Chapitre 5
Nous quittons la cité des Fleurs avec Dahlia et Sheyang. Ce dernier marche en tête, Sunhee à ses côtés. Je suis derrière, et Dahlia ralentit pour être à mon rythme.
- Et toi, qui es-tu ? demande-t-elle. À part le fait que tu es le demi-frère du Seigneur Hyujin, je ne sais rien de toi.
Une bourrasque de vent soulève nos cheveux et plaque mes vêtements contre mon corps. Je frissonne et regrette de ne pas avoir demandé à nos nouveaux compagnons d’autres habits quand l’on était encore chez eux.
- Je m’appelle Hyuk, réponds-je. J’ai quinze ans, moi aussi. Enfin, je ne sais pas trop. En prison, c’est un peu compliqué de compter les années. Mais d’après Eni, c’est à peu près l’âge que j’ai.
Elle hoche la tête, remuant ses boucles brunes.
- Eni, c’est…
- Un ami, coupé-je. On devait s’échapper ensemble mais il a changé d’avis quand il a su que Sunhee venait avec nous.
- D’accord.
Je regarde autour de nous, observant les arbres et les champs cultivés. Il n’y a aucune trace de vie, mais pourtant, il semblerait que des récoltes ont été faites ce matin. Peut-être que ce sont les champs des agriculteurs de la cité des Fleurs. Ou alors, il existe un autre village près d’ici, ce dont je doute fortement, à en juger par les espaces verts qui semblent s’étendre sur des kilomètres devant nous.
Au bout de quelques heures, nous passons devant des ruines d’une cité et d’un temple.
- C’est l’ancienne cité des Fleurs, nous informe Sheyang en désignant les bâtiments détruits.
On ne s’y attarde pas vraiment et reprenons notre route.
Alors que nous continuons notre chemin, le paysage commence à changer. Les champs laissent la place à du sable et des rochers acérés. Je lève les yeux et aperçois un éclat bleu qui scintille sous le soleil.
- C’est la mer ! s’exclame Dahlia en riant.
Je n’ai jamais vu l’océan. J’avais juste les descriptions d’Eni, qui parlaient des vagues et du bruit apaisant de l’eau qui s’écrasent sur les rochers.
- C’est beau, commenté-je.
- On peut s’arrêter pour regarder un peu, non ? On a tout notre temps, sourit Sheyang.
Nous tournons à gauche pour rejoindre un petit chemin étroit bordé de fleurs sauvages. Mes pieds nus s’enfoncent dans le sable chaud.
Nous arrivons au bord du rivage, où la mer vient lécher nos orteils. Dahlia et Sheyang retirent leurs chaussures et les prennent à la main. L’océan d’un bleu profond s’étend à perte de vue, parsemé de petites vagues blanches qui se forment puis se brisent.
Émerveillé, je m’exclame :
- C’est incroyable !
- Oui. De là où je viens, c’est un symbole de liberté, m’explique Dahlia.
- Pourquoi ?
Elle hausse les épaules.
- Ça remonte à des siècles. Mais je dirai que c’est parce que la mer est vaste. Sheyang et moi venons d’une île au nord. Quand j’avais dix ans, j’ai pris le bateau avec lui pour venir ici. Être sur les vagues te donne l’impression d’être libre, d’être seul au monde… C’est merveilleux. Tu essayeras bientôt, tu verras.
J’acquiesce et continue de fixer l’étendue d’eau. Sunhee finit par lancer :
- On devrait y aller. Le soleil va bientôt se coucher, il faudrait trouver un village pour dormir.
Sheyang opine du chef et remonte le petit chemin sableux. Nous lui emboîtons le pas et continuons notre route pendant des heures. Le soleil laisse la place à la lune, et nous n’avons toujours pas trouvé de village.
- Où allons-nous ? demandé-je pour rompre le silence.
Sheyang se tourne vers moi :
- Retrouver nos deux amis. On doit regagner un port pour prendre un bateau et nous rendre sur l’île de Dahlia, où ils se trouvent normalement.
- Ce port est loin ? questionne Sunhee.
- Je ne sais pas trop. Je dirai que non, mais je ne vois pas encore le château.
Eni m’avait parlé des châteaux. Il m’avait dit que ça servait à la même chose qu’un temple, mais que l’architecture était différente. J’ai hâte d’en voir un.
* * *
Le matin se lève lorsque nous arrivons enfin au village surplombé par le château. J’ai les jambes endolories, et la faim me retourne le ventre. Ce dernier fait d’ailleurs des gargouillis depuis quelques heures.
