Chapitre 14
J’ouvre les yeux et tourne la tête vers Dahlia. Elle dort profondément dans le lit à côté du mien. Je me lève et m’approche d’elle. Elle ouvre les paupières et me sourit.
- Coucou, Hyuk… murmure-t’elle d’une voix ensommeillée.
- Coucou, réponds-je. Tu vas bien ?
- Ahh… Non, pas trop. J’ai mal à la tête.
Elle enfonce son visage dans l’oreiller et enroule la couverture autour de ses épaules.
- Tu es peut-être malade.
- Peut-être.
Dahlia pivote vers moi et me regarde. Je fixe son visage, passant de ses joues rouges à ses yeux humides et à sa peau un peu moins bronzée que d’habitude. Étonné, je pose ma main sur son front.
- Tu es brûlante, soufflé-je. Je vais demander à Béatrice d’appeler un médecin.
- Ce n’est pas la peine. Je vais juste me reposer, et ça ira mieux.
Je reste un moment à la fixer, incertain. La chaleur qui émane de son corps prouve à quel point elle est fiévreuse.
Je m’assois sur le bord du lit.
- Tu veux que je te prépare quelque chose ? Un thé ou un bain ? proposé-je.
- Je veux juste être tranquille, merci… soupire-t’elle.
- Comment as-tu pu tomber malade ? questionné-je, me remémorant l’air chaud d’hier.
- Je ne sais pas… Tu veux bien ouvrir la fenêtre ? Il fait lourd, ici.
Je me dirige vers la fenêtre et décale les rideaux, révélant un ciel rempli de nuages noirs. J’ouvre la cloison, mais la referme immédiatement quand je constate qu’il fait encore plus lourd dehors.
- Il va peut-être y avoir de l’orage, informé-je en regagnant le lit de Dahlia.
Mon amie tourne la tête vers moi et pousse un soupir. Elle commence à se plaindre et je ne l’écoute qu’à moitié, concentré sur les fines gouttes de pluie qui s’écrasent sur les vitres.
* * *
C’est dans l’après-midi que l’orage éclate sur Eldora. L’odeur de la pluie me parvient juste avant que le tonnerre ne gronde. Le vent commence à souffler fort, emportant les nuages noirs au-dessus de la ville. Le ciel est zébré d’éclairs et soudain, une pluie battante se déverse sur la capitale, frappant les toits et les fenêtres avec violence.
Je suis assis près de Dahlia. Elle est recroquevillée dans ses couvertures, les yeux fermés, l’air fatigué. Le son de la pluie tambourine contre la fenêtre, accompagnant le grondement lointain du tonnerre.
Une éclatante lumière blafarde traverse la chambre, suivie d’un grondement assourdissant. Plusieurs fois, la pièce s’éclaire brièvement, projetant des ombres gigantesques sur les murs, avant de replonger dans l’obscurité.
Dehors, la tempête s’intensifie, le vent sifflant entre les fenêtres. La pluie se déverse en torrents, les arbres dehors se courbent sous la violence des rafales. À travers la fenêtre, je peux voir les vagues se déchaîner et s’écraser contre les rochers et les falaises avec fracas.
La porte de la chambre s’ouvre sur Lucy, qui, vêtue d’une robe épaisse vert sapin, s’approche de nous à grands pas.
- La tempête n’est pas prête de s’arrêter, lance-t’elle en jetant un coup d’œil dehors. Vous allez bien ?
- Oui… répond faiblement Dahlia.
- D’accord. Ne vous en faites pas, Eldora a connu pire comme orages.
- Je ne m’inquiétais pas, souffle mon amie.
- Je parlais plutôt à lui.
La reine pointe son doigt vers moi.
- Je… je n’ai pas peur de l’orage ! balbutié-je.
Lucy me regarde longuement, ses yeux brillants sous la lumière vacillante des éclairs. Un frisson me parcourt l’échine. Elle finit par hocher la tête et tourner les talons. Elle s’arrête devant la porte et se retourne vers nous :
- Au fait, j’oubliais… Aomano, Semai, Sheyang et Sunhee sont partis tôt ce matin, en direction de Thaloria. Ils devaient se rendre chez les deux premiers. Ils seront de retour après-demain, à mon avis.
La reine disparaît, me laissant seul avec Dahlia.
- Ils sont partis sans nous prévenir ?
Mon amie se redresse et s’assoit contre le dossier du lit.
- Oui, réponds-je.
- Oh.
Je hausse les épaules.
- Tu me fais une petite place ? demandé-je en soulevant une extrémité de la couverture.
- Tu vas tomber malade aussi.
- Ce n’est pas grave.
