle me parle d’un garçon nommé Hiro, qui était son meilleur ami avant qu’il ne la trahisse.
- Que lui est-il arrivé ?
La femme secoue la tête.
- Il est décédé.
Elle n’en dit pas plus à son sujet et continue de me raconter sa vie. Je ne l’écoute qu’à moitié, trop concentré sur le village qui s’étend sous mes yeux.
- Tout ça, c’était il y a quinze ans, lance-t-elle sur un ton nostalgique. À l’époque où Hyujin avait dix-sept ans, Aria seize ans et moi, vingt ans.
Je hoche la tête et essaye de retenir le maximum d’informations sur Hyujin. S’il est réellement mon demi-frère, et que ma mère était réellement dirigeante, alors il y a moyen que je le détrône et que je m’empare de la cité des Fleurs pour me venger.
On finit par entrer dans une petite maison, où l’odeur saisissante de moisi me rappelle la prison. Trois chaises bancales sont installées en rond, comme si des personnes avaient parlé ici et n’avait pas rangé avant de partir.
Des pas se font entendre et un vieil homme apparaît. Son visage se fend d’un sourire lorsqu’il voit Sunhee.
- Sunhee ! s’exclame-t-il. Tu es toujours en vie, à ce que je vois.
- Oui. Père, je viens chercher des informations. Tu sais toujours tout, alors j’ai pensé à toi.
- Installez-vous. Oh, mais je vois que tu es accompagnée.
Le regard de l’homme glisse sur moi et il me dévisage, les yeux plissés.
- On ne se serait pas déjà croisés ? me demande-t-il.
Je secoue la tête.
- Impossible, réponds-je.
- Mais si, je suis sûr de t’avoir déjà vu quelque part. À moins que… mais oui, voilà ! Tu lui ressembles tellement.
- N’est-ce pas ? sourit Sunhee en me regardant. J’ai eu un choc quand je l’ai vu.
Interloqué, je les fixe.
- Je ressemble à qui ? questionné-je.
- À Hyujin, voyons.
L’homme sourit à nouveau et s’approche de moi pour observer mon visage de près.
- Je l’ai connu quand il avait dix-sept ans, explique-t-il. Il faisait une enquête avec Aria… enfin, c’était il y a longtemps.
Si le père de Sunhee connaissait Hyujin, je vais pouvoir lui poser des questions. Et je ne sais pas pourquoi, j’ai l’intuition que je devrais en apprendre plus sur Aria aussi.
- Expliquez-moi tout, dis-je.
- Tout ? Sur quoi ? Depuis longtemps, je m’amuse à faire un jeu avec ceux qui me demandent des informations. Tant que vous ne posez pas la bonne question, je ne répondrai pas.
- Qui êtes-vous ?
Sunhee s’assoit sur une des chaises et croise ses jambes.
- On va en avoir pour longtemps ! s’écrie-t-elle.
- Je suis le père de Sunhee et un ancien assassin, répond l’homme en haussant les épaules.
- Comment avez-vous connu Hyujin ?
- C’est une longue histoire.
- Racontez-la moi.
- Bien, si tu veux.
L’ancien assassin s’assoit à son tour et soupire. Il se met à parler et me raconte sa rencontre avec Hyujin. Il m’explique que ce dernier était accompagné d’Aria, dont la mère avait été assassinée. Ils désiraient des informations sur le tueur, alors ils sont venus lui demander. Quelques semaines plus tard, Hyujin et Aria sont revenus pour connaître l’histoire de leurs cités, encore séparées à l’époque. La dernière fois qu’ils se sont parlés, le père de Sunhee avait incité Hyujin à révéler ses sentiments à Aria.
- Quelques mois plus tard, ils se sont mariés. Je me suis invité, sans qu’ils ne le sachent, finit-il.
- Et ils ont unis leur cité, complété-je.
Je crois que j’ai l’essentiel des informations sur mon demi-frère et son épouse. Je ne connais pas les détails de leur enquête, ni le coupable du meurtre de la mère d’Aria, mais je pense que je suis sur une bonne piste.
J’ai envie d’en apprendre encore davantage, mais le père de Sunhee ne sait rien de plus.
- Bon, vous avez fini ? lance la femme.
- Oui, asséné-je. On peut repartir.
- Parfait.
Elle étreint rapidement son père avant de m’emboîter le pas hors de la maison délabrée.