Dahlia s’avance vers un marchand et lui tend un petit sachet rempli de pièces en échange de quelques fruits. Elle nous en donne chacun un et je croque avec plaisir dedans. Le fruit est juteux, d’un rouge profond. Quelques pépins noirs sont à l’intérieur de la chair et la peau verte est très dure.
- C’est de la pastèque ! s’extasie Sunhee juste avant que je ne demande ce que je mange. Ça fait tellement longtemps que je n’en avais pas mangé… C’était mon fruit préféré, quand j’étais jeune.
Elle finit en trois bouchées son bout et attrape celui que lui tend Dahlia.
- C’est vrai que c’est bon… confirmé-je.
Sheyang prend quelques fraises. J’observe les autres aliments qui s’étalent sur les étalages. L’odeur des épices, des fruits et des poissons se répand dans mon nez.
- Allons au port, lance Sheyang quand nous avons fini nos fruits.
Nous arpentons toute la ville jusqu’au quai où des dizaines de bateaux sont amarrés. Certains arrivent, d’autres partent… Le bruit ambiant me donne mal au crâne. L’odeur de fruits de mer est plus forte ici, elle me donne presque la nausée.
Dahlia marche jusqu’à un petit bateau attaché avec des cordes usées. Les voiles sont repliées et la peinture de la cale s’écaille.
- Je ne l’ai pas utilisé depuis cinq ans. Je suis très étonnée de le voir encore là.
Sheyang disparaît quelques instants avec Sunhee pour aller chercher de la nourriture et de l’eau dans les entrepôts. Dahlia m’informe qu’en partant maintenant, on sera sur son île natale, Honiria, dans deux jours.
Sheyang revient et défait les cordages. Pendant ce temps, je regarde Dahlia déplier les voiles et s’assurer que le gouvernail tourne encore.
- Montez, lance Sheyang.
Le blond m’aide à grimper et j’aide ensuite Sunhee. Cette dernière et moi allons déposer les caisses de provisions dans la cale avant de remonter sur le pont. Dahlia s’avance vers moi et m’explique ce que j’aurai à faire pour l’aider à diriger le navire et je la fixe, complètement perdu. Elle finit par éclater de rire et par me montrer un par un les gestes à exécuter.
- Ne t’inquiète pas, c’est plus facile qu’il n’y paraît.
Je hoche la tête, essayant de cacher mon appréhension.
- Prends le gouvernail, m’indique Dahlia. Tu dois le tenir fermement, mais pas trop. Sens le mouvement de la mer.
Je suis impressionné par cette fille. Elle n’a que quinze ans, comme moi, et pourtant, elle sait faire plein de choses.
Je prends le gouvernail entre mes mains. Je tourne la tête et vois Sheyang vérifier les cordes, tandis que Sunhee observe tout avec une lueur d’excitation dans le regard.
Un peu après, Dahlia s’installe à mes côtés et nous hissons les voiles. Le vent s’engouffre dans la toile et le bateau commence à glisser sur l’eau.
- C’est parti ! s’exclame la jeune fille en décrochant la dernière corde des amarres.
Le navire tangue sur les légères vagues. Je tiens le gouvernail et suis les indications de Sheyang. Il lit une vieille carte qui se trouvait dans la cale du bateau.
- C’est quoi, la croix rouge ?
Je désigne un petit endroit marqué de deux traits rouges. Sheyang l’observe attentivement avant de répondre :
- Un ancien repère de contrebandiers.
Je hoche la tête et jette un œil au vaste océan. J’ai hâte d’arriver sur l’île, de découvrir une autre contrée.
- Tu verras, Honiria est une île incroyable, lance Dahlia en venant m’assister.
- Comment s’appellent vos amis ?
- Semai et Aomano.
J’acquiesce et me concentre sur la direction que je prends. Un groupe de dauphins passent et j’écoute Sheyang me raconter des choses sur ces animaux.
Je lance un regard à Sunhee qui regarde l’horizon et à Dahlia qui sort de quoi manger.
Le soleil vient caresser mes bras nus et je pousse un soupir. Sheyang me relaye pour diriger et je me poste sur le côté droit du bateau pour observer les vagues.
* * *
Deux jours plus tard, nous accostons sur une immense plage. Elle s’arrête à la lisière d’une petite forêt et derrière les arbres, je peux voir des bâtiments se dresser.
Nous arpentons la plage jusqu’à l’orée du bois et entrons dans la forêt.
- Nous y sommes bientôt, indique Dahlia.
J’opine du chef et repousse quelques branches pour éviter de me les prendre dans le visage. Nous empruntons une dizaine de chemins étroits et boueux avant d’arriver à l’entrée de la ville.

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