Chapitre 17
- Un de moins, annoncé-je en revenant dans la grotte, une boule dans la gorge.
Ambre fond à nouveau en larmes et nous sort un nouveau caprice de princesse.
- On va tous mourir, se lamente-t’elle. Regardez moi ça, je suis bloquée sur une île déserte avec deux criminels et une gueuse… Je n’en reviens pas. Ambre Elyndor, princesse de Honiria, mérite meilleur destin. J’aurai pu épouser Théodore si Lucy ne l’avait pas séduit. C’était mon prétendant. J’aurais eu le droit à ma vie de luxe dans mon palais.
- La gueuse elle te dit de te la fermer, grince Dahlia en aiguisant son couteau. Princesse ou pas, maintenant, tu es ici. Et je te signale qu’ici, tu n’es pas une princesse. Tu es une naufragée, comme nous. Fais pas ta mijaurée et arrête de te plaindre. Tu n’es pas la seule à avoir perdu quelque chose. Et je pense que j’ai perdu quelque chose de plus important que toi : une personne qui m’était très chère.
Ambre hoquette de stupeur.
- Tais-toi, Dahlia ! réplique la princesse, les yeux écarquillés.
Mon amie reste calme, son regard perçant fixant la blonde.
- Arrêtez de vous disputer, ce n’est pas comme ça qu’on avancera. On est une équipe, vous vous souvenez ? On a déjà perdu trois d’entre nous, et si ça continue comme ça, on sera bientôt tous morts. Il faut qu’on s’entraide, lance Sunhee d’un ton sec.
- On n’est plus que quatre, idiote. Que veux-tu qu’on fasse ? Il ne nous reste plus qu’à nous laisser crever ici, crache Ambre.
La princesse attrape violemment Sunhee par le poignet.
- Alors ? Tu ne sais plus quoi dire ? La prochaine fois, ne te mêle pas de ce qu’il ne te regarde pas, t’as compris ?
- Elle a raison, vous dépassez les bornes, finis-je par dire.
Les trois filles me fusillent du regard.
- Il faut qu’on parte d’ici, on va trouver un moyen de le faire. Je ne sais pas moi, on a qu’à faire un feu, ou construire un bateau.
- Oh, mais oui, bien sûr, lance ironiquement Ambre. Et comment comptes-tu faire ça, hein ? On n’a même pas de bois pour faire un feu, et ne parlons pas de construire un bateau.
- Je suis d’accord, faire un bateau avec aussi peu de ressources, c’est un peu ambitieux, concède Dahlia. Mais on peut se débrouiller pour faire un radeau.
- Je n’ai pas suivi de formation pour survivre sur une île déserte, et je suppose que vous non plus, grince la princesse. Comment comptes-tu construire un radeau ?
Dahlia lève les yeux au ciel et disparaît de la grotte. Je me redresse pour la suivre. Elle crapahute vers la forêt, esquivant des rochers. Je la rejoins rapidement.
- Attends, soufflé-je.
Elle se retourne et me sourit timidement.
- Hyuk. Aide-moi à ramasser des branches suffisamment épaisses.
- Tu es sûre que on y arrivera ?
Elle hausse les épaules.
- On verra. En fait, laisse-tomber. Arrache des lianes épaisses et solides, je m’occupe des branches.
- D’accord.
Nous évoluons dans la forêt, repoussant des feuillages. Des animaux sauvages passent quelques fois, et Dahlia commence à rassembler des gros bouts de bois.
- Je vais prouver à Ambre que j’ai raison.
Je souris et hoche la tête.
- D’accord, faisons ça.
J’arrache une liane et essaye de la briser, mais je n’y parviens pas. J’en récupère d’autres plus ou moins solides sur cet arbre avant de continuer ma route.
- On n’avancera pas rapidement avec un radeau.
- Si on trouve des voiles – ce qui ne risque pas d’arriver – on fera un voilier, suggère-t’elle.
- Hmm…
Je repousse une branche et évite une flaque de boue. Mon t-shirt se prend dans une ronce et se déchire encore plus. Les vêtements de Dahlia sont dans le même état. Sa jupe est fendue sur le côté et flotte au vent, tandis que son haut a quelques trous.
* * *
Après environ deux heures, nous revenons à la grotte avec nos branches. Dahlia appelle Sunhee pour qu’elle nous aide à construire notre radeau. Nous demandons aussi à Ambre, mais elle boude dans un coin, la tête enfouit dans la dentelle de sa jupe déchirée.
- Tiens, attache-ça avec une liane.