- Tu veux faire quoi, maintenant ?
- Je veux voir Hyujin et Aria. Juste pour étudier un peu leur vie.
- D’accord, ça me va. Depuis le temps que je ne les ai pas vus, ces deux-là.
Je presse le pas et regagne les chemins qui mènent à la cité des Fleurs. Une fois dedans, nous continuons de marcher et au bout de quelques heures, la silhouette du Temple des Fleurs se dessine.
Il est immense, beau, coloré. Plus nous nous approchons, mieux je distingue un énorme cerisier en fleurs derrière les clôtures.
Les habitants de la cité des Fleurs sont gais. Des enfants rient, des adultes discutent… Une odeur d’épices et de riz embaume l’air, et je respire à pleins poumons le parfum de la nourriture. J’aimerais tellement y goûter, moi qui ne mange que de la bouillie et du potage depuis petit.
Sunhee me conduit jusqu’à l’entrée du temple. Les gardes nous jettent un regard dédaigneux et l’un deux grogne :
- Que voulez-vous ?
- Il faut que nous parlions au Seigneur Hyujin et à Dame Aria. C’est urgent.
Le garde nous toise du regard avant de secouer la tête.
- Je dois d’abord leur demander la permission. Attendez-moi ici.
Il disparaît derrière les deux immenses portes sombres et je pousse un soupir. Et si les dirigeants ne nous laissaient pas rentrer ? Sunhee semble confiante.
- Je les connais, me rappelle-t-elle lorsque j’entends les pas du garde se rapprocher.
- Oui, j’ai compris.
Le soldat nous adresse un regard, hoche la tête et pousse une des portes. À l’intérieur, je suis fasciné par les jardins. Les sentiers sinueux, pavés de pierre lisses, serpentent à travers des allées de cerisiers.
Quand j’avance, je peux voir qu’au centre du jardin, un étang rempli de fleurs de lotus reflète le ciel. Le lac est entouré de pagodes en pierre.
Il y a plusieurs pavillons, tous plus grands les uns que les autres. Le pavillon central est gigantesque, avec un toit en pagode noire et des murs en pierres blanches.
La porte coulisse lentement et un petit garçon aux courts cheveux noirs, vêtu d’une petite tunique et d’un pantalon, sort du bâtiment. Sunhee hoquette de surprise et fixe l’enfant parcourir les jardins.
Une voix féminine se fait entendre :
- Namki, reviens, s’il te plait.
La femme à mes côtés se tend soudainement. À la porte du pavillon apparaît une jeune femme aux longs cheveux noirs, habillée d’une robe en soie pourpre allant de ses épaules au sol. Sa peau pâle contraste avec ses lèvres d’un rouge grenade.
- Aria, articule Sunhee en tremblant.
La jeune femme tourne la tête vers nous et, après quelques secondes d’hésitation, elle sourit.
- Sunhee ! s’exclame-t-elle.
Je peux voir mon alliée plisser les yeux puis sourire.
- Tu vas bien ? demande la dénommée Aria.
Son regard se pose sur moi et elle fronce les sourcils. Elle est sûrement en train de se demander ce qu’on fait là.
- Tu as un fils ? réussit à dire Sunhee pour détourner la conversation.
La dirigeante rougit et hoche la tête.
- Oui… On l’a appelé Namki parce que… enfin… laisse-tomber.
- Mais c’est super ! s’écrie la blonde en battant des cils. Il a quel âge ?
- Cinq ans, répond Aria en souriant timidement.
Elle porte à nouveau ses yeux sur moi et se tourne vers Sunhee.
- Qui est-il ?
- Oh… un… ami ?
Suspicieuse, la dirigeante plisse les yeux avant d’opiner du chef.
- Tu t’appelles comment ?
- Hyuk, raillé-je.
Un silence s’ensuit. Aria recentre son regard sur son fils qui court joyeusement derrière un oiseau.
- Mais, Sunhee… Tu…
- Tu n’es pas censée être en prison ? coupe une voix grave.
Je fais volte-face et vois derrière moi un homme grand. Il a des cheveux noirs qui lui retombent sur son visage fin, des yeux sombres agrémentés de longs cils et il porte les mêmes vêtements que Namki.
Les joues de Sunhee virent au pourpre et elle balbutie :
- Hyujin…
Une lueur s’allume dans son regard puis disparaît aussitôt.
- Alors ? redemande-t-il.

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