Je me glisse à ses côtés, sentant sa peau brûlante contre moi. Elle rit et remonte la couverture sur ses épaules.
- C’est confortable, un lit de princesse, dit-elle.
- C’est vrai.
On se met à discuter de tout et de rien pendant des heures. Le soleil commence à décliner à l’horizon lorsque Dahlia baille.
- Tu es fatiguée…
- Ouiiiii. Allez, bouge du lit… Je dois dormir.
- Non, mais je suis bien ici, plaisanté-je en m’installant encore plus confortablement.
- D’accord, reste ici si tu veux, mais ne te plains pas si je dors sur toi. Je peux ?
Je ne réponds pas, la fixant à travers mes mèches noires.
- Qui ne dit mot consent, lance-t’elle en s’affalant sur le matelas. Tu ne pourras pas venir te plaindre demain matin.
Le silence tombe entre nous. Dahlia a les yeux fermés, elle respire lentement. Je me demande si elle s’est déjà endormie. Je m’apprête à quitter ses draps pour rejoindre mon lit lorsque je sens un poids me tomber sur l’épaule. Je tourne la tête et vois les cheveux de Dahlia, ainsi que le sommet de son crâne.
- Eh… soufflé-je en remuant l’épaule. Eh, Dahlia.
Pas de réponse. Je soupire et ferme les yeux, contraint de dormir ici.
* * *
Je suis réveillé par une rafale de vent particulièrement bruyante. Dahlia n’est plus sur moi et mon épaule me fait mal. Dehors, la pluie n’a pas cessé et il fait nuit noire. Je rejoins silencieusement mon lit et m’y glisse, épuisé. Seulement, je n’arrive pas à me rendormir. Maintenant que je suis réveillé, je vais avoir du mal à me recoucher. Je ressors du lit et pars discrètement de la chambre. La porte couine et je mords mes lèvres. Je parcours le couloir sombre, éclairé seulement par les éclairs qui zèbrent le ciel de temps à autre, projetant des immenses ombres inquiétantes sur les murs. J’arpente les escaliers en colimaçon pour arriver au sommet de la tour la plus haute du palais : la bibliothèque. Je pousse les deux lourdes portes en bois et pénètre dans la salle. La grande fenêtre donne une vue panoramique sur tout Eldora et sur les côtes de Thaloria. Il y a d’immenses étagères allant du sol au plafond, toutes remplies de livres plus ou moins gros. J’évolue dans la bibliothèque sombre et poussiéreuse. Je regarde les ouvrages un par un, sans but précis. Lorsque mes yeux se posent sur L’Histoire de Honiria, je l’attrape et m’approche des fauteuils près de la fenêtre. Je m’assois dans l’un deux et ouvre le livre à la première page.
Je lis en diagonale les textes racontant comment un navigateur nommé Ronan Elyndor a découvert Honiria, il y a six cents ans. Il l’a baptisée ainsi en l’honneur de sa mère, Honorine. Puis, à l’aide de sa famille, de ses amis et d’autres personnes, il l’a colonisée. Ronan a fait construire des maisons, des fermes et des commerces. Il a ensuite bâti le palais et réparti l’île en quatre villes : Virelia, Sorrana, Thaloria et Eldora.
Ronan et sa femme ont ensuite habité le palais, devenant le roi et la reine. Les habitants ont commencé à venir d’un peu partout dans le monde et l’île s’est développée.
Je m’arrête quelques instants pour contempler la ville endormie, essayant de l’imaginer il y a six cents ans. Je reprends la lecture quelques minutes plus tard.
Ronan a eu des enfants, qui en ont eu aussi, et ce jusqu’à Lucy et Ambre. L’auteur raconte l’enfance d’Ambre, une princesse chouchoutée, admirée et magnifique jusqu’à ce que sa sœur naisse et l’éclipse totalement par sa beauté et son intelligence.
Je referme le livre et le repose sur les étagères. La fatigue est revenue rapidement après avoir lu, et trop épuisé pour rejoindre ma chambre, je m’affale sur le fauteuil de la bibliothèque en fermant les yeux.
* * *
- Hyuk ?
La voix de Lucy me tire de mon sommeil. Accroupie près de moi, sa robe rose tombant autour d’elle, la reine pose une main délicate sur mon front.
- Que fais-tu ici ?
- Bonjour Votre Majesté… Désolé de vous déranger, je vais regagner ma chambre.
- Non, non, ne t’en fais pas… Tu es malade, toi aussi ?
- Je ne pense pas, merci.
- D’accord…
Elle se relève et s’en va derrière les étagères de la bibliothèque. Je me redresse, quitte la salle et dévale les escaliers pour rejoindre ma chambre.
J’y trouve Dahlia, debout devant la fenêtre.

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