Dahlia me tend la plante et je l’enroule autour d’un rondin de bois, avant de serrer en faisant quelques nœuds. Je teste la solidité avant de faire de même sur d’autres bouts de bois.
Il fait trop sombre pour qu’on continue la construction du radeau, alors nous sortons tous les trois de la grotte pour aller allumer un feu sur la plage. Pendant notre absence, Sunhee a pêché quelques petits poissons que nous faisons griller. Je frissonne lorsqu’une rafale de vent souffle.
- Ambre ne veut toujours pas se joindre à nous, elle doit avoir faim. Je vais lui apporter un poisson.
Sunhee se lève et disparaît dans la grotte, me laissant seul avec Dahlia. Elle ne parle pas, les yeux rivés sur son petit bout de poisson. Ses pieds nus sont enfouis dans le sable, ses cheveux sont en bataille et elle frissonne. Elle n’a sûrement jamais connu ça : la faim, le froid…
- Eh… On va s’en sortir, tu sais…
- Hyuk, je sais que tu ne le penses pas.
Je hausse les épaules.
- Si.
Dahlia sourit et retire les arrêtes du poisson. Elle les jette à la mer agitée, où la lune se reflète. Mon amie se met debout et retire le sable de ses jambes, avant de craquer ses doigts et de s’étirer le dos.
- Debout Hyuk. Battons-nous.
- En plein milieu de la nuit ?
- Je ne suis pas assez fatiguée pour dormir.
- Bien.
Je me mets debout, face à elle, et adopte une position de combat. Elle sourit et fait de même, un pied en arrière. Je suis le premier à attaquer : je lui envoie un coup de poing dans le ventre, mais elle l’esquive en pivotant, tout en donnant un coup de pied en arrière qui vient s’écraser sur mon épaule gauche. Je recule un peu, l’épaule douloureuse, mais recommence à frapper, visant cette fois-ci son visage. Mon poing heurte sa joue et je peux voir qu’elle sourit, avant de tenter de me faire perdre l’équilibre. Je vacille mais reste debout, avant de lui envoyer un coup de pied dans le ventre. Elle ne réussit pas à l’esquiver et s’éloigne de moi, la main posée à l’endroit où j’ai frappé.
- Tu l’auras voulu, Hyuk.
Elle court vers moi, m’attrape par la taille et me pousse au sol. Je tombe sur le dos et me relève dans les secondes qui suivent, couvert de sable. Je passe une main sur mon coude égratigné avant de lever les yeux vers Dahlia. Fière d’elle, elle sourit.
- Je vais me venger.
Je la pousse à mon tour et elle se laisse tomber en riant, avant de se rouler dans le sable. Elle m’attrape par les chevilles et me déséquilibre. Je tombe aussi et Dahlia éclate à nouveau de rire.
Je reste un instant dans le sable, respirant un peu plus fort après notre combat improvisé. Dahlia se redresse en secouant ses boucles brunes, toujours un sourire espiègle sur le visage. C’est drôle de voir comment nos batailles ont réussi à alléger l’atmosphère, même dans une situation aussi désespérée.
- Alors, tu penses que je vais encore me venger ? demande-t’elle en se penchant un peu vers moi, les yeux pétillants.
Je lève un sourcil.
- Oh, je suis sûr que tu essayeras encore.
- Oui… Un autre jour, sûrement… Au fait, je me suis dit qu’en plus du témoignage que tu ferais auprès des habitants comme quoi tu étais en prison sans raison, on pourrait dire que Hyujin et Aria ont laissé leur enfant se faire enlever.
- Il ne s’est pas fait enlevé.
- Pas encore. Une fois à la cité des Fleurs, on s’en occupera.
- Je ne pensais pas que tu étais aussi horrible, souris-je.
- Ma mère est une criminelle et Sheyang faisait parti d’un groupe d’assassins. J’ai été élevée dans des conditions qui me poussent à être comme ça.
Je l’entends renifler et tourne la tête vers elle. Ses yeux brillent de larmes. Elle pleure sûrement pour Sheyang.
- Je suis désolé. Moi aussi, j’aurais préféré qu’il survive.
- En fait… Tu ne connais pas ma vraie histoire. Ce que j’ai raconté est vraie : ma mère a accouché lorsque Sheyang faisait parti du groupe de criminels, mais il n’y a pas que ça. En réalité…
Dahlia soupire puis ferme les yeux, avant de commencer à me raconter son histoire avec tous les détails que sa mère et Sheyang lui avaient fournis.

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